Alexis Deprau: «Tant que les mentalités n’auront pas évolué sur le sujet du handicap, le plus parfait des dispositifs juridiques restera inabouti»

Alexis Deprau
Le 17 avril 2024

Essayiste, docteur en droit public de l’université Paris II Panthéon-Assas et titulaire du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA), Alexis Deprau est juriste dans une institution publique. Il a publié récemment Emploi et handicap dans la fonction publique. Un ouvrage de référence qui brosse le cadre juridique de la prise en compte du handicap dans le droit de la fonction publique, évalue les mesures déjà mises en œuvre et apporte des pistes de réflexion sur ce qui pourrait être amélioré.

Couverture du livre Emploi et handicap dans la fonction publique

Quels nouveaux droits ont été accordés aux personnes en situation de handicap avec la loi de transformation de la fonction publique (L. n° 2019-828, 6 août 2019) ?

 

Les droits accordés aux personnes en situation de handicap par cette loi doivent être observés à plusieurs titres. Elle a tout d’abord inscrit dans le Code général de la fonction publique la nécessité d’employer des bénéficiaires de l'obligation d'emploi dans la proportion minimale de 6 % de l'effectif total de ses salariés.

 

Mais elle a par ailleurs modifié les dispositions statutaires en faveur de l’égalité de traitement des travailleurs handicapés, pour leur permettre bel et bien « d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification de développer un parcours professionnel et d'accéder à des fonctions de niveau supérieur ainsi que de bénéficier d'une formation adaptée à leurs besoins tout au long de leur vie professionnelle ».

 

Autre disposition essentielle, a été instauré le référent handicap, chargé d'accompagner l’agent tout au long de sa carrière et de coordonner les actions menées par son employeur en matière d'accueil, d'insertion et de maintien dans l'emploi des personnes handicapées. Ce dernier sera aussi présent pour tout changement d’emploi dans le cadre d’une mobilité. Nous ne pouvons que nous féliciter de ce dispositif, pertinent, humain, pour ne pas dire d’une nécessité impérieuse.

 

Surtout, la loi de transformation de la fonction publique a déployé des dispositifs expérimentaux concernant respectivement la titularisation à l’issue d’un contrat d’apprentissage, le détachement et l’intégration directe pour la promotion interne des fonctionnaires handicapés, ou encore l’aménagement des épreuves d’examen (étendue à tous les candidats en situation de handicap et non aux seuls candidats bénéficiant de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé).

 

Ces mesures purent enfin trouver une pleine application grâce à l’édiction de trois décrets spécifiquement édictés à cet effet, rendant possibles cette meilleure prise en compte des agents en situation de handicap au sein de la fonction publique.

Quel bilan peut-on en tirer de la loi de transformation de la fonction publique (L. no 2019-828, 6 août 2019) sur la situation des personnes en situation de handicap (PSH) dans la fonction publique ?

On ne peut pas nier que cette loi a apporté des avancées attendues et non négligeables, mais le handicap est loin d’être pris en compte partout dans la fonction publique.

Des efforts ont été fournis, et notamment avec la création des référents « handicap », les agents en situation de handicap pouvant bénéficier d’une écoute et d’un accompagnement bienvenu, sinon nécessaire. En termes d’aide et d’accompagnement, le bilan ne peut qu’être positif grâce à ces référents handicap, et à la portabilité des équipements.

Il en va quelque peu différemment concernant l’accès à l’emploi. Certes, et si l’on s’en tient au respect du taux d’emploi légal au sein de la fonction publique de 6 %, ce taux n’est toujours pas atteint, hormis pour la fonction publique territoriale (6,72 %). Bien entendu, et fort heureusement ce taux est constante évolution, passant ainsi de 3,74 % en 2006 à 5,49 % dans les trois versants de la fonction publique en 2017 pour se stabiliser à 5,45 % en 2022.

À ce niveau-là, le bilan est en demi-teinte, entre des efforts dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale, et un retard conséquent dans la fonction publique d’Etat, dont le taux n’atteignait que 4,36% en 2022… 

Outre la loi de transformation de la fonction publique stricto sensu, le bilan de l’emploi des personnes en situation de handicap n’est pas satisfaisant. Il faut rappeler qu’en 2019 le taux de chômage des personnes handicapées s’élevait à hauteur de 19 %, un chiffre deux fois plus élevé que la moyenne nationale (10 %).

Cette loi a peut-être permis de rompre les digues. Seulement, on se rend compte parfois qu’au-delà de la loi, la difficulté se trouve au sein même de l’environnement professionnel et non directement au regard de cette loi et de son application. Il peut y avoir des incompréhensions et les stéréotypes ont encore la vie dure au quotidien. Ce qui peut amener les personnes en situation de handicap à ne pas en parler et tronquer le bilan de l’application de cette loi.

En tout état de cause, nous connaitrons le résultat officiel du bilan à l’issue de la fin de cette période expérimentale, en espérant fortement que les mesures temporaires soient pérennisées.

Quelles pistes d’action et de réflexion pour améliorer la prise en compte des PSH dans la fonction publique ?

Là encore, plusieurs pistes qui sont loin d’être déraisonnables peuvent être proposées. Tout d’abord, favoriser l’insertion dans l’emploi pourrait enfin passer par la proposition de parcours de qualification plus adaptés aux demandeurs d’emploi en situation de handicap, notamment pour les métiers sous tension.

Il s’agirait ensuite de recruter plus tout en recrutant mieux, le recrutement contractuel en vue d’une titularisation concernant essentiellement les postes de catégorie B et C. Quid des catégories A ? S’il faut saluer l’effort de la mise en place d’une procédure dérogatoire pour l’accès à la fonction publique, les postes proposés ne concernent des postes de catégorie A dans une proportion beaucoup plus faible, et une proportion quasi-inexistante pour les postes de catégorie A+. Que faut-il en conclure ? Le handicap ne doit pas préjuger de la capacité des candidats à disposer d’une expérience professionnelle, ni même d’un cursus universitaire satisfaisant voire étoffé. Il semble paradoxal, pour ne pas dire hypocrite, d’accepter des candidats en situation de handicap, tout en leur refusant la porte à des postes de catégorie A ou A+.

Il en va malheureusement de même concernant la procédure dérogatoire du détachement sur un poste de catégorie ou de niveau supérieur. Non seulement ce dispositif est peu déployé, mais il l’est encore moins pour les gens de catégorie A qui pourraient prétendre à un détachement vers la catégorie A+ (si ces derniers respectaient les conditions pour candidater). Dont acte...

Dernière piste, faire évoluer les mentalités, une gageure ? Oui, tant que les mentalités n’auront pas évolué à ce sujet, le plus parfait des dispositifs juridiques restera inabouti. Tant que la perception des handicapés restera ce qu’elle est, une perception différente qui n’a seulement lieu que parfois pour certains, mais souvent pour d’autres, voire trop souvent pour les derniers, il sera difficile de faire bouger les lignes.

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