Revue
Anticipations publiquesComment la participation peut-elle accompagner les transitions de demain ?

Cette question a été au cœur des 8e Rencontres de la participation citoyenne qui se sont tenues à Toulouse en juillet 20241. Horizons publics a assisté à trois temps forts : un atelier en intelligence collective sur la manière de rater une démarche participative, la présentation de deux exemples inspirants de participation citoyenne à Marseille et Toulouse, et une présentation du Digital Participation Système (DIPAS), système de participation citoyenne digitalisée utilisé à Hambourg en Allemagne.
Réussir une démarche participative, mode d’emploi
L’atelier « Comment rater une démarche participative ? » s’est déroulé en visioconférence. Coanimé par l’urbaniste Aurélie Corbineau et Alyssa Gout de l’agence Polyphonie, il a permis à des groupes de cinq participants de réfléchir aux ingrédients qui pouvaient faire échouer le processus de participation citoyenne. Chaque groupe a réuni dans un chaudron virtuel ces différents ingrédients. Cela allait d’un objectif flou à un résultat prédéterminé en passant par des horaires inadaptés ou encore l’absence d’acteurs clés dans le processus de dialogue et de décision. À l’issue de ce travail en intelligence collective, Aurélie Corbeau a proposé une méthode, cocréée avec les apports méthodologiques de Pascal Jarry et Aline Guérin, afin de réussir une telle démarche. En voici les principales étapes :
1. Poser le cadre :
- Quel est l’objectif participatif, quel est le besoin ? Pourquoi faire de la participation sur ce projet ? Quel est le public ciblé ?
- Quel est le niveau d’implication citoyenne proposé : Information ? Consultation ? Co-construction ? Codécision ?
- Quel est le champ du débat ? Qu’est-ce qui est en dehors du champ du débat ?
- Qui va décider in fine du sujet ? Quel est l’engagement de prise en considération dans la décision ? La décision va-t-elle être motivée ?
2. Piloter :
- Qui sont les maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre de cette démarche participative ? Le public ou les partenaires sont-ils associés au pilotage ?
- Quel est le budget d’investissement et de fonctionnement dédié à cette démarche participative ?
- Quel est le phasage du processus participatif ? Le planning du projet global est-il coordonné avec le planning du processus participatif ? Faut-il prévoir plusieurs temps d’animations ?
3. Animer :
- Par rapport à vos objectifs, besoins, à votre public à mobiliser, et au niveau d’implication souhaité, quelle forme de participation semble la plus pertinente ? Un atelier dans la rue ? Un questionnaire ? Un vidéomaton ? Un atelier en salle ?
- Lieu/jour/heure : le lieu, le jour et l’heure choisis sont-ils pertinents par rapport à l’objectif, par rapport au public que vous voulez mobiliser ?
- Modalités d’animation des échanges : avez-vous prévu un accueil spécifique pour mettre en confiance ? Avez-vous besoin d’un tiers animateur ? Comment allez-vous disposer la salle/le lieu ? Comment allez-vous faire circuler la parole ?
4. Mobiliser, restituer, communiquer :
- Modalités d’informations et de mobilisation du public : comment allez-vous faire en sorte que le public participe à la concertation ? Est-ce avec une invitation, une parution, un affichage, une mobilisation des réseaux, des relais, aller vers, etc. ?
- Modalités de restitution des échanges : qui va élaborer un compte-rendu ? Sous quelle forme (écrit, dessin, vidéo) ? Comment allez-vous le diffuser : En l’affichant dans un lieu, dans l’espace public, en le diffusant par mail, sur Internet ? Quelle traçabilité ? Quelle valorisation des parties prenantes ?
- Communication : comment allez-vous communiquer globalement sur votre action, avant, pendant, après ?
5. Évaluation :
- Sur quels critères ou indicateurs allez-vous évaluer ? Qui va s’occuper de l’évaluation ? Est-ce que le public participera à l’évaluation ?
De la co-construction à la co-gestion des espaces publics, retour d’expériences de Marseille et Toulouse
La démarche « Prenez place » expérimentée sur la place Sébastopol à Marseille ainsi que les jardins partagés et le projet « Des fleurs sur mon mur » à Toulouse constituent des exemples d’actions impliquant les citoyens dans la co-construction voire la co-gestion des espaces publics.
