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Un « aller vers » les citoyens version vélo à Rennes

Dispositif mobile à vélo
L'expérimentation a été lancée en juillet et s’est déroulée jusqu’en décembre 2022 à raison d’une quinzaine de sorties d’une durée d’une journée environ (temps de préparation des sorties, trajets, briefing et débriefing compris) dans différents endroits des 2 quartiers ciblés.
©Ti Lab & PIMMS de Rennes.
Le 24 octobre 2023

Dans le cadre d’une démarche « d’aller vers » les citoyens pour les accompagner notamment dans l’accomplissement des démarches administratives dématérialisées du quotidien, des acteurs rennais de l’innovation, de la recherche et de la médiation socio-numérique ont imaginé un dispositif mobile à vélo. Une expérience qui semble positive tant pour les citoyens que pour les professionnels de la médiation.

La dématérialisation à marche forcée des démarches administratives a laissé sur le bord de la route des millions de françaiséloignés ou carrément exclus du numérique, victimes de maltraitance administrative, venant ainsi amplifier le phénomène du non-recours aux droits sociaux. C’est dans ce contexte qu’ont été menés de nombreux travaux de recherche, comme ceux du LabAccès,afin de mieux comprendre les attentes des gens face à ces difficultés et les évolutions nécessaires du domaine de la médiation socio-numérique. « Le spectre des besoins se révèle assez large : de l’aide, à une démarche administrative, à l’acquisition de compétences numériques, en passant par la réparation d’un appareil », expliquent Elise Després, responsable-adjointe du Ti Lab, laboratoire régional d'innovation publique et Gwendal Briand, co-fondateur et coordonnateur des activités de Collporterre, qui précisent toutefois qu’en matière de démarche administrative la première des difficultés est de formuler la bonne question. On peut donc très vite se retrouver perdu dans les méandres des démarches administratives, qui plus est dématérialisées, puisque c’est à un écran que l’on a à faire ! Le contact humain avec le service public est donc essentiel avec des médiateurs disponibles pour chaque personne qui se présente. Or, la fermeture de nombreux guichets (impôts, Caf…), suite au retrait de l’État dans les territoires, phénomène accentué par la fermeture, certes temporaire, des services publics durant la pandémie, a posé le problème du rapprochement avec les citoyens qui ne venaient plus ou pas dans les locaux administratifs.

Réflexions, travaux de recherche et expérimentations ont été mis en place sur « l’aller vers » pour tenter de trouver des réponses et lutter ainsi contre le phénomène du non-recours aux droits sociaux.

Un dispositif mobile déployable en moins de 15 minutes

C’est ainsi, que le Ti Lab et le PIMMS, accompagnés par Collporterre, ont mené conjointement le projet Medlové qui a consisté à « aller vers » les habitants de deux quartiers de Rennes au moyen de vélos désignés spécialement (voir photos) pour la médiation socio-numérique dans la rue.

Dispositif mobile à vélo

Le Ti Lab et le PIMMS de Rennes ont expérimenté un dispositif mobile à vélo avec trois modules indépendant les uns des autres, ce qui permet de scénographier l’espace de médiation mobile : le module principal, le modèle confort et le module Bonjour.

« En fait, l’idée de départ était d’avoir, en milieu urbain, un dispositif mobile déployable en moins de 15 minutes. Le PIMMS avait ainsi testé lors de la crise sanitaire un camion dédié à la médiation socio-numérique, mais on pourrait faire l’expérience avec un sac à dos ou encore une valise car le matériel requis est peu encombrant. Le vélo n’était donc pas exclusif. Toutefois, ce type de mobilité douce, autre sujet du moment, est venu se croiser avec notre volonté de connaître les effets d’une médiation au sein d’un espace public. D’où le projet Medlové », précisent Elise Després et Gwendal Briand.

C’est ainsi, qu’à partir du printemps 2022, le Ti Lab et le PIMMS sont, dans un premier temps, partis sur le terrain à la rencontre d’acteurs d’espaces sociaux de Rennes (maisons de quartiers, association d’éducation populaire, association des centres sociaux, bailleurs sociaux…) dont certains avaient déjà expérimentés des dispositifs « d’aller vers ». Au total, une demi-douzaine de personnes -et non leurs institutions d’appartenance- ont été embarquées dès la construction de l’intention commune afin que le projet soit réellement bâti avec une multiplicité d’acteurs. « L’apport de ces différentes expériences « d’aller vers » a été déterminant durant le temps de réflexion pour aborder des points tels que l’envie d’expérimenter, sur quoi, comment, où, et avec quels aménagements sur le vélo », se souvient Gwendal Briand. Des fabricants locaux de remorques de vélos et de tissus de protection pour les caissons contenants les outils numériques ont également été invités à se joindre au projet, ce qui a débouché sur la réalisation d’un prototype.

Après un travail de maturation collective, l’expérimentation a été lancée en juillet et s’est déroulée jusqu’en décembre 2022 à raison d’une quinzaine de sorties d’une durée d’une journée environ (temps de préparation des sorties, trajets, briefing et débriefing compris) dans différents endroits des 2 quartiers ciblés. Des sorties sur le terrain qui ont permis de répondre à un certain nombre de questions.

