Et si la tech pouvait sauver le monde ?

Fatie Toko
Le 10 septembre 2024

Dans Et si la tech pouvait sauver le monde ?1, Fatie Toko – directrice de la transformation et de l’innovation data et intelligence artificielle (IA) au sein du groupe La Poste – recense des innovations technologiques dans différents domaines : la santé, l’éducation, la protection des plus vulnérables, l’environnement, la ville intelligente, etc. Elle apporte également un éclairage international à travers des initiatives développées en Côte d’Ivoire, au Kenya et dans plusieurs pays d’Afrique.

Comment est née l’idée de votre livre ?

Depuis quatre ans, je résumais des livres sur les nouvelles technologies dans mon blog (une quarantaine au total). Je ne trouvais pas d’ouvrage à l’optimisme franc ou assumé sur le sujet. J’ai commencé à recenser toutes les solutions existantes sur l’IA, la data et le digital en général pour en faire un reportage. De fil en aiguille, je me suis retrouvée avec 150 pages de textes. À travers cet ouvrage résolument optimiste, j’ai voulu partager ces découvertes et les convictions forgées au fil de mes lectures, de mes rencontres et de mon expérience.

Affirmer tout d’abord que le succès de l’innovation dépend de nos usages. Ensuite, porter un regard décentré sur les nouvelles technologies en montrant que c’est une affaire de perception. Je suis franco-ivoirienne, je voyage beaucoup en Afrique et j’ai rencontré de nombreux entrepreneurs et d’entrepreneuses. J’ai constaté que les gens portent un regard plus positif sur les nouvelles technologies, probablement du fait de la structure démographique de ces pays plus jeunes qui doivent saisir ces opportunités pour accélérer leur développement économique. Pour l’Organisation des Nations unies (ONU), les nouvelles technologies peuvent accélérer 70 % des cibles des objectifs de développement durable (ODD). Il est important de faire savoir qu’il existe des solutions et des initiatives déjà engagées. De nombreux cas d’usages sont identifiés et déployés pour lutter contre la pauvreté, améliorer l’accès à l’éducation et la santé et permettre un accès plus égalitaire à l’ensemble des services publics.

J’ai voulu aussi montrer que les débats d’experts surestiment l’impact des nouvelles technologies et font de ces outils des boucs émissaires. Quand nous analysons nos vies, nous nous rendons qu’elles restent très ancrées dans le réel, nous sommes traversés par des émotions : angoisses, peurs, passions, etc. La défaillance de nos systèmes sociétaux et l’usage que font les jeunes des technologies sont liés à nos propres choix. La technologie n’est qu’un outil et nous devons assumer et exercer notre responsabilité individuelle et collective et faire le choix d’usages plus bénéfiques pour la société et l’humanité.

Quels ont été vos points d’étonnement ?

Je travaille dans ce domaine, pourtant grâce aux échanges avec des scientifiques, j’ai été surprise de voir les nombreuses solutions développées pour concevoir des algorithmes plus frugaux et des pratiques plus responsables. J’ai également été étonnée de constater à quel point notre vision de la société et nos idéologies influencent la manière dont nous orientons l’usage des technologies. J’ai été agréablement surprise de voir comment les personnes évoluant dans ce domaine sont passionnées, mues par l’intelligence humaine et l’envie de contribuer au progrès humain. Aucun des entrepreneurs ou entrepreneuses rencontré·es n’utilisait la technologie « pour la technologie », ils·elles étaient tous motivé·es par une envie de faire évoluer nos valeurs, de participer à une croissance plus responsable, plus durable.

À quelles conditions la tech sauvera-t-elle le monde ?

La première condition est la sensibilisation, la formation auprès de tous les publics, quels que soient l’âge ou la partie du monde où nous nous trouvons. J’échange régulièrement avec des jeunes utilisant ChatGPT : ils ne savent pas comment cela fonctionne. Il faut leur apprendre à utiliser les outils de leur temps. Dans le livre, je fais souvent référence à Michel Serres qui a longtemps exprimé l’importance d’accompagner les jeunes dans ces usages au lieu de les blâmer. J’ai fait lire le livre à des jeunes de vingt ans utilisant quotidiennement ChatGPT et les réseaux sociaux : ils ont été étonnés de découvrir l’importance de comprendre le fonctionnement des algorithmes pour pouvoir exercer leur libre arbitre.

La seconde condition est certainement le besoin en matière d’investissement financier. Une grande partie des initiatives présentées sont éparses et liées à la bonne volonté de ces entrepreneurs et entrepreneuses. Il faut des investissements importants pour coordonner et accélérer ces initiatives et des efforts importants en matière de régulation pour se prémunir des dérives potentielles que nous devons anticiper. Enfin, je dirais que le sujet de la diversité doit être au cœur de l’innovation technologique. Il faut s’assurer que tous les âges, tous les genres et toutes les origines sociales sont bien représentés parmi les experts qui conçoivent les algorithmes afin d’éviter de développer des solutions qui intègrent des biais.

Fatie Toko

Fatie Toko est directrice de la transformation et de l’innovation Data & IA (La Poste). Elle est également intervenante à l’ESSEC Executive Education au sein de programmes de formation, en France et au Maroc, sur le thème des nouvelles technologies et de la stratégie Data & IA des organisations.

J’ai fait lire le livre à des jeunes de vingt ans utilisant quotidiennement ChatGPT et les réseaux sociaux.

Vous avez réécrit plus de la moitié du livre après l’arrivée de ChatGPT…

Effectivement. J’ai commencé mon reportage pendant le deuxième confinement, en 2021, j’ai mené plusieurs interviews en 2022, mais en 2023, après l’arrivée de ChatGPT, j’ai réécrit plus de la moitié du livre. Cette année a été inédite, marquée par des ruptures technologiques majeures qui ont permis de mettre, avec ChatGPT, la technologie à la portée de tous et de toutes. Maintenant que le livre est publié, j’ai l’impression d’avoir écrit un ouvrage sur cette année 2023 qui aura marqué l’histoire des usages de l’IA. J’étais au cœur de la machine, c’était passionnant !

Vous parlez aussi de l’accueil du livre, d’une certaine maturité sur le sujet…

Je constate que ce livre répond à une attente forte du grand public. Certains libraires présentent mon livre avec celui de Gilles Babinet sur l’IA au service des enjeux climatiques2 et d’un autre ouvrage de Serge Abiteboul et François Bancilhon, sur les communs numériques3. C’est un signe des temps, je ne suis pas seule à porter cette vision optimiste et exprimer cette nécessité de mettre la technologie au service de la transition vers un monde plus durable, plus responsable et plus juste. Nous sommes plus matures sur le sujet des nouvelles technologies. Nous commençons à nous dire qu’il n’est pas raisonnable de les diaboliser, mais, au contraire, d’expliquer le potentiel d’impact positif, de les démocratiser, d’accompagner leur développement pour en faire un bon usage.

Toko F., Et si la tech pouvait sauver le monde ? IA, ChatGPT, Metavers… au service du progrès humain, 2024, Éditions de l’Aube.

  1. Toko F., Et si la tech pouvait sauver le monde ? IA, ChatGPT, Metavers… au service du progrès humain, 2024, Éditions de l’Aube.
  2. Babinet G., Green IA L’intelligence artificielle au service du climat, Gilles Babinet, 2024, Odile Jacob.
  3. Abiteboul S. et Bancilhon F., Vive les communs numériques ! Logiciels libres, Wikipédia, le Web, la science ouverte, etc., 2024, Odile Jacob.
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