Pourquoi les élus d’opposition démissionnent-ils trois fois plus ?

Le 18 septembre 2025

Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontés les élus d’opposition locale ? Pourquoi les conseillers municipaux d’opposition démissionnent-ils trois fois plus que ceux de la majorité ? Comment y remédier ? Éléments de réponse avec Aurore Granero, qui a coordonné le livre blanc Pour un statut de l’élu local d’opposition publié en mai 2025.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à travailler spécifiquement sur l’élu local d’opposition ?

Mon intérêt pour les élus d’opposition est né d’un constat frappant lors de mes recherches avec Anne-Cécile Douillet sur les démissions des maires1. En creusant, il est possible de constater que derrière ce phénomène largement médiatisé se cachait une hémorragie silencieuse bien plus massive, celle des conseillers municipaux et particulièrement de l’opposition : 19 % des élus d’opposition ont démissionné depuis 2020, soit trois fois plus que la majorité. Pourtant, si le rôle des maires est fondamental et de plus en plus pesant, la vie d’une commune repose sur une équipe et non une seule personne. J’ajoute enfin que les élus d’opposition sont véritablement bénévoles, car ils ne reçoivent pas – ou c’est très rare – d’indemnités. Or, nos recherches montrent que les élus d’opposition réclament légitimement « plus de débats » dans des conseils perçus comme des « chambres d’enregistrement » et « plus d’inclusion » sur les projets qui engagent notamment les finances de la collectivité.

Granero A. (dir.), Pour un statut de l’élu local d’opposition. Recommandations pour renforcer la démocratie locale par la reconnaissance du rôle des oppositions, mai 2025, Observatoire de l’éthique publique.

Pourquoi les élus d’opposition démissionnent-ils trois fois plus que ceux de la majorité ?

À mon sens, et même s’il existe plusieurs raisons, je pense que la principale cause de démission des élus de l’opposition résulte du « désenchantement » de la vie politique locale. Autrement dit, beaucoup de conseillers ont cru à la démocratie locale, pensant qu’ils pourraient agir, mais, très rapidement, ils se retrouvent confrontés à la réalité de la vie politique locale : la prise de décision demeure entre les mains de l’exécutif et de sa majorité. Beaucoup d’élus d’opposition relatent même des situations où ils apprennent les projets municipaux par les habitants eux-mêmes, au hasard d’une conversation à la boulangerie ou dans la rue. L’absence de moyens pour débattre lors des séances du conseil municipal, le manque d’informations ou encore la quasi-impossibilité de présenter leurs projets sont les principaux motifs de démission des conseillers d’opposition qui ne souhaitent pas ou plus être de simples figurants.

Quels sont les obstacles les plus significatifs et comment vos propositions visent-elles à les lever ?

Il est très difficile de dresser un inventaire des obstacles à la vie démocratique, mais, comme le note Rémi Lefebvre, ce sont des facteurs multiples qui expliquent la faiblesse de l’opposition : la culture du consensus, les règles électorales, la force des exécutifs adossée aux services administratifs, les faiblesses du droit et des moyens alloués, un travail des médias locaux trop peu centré sur le pluralisme et la critique des pouvoirs municipaux. Toutefois, il ne fait guère de doute que la principale entrave à l’action de l’opposition demeure la faiblesse du « parlementarisme » local dû principalement à l’absence de séparation entre organes exécutifs et délibérants, et qui aboutit à limiter drastiquement les pouvoirs réels des assemblées et de leurs membres, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition d’ailleurs. Néanmoins, il ne faudrait pas généraliser, et garder à l’esprit que la situation et la liberté de l’opposition locale dépendent fortement de la volonté politique de l’équipe municipale (maire et bureau) de lui accorder une place ou non.

Parmi les 27 propositions formulées dans votre livre blanc pour renforcer les droits de l’opposition, plusieurs concernent l’organisation des travaux de la collectivité et la possibilité de contrôler l’exécutif. Quelles sont, selon vous, les trois ou quatre propositions phares qui auraient l’impact le plus transformateur sur la capacité de l’opposition à exercer pleinement son rôle de contre-pouvoir démocratique ?