Une des premières difficultés a été de résoudre la question suivante :

Comment fait-on apparaître un espace de médiation au sein de l’espace public que sont les rues lorsque l’on veut être visible sans être institutionnel donc sans utiliser de logo, et que plusieurs acteurs interviennent en même temps ?

« Afin d’éviter la cacophonie vis-à-vis de nos interlocuteurs, nous avons décidé de nous présenter comme un collectif de professionnels qui sont présents pour aider les citoyens dans leurs démarches du quotidien », résume Elise Després. Ensuite, il a fallu déterminer les différentes configurations techniques possibles (1 vélo ou plusieurs vélos, remorques avec caisson derrière ou pas etc.) en fonction des médiations proposées. « Lorsque l’on fait de « l’aller vers », on va rencontrer des personnes qui ne sortent pas de leur domicile dans le but spécifique de proposer une aide aux démarches administratives. C’est donc un fil ténu qui est créé et cela exige une immédiateté de la réponse que vous faites car la personne ne reviendra pas forcément vous voir. Il faut donc être capable de faire exprimer à votre interlocuteur le besoin auquel il ne pensait pas. Ou bien, la médiation s’ancre dans le territoire, une relation de confiance se noue et si vous n’avez pas la réponse, vous pouvez alors renvoyer la personne vers un rendez-vous dans vos locaux ou vers une autre structure », détaille Gwendal Briand.

Dispositif mobile à vélo

Le Ti Lab et le PIMMS, accompagnés par Collporterre, ont mené conjointement le projet Medlové qui a consisté à « aller vers » les habitants de deux quartiers de Rennes au moyen de vélos désignés spécialement pour la médiation socio-numérique dans la rue.

Construction collective d’une méthode de « l’aller vers » dans l’espace public

En termes de besoins, ce sont les démarches administratives dématérialisées, type carte grise, assurance, demande d’asile qui ont été les principales demandes. Certaines ont néanmoins généré par ricochet des demandes d’ordre technique. Mais d’une manière générale, l’accompagnement au numérique ne peut pas s’effectuer dans un espace public tel que la rue mais dans les permanences des espaces sociaux sauf pour des opérations telles que les petits déblocages, par exemple sur les téléphones portables. Le marché n’est pas non plus un lieu propice quels que soient les besoins : « on nous a pris pour des vendeurs de téléphones portables », se souvient Gwendal Briand. La rue est un lieu de médiation possible (voir photos) mais il faut pouvoir s’abriter en cas d’intempéries, par exemple dans des maisons de quartier, connues des médiateurs.

L’expérimentation a également servi à la construction collective d’une méthode de « l’aller vers » dans l’espace public. « Il faut former à « l’aller vers » car cela ne s’improvise pas », témoigne Elise Després. 5 rôles types ont ainsi été définis pour l’efficacité du dispositif « d’aller vers » en espace public :

  • « L’aubergiste » est celui qui offre le café car il y a une convivialité minimum à instaurer et boire un café instaure un pied d’égalité entre le médiateur et l’interlocuteur contrairement aux positions respectives aux guichets ;
  • La « mouette » est le porte-voix, par exemple, auprès des commerçants du quartier pour faire connaître le dispositif ;
  • Le « Robinson » est celui qui ne bouge pas et reste près de l’ordinateur et de l’imprimante ;
  • Le « pêcheur », rôle le plus difficile, est celui qui va au-devant des gens pour leur faire connaître le dispositif et inciter à s’y rendre ;
  • et enfin le « gardien du phare » est celui qui observe ce qui se passe et prend du recul.

« Une configuration minimale avec deux rôles est possible mais ce n’est pas confortable. La configuration idéale est celle à quatre rôles », estime Gwendal Briand qui souligne que les configurations bougeaient au fil des sorties et ont donné lieu à des partages de pratiques et des apprentissages en commun.

Outre le service rendu aux citoyens « qui a donné le sourire aux habitants », rappelle Elise Després, le projet Medlové a aussi permis une coopération inédite entre les professionnels, qui bien souvent ne se connaissaient pas et dont les structures travaillent parfois sur les mêmes domaines sans le savoir, mais avec des méthodes de travail différentes. À l’inverse, certains domaines ne sont pas du tout couverts par ces mêmes structures sans qu’elles le sachent, ce qui nécessiterait une cartographie des associations pour savoir si l’ensemble du spectre des demandes est couvert.

Le terrain du projet a donc eu pour effet de faire bouger les lignes entre les institutions, de partager les pratiques, de casser les silos et par les liens créés, permet, aux médiateurs présents dans l’espace public, de renvoyer leurs interlocuteurs, si besoin, sur des personnes -appartenant ou pas à leurs organisations- et non des institutions. « Cet aspect est fondamental pour l’instauration d’une relation de confiance », estime Elise Després.

Reste à présent à connaître la suite qui sera donnée à Medlové. « Son déploiement relève du PIMMS et des structures qui ont participé au projet. Ce dernier fera l’objet d’un livrable diffusé sous licence libre afin qu’il puisse être utilisé par d’autres acteurs quels qu’ils soient », expliquent Elise Després et Gwendal Briand.

C’est d’ailleurs une difficulté récurrente pour la médiation socio-numérique : elle est l’affaire de tous et de personne puisqu’elle n’est pas une compétence obligatoire pour les collectivités territoriales alors que le besoin d’accompagnement est sans fin.

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