La démarche « Prenez place » expérimentée à Marseille
Marseille compte 1 million d’habitants, la métropole Aix-Marseille-Provence 2 millions et 92 communes. La ville est organisée en 8 secteurs et 16 arrondissements. La place Sébastopol se situe dans le secteur 3 comprenant les IVe et Ve arrondissements. Si le territoire est jeune en matière de démocratie participative, la volonté politique est là et des instances existent telles que l’assemblée citoyenne du futur, le conseil des jeunes ou encore le dispositif « Rues aux enfants ».
Le territoire comprend des zones où 50 à 60 % de la population se trouve sous le seuil de pauvreté. À cela s’ajoute une habitude bien ancrée, le tout voiture et son corollaire, une mauvaise desserte des transports en commun. Les places publiques servent souvent de parking, perpétuant les îlots de chaleur urbains.
Dans ce contexte, la place Sébastopol, restée à l’identique depuis vingt ans, doit faire l’objet d’un réaménagement. Cet espace de 7 000 m2 ne possède aucun îlot de fraîcheur, le revêtement est imperméable. La place est organisée sous forme de carrefour entouré de commerces. Tous les matins s’y déroule un marché très populaire, qualifié par les habitants de « place de village ». Le projet devra se construire autour de plusieurs axes : la végétalisation, la désimperméabilisation, le renforcement du dynamisme économique, l’apaisement.
La méthode choisie, expérimentale, se veut participative et innovante. Les utilisateurs seront associés tout au long du processus. La phase pré-opérationnelle assurée par la ville permettra ensuite la réalisation d’un programme de requalification à la charge de la métropole (compétente pour l’exécution). Dans ce projet, on inclut la nécessité de prendre le temps afin d’accompagner le changement.
Grâce à des questionnaires et des entretiens menés avec des acteurs clés, on obtient une première remontée d’informations. Ensuite, le processus de ce projet urbain est piloté à la fois par le programmiste et le prestataire de la concertation. Il comprend plusieurs temps forts à commencer par une journée de piétonnisation et de festivalisation de la place autour du thème du développement durable. S’ensuit toute une série d’ateliers avec les différents acteurs publics, notamment les commerçants et un public scolaire. Puis trois grandes hypothèses, trois scénarios pour l’avenir de la place sont conçus. Une deuxième édition de « Prenez place », le 14 avril 2024 (la première remonte au 18 juin 2023) a lieu sur le thème du sport et des Jeux olympiques afin d’éprouver la place autrement et surtout sans voitures. La prochaine étape démarrera en septembre 2024, des aménagements transitoires permettront de tester les trois scénarios imaginés.
L’enjeu de ce projet pour la municipalité est de réussir à capitaliser sur ses enseignements avec l’idée de pouvoir le dupliquer ailleurs. L’acculturation des services et des élus nécessitera certainement du temps. À cela s’ajoute une autre difficulté, les délais très longs jusqu’à la réalisation de travaux prévus après 2026, alors que la phase de concertation a démarré en novembre 2022.
Les jardins partagés et le projet « Des fleurs sur mon mur » à Toulouse
À Toulouse, deux initiatives plus modestes se situent à l’intersection entre co-construction et co-gestion avec les habitants. Pour rappel, la ville rose est la quatrième commune la plus peuplée de France avec 504 000 habitants, la deuxième en superficie et la quatrième ville étudiante du pays. À travers différents dispositifs, la mairie autorise des citoyens à gérer une petite partie de l’espace public. L’idée consiste à inciter citoyens et entreprises à accompagner la transition écologique, notamment en faisant des expérimentations. C’est le cas du pont Saint-Pierre, dont la circulation s’est d’abord effectuée à sens unique à partir du mois d’avril, désormais piéton pendant quatre mois. Cette mesure d’urbanisme tactique devrait permettre d’accompagner le projet d’aménagement. Quant au défi « Toulouse + verte », il récompense des initiatives vertueuses d’entreprises en matière de plantations (arbres, potagers, etc.).
Le plan « Nature en ville » lancé par la municipalité vise à donner plus de place à la nature en ville, avec notamment un objectif de planter 100 000 nouveaux arbres d’ici à 2030. Dans cet esprit, l’aménagement de l’île du Ramier vise la désartificialisation et la végétalisation de vastes emprises pour créer un poumon vert accessible à tous. Ce plan entend associer les citoyens à la transition écologique, notamment en partenariat avec des associations comme les Ateliers citoyens pour l’écologie de quartier. Une autre mesure consiste à installer des composteurs dans des jardins publics. L’installation nécessite 30 habitants puis l’entretien est co-géré par les habitants.