Tout d’abord, il me semble que la proposition d’enregistrer et de diffuser les séances des conseils municipaux est très importante et contribuerait à une « petite révolution » démocratique et de transparence. Cette disposition aurait non seulement pour conséquence d’améliorer la qualité des débats en dissuadant les comportements inappropriés (parce que les élus savent qu’ils sont filmés), mais également de permettre à l’opposition de rapporter des preuves de toutes les paroles prononcées lors des conseils évitant ainsi « les oublis » parfois volontaires de quelques informations au sein des procès-verbaux des séances des assemblées délibérantes. Par ailleurs, même les plus petites communes peuvent facilement mettre en place cet outil grâce aux technologies numériques accessibles et peu coûteuses. C’est autant un instrument de responsabilisation qu’un levier permettant à chaque citoyen de suivre concrètement l’action de ses élus.

Ensuite, il me paraît nécessaire d’allonger les délais de convocation pour permettre aux élus d’opposition de s’approprier les différents textes qui leur sont soumis et surtout d’en avoir une vision éclairée pour pouvoir ensuite en débattre. L’ensemble des élus, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité, est unanime pour dire qu’aujourd’hui ils font face à des décisions de plus en plus techniques, qui demandent du temps pour être maîtrisées. Or, les délais sont trop contraints (5 jours pour les communes de plus de 3 500 hab. et même 3 jours pour les plus petites), et ne sont plus en adéquation avec la vie personnelle et professionnelle des élus mais aussi avec les exigences d’un débat démocratique de qualité. Il s’agit donc d’une disposition qui ne suppose pas une réforme d’ampleur, autrement dit, elle semble facile à mettre en œuvre et, dans le même temps, elle offrirait un meilleur accès à l’information pour les élus d’opposition.

Sur le même thème du droit à l’expression, il semble important de garantir un temps de parole à l’opposition dans la mesure où le maire contrôle totalement l’organisation des débats et peut, de fait, limiter le temps d’expression de l’opposition. Or, quand elle existe, cette « censure déguisée » nuit au débat démocratique effectif et ne permet pas d’enrichir les projets ou décisions.

Enfin, une dernière proposition concerne l’intercommunalité et, si elle n’est pas inédite, elle transformerait en profondeur la nature même des intercommunalités qui souffrent de légitimité. Beaucoup de citoyens s’intéressent peu à leurs intercommunalités, alors même que ce sont aujourd’hui elles qui concentrent de nombreuses compétences, les budgets, et qui permettent d’organiser la vie quotidienne des administrés. En instaurant le suffrage universel direct sur une circonscription unique, la proposition no 23 offrirait la possibilité de créer de véritables programmes politiques intercommunaux et donc que chaque citoyen puisse réellement choisir ses représentants. Dès lors, cette réforme aurait pour conséquence de faire émerger une opposition structurée et légitime, sortant de la logique où l’intercommunalité reste aux mains des maires.

Le livre blanc consacre une partie spécifique aux intercommunalités, décrivant une « impossible définition de l’opposition intercommunale ». Pourquoi la notion d’opposition est-elle particulièrement complexe à appréhender dans le cadre intercommunal ?

Comme le souligne Sébastien Bénétullière, l’intercommunalité présente une « schizophrénie institutionnelle » unique qui explique cette complexité. L’intercommunalité concilie difficilement représentation géographique (les communes) et représentation politique (les tendances partisanes). Contrairement aux autres collectivités, elle rassemble d’abord des communes et leurs délégués, et non pas des programmes politiques opposés. Sans un véritable suffrage universel direct, l’intercommunalité ne connaît pas le système binaire traditionnel majorité/opposition. Les élus communautaires sont d’abord les représentants de leur commune, ce qui a pour conséquence de créer des logiques « communalistes » qui se superposent aux clivages politiques. Finalement, n’importe quel élu peut se déclarer d’opposition à tout moment, sans condition. Cette situation peut conduire à des cas extrêmes où les minorités sont surreprésentées au détriment de l’efficacité intercommunale. C’est pourquoi nous proposons, à défaut de l’élection directe des représentants intercommunaux sur circonscription unique (pour faire émerger une véritable « opposition ») de clarifier à tout le moins la notion d’opposition en imposant des conditions minimales (au moins deux communes ou 10 % des communes membres).

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