Quelle place pour les citoyens dans la transition écologique ?

Convention citoyenne Occitanie : Sofiane Bensizerara/Région Occitanie
La région Occitanie est la première région à expérimenter une déclinaison locale de la Convention citoyenne. 109 citoyens ont été tirés au sort pour débattre de l'alimentation, du développement durable, de la culture, de la relance économique, et "construire ensemble la région de demain". Il en est ressorti près de 300 propositions dont 52 mesures prioritaires pour le Green New Deal, rentrant dans le champ de compétences de la Région. 20 000 habitants ont également voté sur 3 thèmes stratégiques.
©Sofiane Bensizerara/Région Occitanie
Le 14 avril 2021

Le 17 mars dernier, la chaire « Transformations de l’action publique » de Sciences-Po Lyon poursuivait son exploration des modalités de la participation citoyenne dans le champ de la transition écologique, vue à l’échelon local. Le designer de politiques publiques Brice Dury et les représentants du collectif pour une Convention citoyenne pour le climat en Rhône-Alpes-Auvergne Juliette Berthet et Andy Battentier étaient invités à témoigner de leurs démarche et expériences. Ils tentaient de répondre à leur manière aux questions soulevées. Quel est le « cycle de vie » de la participation en matière de transition écologique ? Comment les gens s’engagent-ils ? Qu’est-ce qui les interpelle et les motive à devenir acteurs ? Quel rôle tiennent collectivités et institutions ?

Imaginer de nouveaux services pour réorienter les pratiques

Brice Dury, de l’agence de design de services Praticopratiques, nous éclaire tout d’abord sur les habitudes de tri. Un petit quizz diffusé aux participants du séminaire donne tout de suite le ton : il y a de bonnes réponses… et beaucoup de mauvaises ! Le service public de collecte des déchets évolue et varie selon le niveau d’équipement des collectivités, d’où la confusion chez les usagers, même les plus volontaires. Les pratiques des habitants sont hétérogènes, fluctuant selon les territoires et les caractéristiques individuelles.

Mais alors, qu’est-ce qui motive le changement des comportements chez le plus grand nombre ? Ce plus grand nombre, ce sont les « pourquoi pas », ces personnes prêtes à faire sous certaines conditions, tandis que les « motivés » d’un côté et les « réfractaires » de l’autre demeurent minoritaires. Se pose alors la question de savoir comment impulser le changement.

Le design de services, explique Brice Dury, consiste à « placer le citoyen au cœur des politiques publiques », ce qui permet d’expérimenter de nouvelles formes d’action publique puis à organiser leur généralisation quand ledit service crée une adhésion au sein de la population. L’expérience de l’agence Pratico-pratiques a permis d’identifier une série de facteurs favorables à l’évolution des comportements :

  • Donner du sens à l’action individuelle pour que l’habitant la perçoive comme la partie d’un tout cohérent à l’échelle de sa collectivité ;
  • La disponibilité temporelle et mentale des personnes conditionne leur disposition à réorganiser leurs habitudes ;
  • La cooptation d’un proche s’avère plus efficace que les discours institutionnels ;
  • Les ressources économiques des foyers peuvent représenter un frein quand elles sont insuffisantes (un coût est possible) ;
  • La mise à disposition de ressources pratiques encourage efficacement les habitants : équiper c’est créer un nouveau geste (de tri par exemple) ;
  • Donner envie en valorisant l’action plutôt qu’en soulignant ce qui n’est pas fait ;
  • En dernier recours, on peut toujours édicter une règlementation.

Concrètement, les collectivités font preuve d’imagination. Ne serait-ce que pour faire connaître : il suffit parfois d’un simple vélo-cargo, comme le « PIAF » à Grenoble, pour aller présenter des services aux habitants. À Grenoble encore, on a testé l’installation de grands bacs de rue pour la collecte des biodéchets et la distribution de sacs compostables. Cela fonctionne, les habitants déposent leurs déchets en sortant de chez eux. On peut aussi user de la bonne vieille récompense : la dépose du verre se fait en échange de points convertibles en bons cadeaux, valorisables dans le réseau commerçant de proximité qui partage les valeurs de l’éco-responsabilité.

En Gironde, le département offre aux ménages un capteur d’humidité, « Bon’ Air ». Si le seuil d’humidité est dépassé, le service déclenche un accompagnement et se charge de mobiliser les acteurs ; c’est donc un seul « guichet » pour l’habitant. Sur le même territoire, une déchetterie « inversée » permet à la fois de déposer et de prendre des objets (théoriquement interdit) ; la catégorisation et l’organisation des dépôts sont optimisées pour limiter la production de déchets.