Toulouse compte aujourd’hui 28 jardins partagés (le premier fut installé au Mirail), le plus souvent potagers, entretenus par des citoyens, adhérents d’associations et signant une charte. Au-delà de l’aspect esthétique et environnemental, ces jardins constituent des outils exemplaires en termes de lien social.
Enfin, l’opération « Des fleurs sur mon mur » invite les Toulousains à végétaliser les façades de leurs maisons, immeubles ou commerces. Après en avoir fait la demande, les habitants peuvent végétaliser ou fleurir un pied d’arbre devant leur domicile ou végétaliser une barrière de ville le long du trottoir devant leur habitation ou commerce. Enfin, un collectif associatif peut également se charger de la végétalisation d’un espace public hors jardins publics. Dans ce cas, un travail préparatoire du sol de la parcelle est réalisé par la collectivité, le collectif prend ensuite le relais pour se procurer les plantes et les entretenir. Toulouse compte aujourd’hui 500 murs fleuris, ce qui contribue à amener la nature en ville, à encourager la biodiversité, à améliorer le cadre de vie et à créer du lien social.
Hambourg et son système de participation citoyenne numérique
Depuis 2012, la ville de Hambourg en Allemagne dispose du DIPAS, un système de participation citoyenne numérique, lancé officiellement par Olaf Scholz alors bourgmestre de la ville. Il vise à inciter les habitants à participer à la fabrique de la ville en s’intéressant à tous types de sujets locaux : l’environnement, le logement, l’urbanisme, les mobilités, etc.
Ce système part du postulat que la participation en ligne est un processus à la fois transparent, compréhensible par tous, démocratique, rentable. Dans ce système l’information et la donnée sont d’accès facile et égal pour tous. Pour développer le DIPAS, le ministère de l’Urbanisme et du Logement, l’agence de l’informatique et des sondages ainsi que le City Science Lab de la Hafen City Universitat ont travaillé conjointement. La méthode repose sur une combinaison de modalités, de la participation en ligne ainsi que des événements en présentiel. L’outil numérique permet de s’informer, d’échanger des idées, de faire des feedbacks.
Au cœur du dispositif l’application plan permet aux utilisateurs de déposer leurs contributions, de poser des questions, de poster des remarques directement associées à des projets précis.
Lors des événements en présentiel de grandes tables tactiles complètent le dispositif. Elles permettent de visualiser le potentiel de l’outil (avoir notamment accès aux données sur la ville d’Hambourg en open source), et d’encourager le dialogue entre les personnes responsables de la planification urbaine et les citoyens.
S’il existe déjà de nombreux plans, la prochaine étape consistera à intégrer des plans en 3D au DIPAS. Ces plans, essentiels pour la planification urbaine, sont traditionnellement utilisés par des experts pour envisager des scénarios spécifiques. Mais, ils peuvent être extrêmement utiles dès le lancement d’un projet de design urbain et seront donc intégrés à l’interface utilisateur. Les utilisateurs pourront ainsi déplacer des objets 3D en fonction de plusieurs critères, par exemple la présence de zones ombragées ou encore des lieux touchés par la pollution sonore.
Avec le DIPAS le nombre de feedbacks des utilisateurs a considérablement augmenté. Les données devenant plus complexes à analyser et évaluer, pour filtrer, classifier et regrouper les tendances et aspects qui évoluent pendant le processus, on utilise le machine learning2.
Grâce aux idées des citoyens, le DIPAS entend améliorer le processus de planification urbaine tout comme l’acceptation des changements. Comme il s’agit de données en open source, tout un chacun peut les utiliser ; les concepteurs du DIPAS espèrent que de nombreuses institutions, ministères et agences publiques, en Allemagne et à l’étranger, pourront s’en saisir. Entre 2016 et 2019, 33 processus de participation en ligne ont eu lieu, 500 000 pages ont été vues, 13 500 contributions et 1 600 commentaires déposés, pour près de 5 000 participants à des sondages.
- Organisées par l’association Décider ensemble et Toulouse métropole.
- Cette technologie vise à apprendre aux machines à tirer des enseignements des données et à s’améliorer avec l’expérience, au lieu d’être explicitement programmées pour le faire.