La question qu’explorent toutes ces initiatives, finalement, c’est celle de l’échelle : à quel moment et sous quelles conditions observe-t-on la généralisation d’une pratique au-delà du cercle des motivés ? L’action des services d’accompagnement à la rénovation énergétique, par exemple, a montré que la « capacitation » des habitants (leur fournir les moyens de faire) était l’une des solutions.

Peser sur la décision politique, le pari du collectif pour une convention citoyenne pour le climat en région AURA

« Les ‘’motivés’’ sont ‘’sous-exploités’’ » par les collectivités, qui « ne les outillent pas forcément pour aller plus loin », a fait remarquer Brice Dury. C’est justement le pari que se donne le collectif pour une convention citoyenne régionale pour le climat, dont l’ambition est d’interpeller les candidats aux prochaines élections régionales en Auvergne-Rhône-Alpes.

« Le projet est né fin juin, raconte Andy Battentier, lorsque sont publiées les recommandations de la convention nationale, et où on commence à s’apercevoir de ce qui s’est concrétisé récemment dans la loi Climat, à savoir que la promesse de reprendre sans filtre les propositions de l’assemblée ne serait pas tenue. » Déclinaison régionale de la convention nationale, le collectif a réfléchi à la manière d’établir des propositions citoyennes qui puissent exercer une pression politique plus importante sur le futur exécutif régional. Des associations et des experts ont été consultés. Quatre groupes de travail ont été formés, poursuit Juliette Berthet : « ressources » (documentation institutionnelle), « communication » (réseaux sociaux et presse), « secrétariat » (collecte et compilation des contributions) ; « élargissement-diffusion » (fédérer de nouvelles personnes et organisations). Ces groupes ont réfléchi sur les conditions d’exercice démocratique d’une convention locale pour le climat, avec des thématiques environnementales adaptées au contexte régional. Le niveau d’engagement des participants est gradué : au « niveau 1 », on relaie les messages sur les réseaux sociaux, au « niveau 2 », on participe à la note de cadrage, au « niveau 3 » on devient animateur du collectif en donnant de son temps libre toutes les semaines. Enfin, en dernier « niveau », on se rendra dans les urnes pour choisir les représentants régionaux qui portent le projet de la convention. Les propositions ont été rassemblées dans un document de cadrage dont la parution est prévue pour la mi-avril.

Quelques questions se posent. Ainsi, demande l’animateur Christian Paul, qu’en est-il du « produit de sortie de la convention, est-ce qu’on a un ‘’catalogue de la Redoute’’ de propositions ? », susceptible éventuellement de dérouter certaines personnes. À la différence de la convention nationale dont le mandat vient de l’exécutif, cette convention régionale établit elle-même le sien. Les participants étant des « motivés », comment faire le lien avec les autres citoyens ? La réflexion sur le dispositif démocratique n’a-t-elle pas écrasé la réflexion sur le fond ? ajoute l’ancien député.

Pour Juliette Berthet et Andy Battentier, le temps de travail a été équilibré entre le dispositif et les propositions, pensées pour que le politique s’en empare de bonne foi. Et si le collectif ne prétend pas à la représentativité, la diversité des organisations membres exprime un large spectre de contributions possibles, contribuant à légitimer les propositions. Un participant au séminaire s’interroge sur la pertinence d’une telle convention au niveau régional : la région dispose-t-elle de compétences suffisantes ? Christian Paul abonde avec une question complémentaire : la tenue de la convention est-elle possible si les instances de la région élue ne sont pas de son côté ? Pour les deux représentants du collectif, l’enjeu est en effet que la région soit commanditaire de la future convention, sinon beaucoup d’énergie aura été mobilisée en vain – un risque à prendre. Pour que sa portée soit réelle, la démarche doit être portée par les citoyens et par l’exécutif régional. Et compte tenu tant des particularismes locaux en matière environnementale que de l’étendue des compétences régionales, l’échelle d’action paraît pertinente.

« Les conventions sont une innovation démocratique majeure, observe Christian Paul, mais pas parfaite. Elles posent la question de la représentativité et du mandat accordé. » Et de conclure : « La transition écologique ne réussira que si la participation citoyenne est encouragée », en se gardant des tentations du « jacobinisme vert », nouvel avatar de l’exercice vertical du pouvoir. La transition écologique est l’occasion d’un renouveau démocratique, quel que soient les outils employés. Et c’est sans aucun doute une occasion à ne pas manquer.

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