Revue
DossierStéphane Rochon : «Les projets d’IA représentent un vrai challenge en termes de compétences, d’ingénierie et de financement»

La ville de Biarritz expérimente, dans le cadre d’une démarche d’open innovation, un projet d’intelligence artificielle (IA) sur la sécurité. Baptisé BIA 64 200, ce projet vise à faciliter le signalement des incivilités, faire évoluer le sentiment d’insécurité, optimiser les interventions de la police municipale, moderniser l’administration en s’adossant à l’intelligence artificielle. Retour d’expérience avec Stéphane Rochon, directeur général des services de la ville de Biarritz.
Durant le dernier congrès de Territorialis, il a beaucoup été question de mettre « les mains dans le cambouis » afin d’expérimenter l’IA sur des périmètres opérationnels ciblés. Avez-vous mis vos « mains dans le cambouis » ?
Stéphane Rochon – Effectivement ! Nous l’avons fait sur un sujet qui préoccupe beaucoup les habitants et avec une logique d’actions en chaîne. Ainsi, en mars 2023, le maire de Biarritz, Maider Arosteguy, a organisé les Assises de la tranquillité publique en conviant les citoyens qui ont exprimé leurs inquiétudes et solutions en matière de sécurité publique, notamment en raison du taux d’échecs des appels téléphoniques passés aux forces de l’ordre qui restent parfois sans réponse concrète, ce qui donne une image négative de la fonction publique. Suite à cet évènement, la question « Comment faire baisser ce sentiment d’insécurité ? » était sur la table et au grand jour. Dans la foulée, nous avons donc décidé de lancer un projet d’IA en matière de sécurité publique dont les deux marqueurs sont, au niveau de l’accès, une ligne téléphonique, qui reste la porte d’entrée d’un dispositif de contacts pour de nombreuses personnes, tout particulièrement les personnes âgées, et la sollicitation des citoyens, comme je viens de l’évoquer.
Comment avez-vous procédé ?
S. R. – Nous nous sommes appuyés sur un écosystème favorable en mixant, dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt, une diversité d’acteurs sous l’égide du Connecteur, lieu de vie dédié aux entreprises, développé par le Crédit Agricole Pyrénées Gascogne, qui accueille notamment des start-up, l’École supérieure des technologies industrielles avancées (ESTIA), l’École supérieure de design des Landes et l’école de commerce de Pau. Dans une démarche d’open innovation, en complément des réflexions ainsi menées, des groupes tels que Total, Euralis, le Crédit Agricole ont également répondu présents. Nous avions besoin de regards neufs pour ce projet d’IA qui représente un véritable challenge en termes de compétences, d’ingénierie et de financement pour une collectivité de la taille de Biarritz. Toutefois, nous sommes très loin de la force de frappe des métropoles, des régions qui, outre leurs capacités financières, disposent en interne d’équipes et de laboratoires d’innovation.
Quelle solution a été mise en place ?
S. R. – BIA 64 200, tel est le nom du projet, met en œuvre un chatbot qui accueille les habitants et dévie les informations sur les acteurs de la sécurité locale en fonction des problèmes à traiter. Grâce à cette solution, les citoyens ont toujours un contact au bout du fil, sans renvoyer la responsabilité de l’intervention au partenaire de sécurité, sur des frontières parfois floues. La police municipale, par exemple, doit tout à la fois, la nuit, répondre au téléphone et être sur le terrain ! De plus, l’IA, en permettant l’agrégation et le croisement des données d’intervention afin de produire une analyse assez fine, zone par zone, de dangerosité potentielle, rend possible la conduite d’une politique prédictive en matière de sécurité publique en faisant ressortir les éléments de nuisance qui sont récurrents afin d’éviter que des zones sensibles le deviennent davantage. Par ailleurs, l’IA, en offrant la possibilité d’avoir des dossiers d’intervention préremplis, décharge les policiers municipaux d’une certaine partie de leurs tâches administratives, libérant ainsi du temps pour leurs missions opérationnelles. Enfin, sur un plan plus général, l’IA illustre bien le principe de mutabilité du service public qui ne doit pas demeurer immobile face aux évolutions de la société, mais répondre aux nouveaux besoins des usagers et suivre les innovations techniques. Ce projet autorise ainsi un saut par rapport à ce principe, car la police municipale est amenée à faire évoluer ses pratiques. J’aimerais souligner que nos policiers municipaux se sont montrés collaboratifs avec les étudiants. Ils ont fait preuve d’une véritable appétence à envisager cette solution.
Où en êtes-vous fin décembre 2024 ?
S. R. – Après une phase amont qui a eu lieu courant 2023, puis une phase d’élaboration qui s’est étalée entre février et avril 2024, nous discutons avec des partenaires industriels locaux pour passer d’un démonstrateur à une solution d’IA en matière de sécurité publique qu’ils pourraient développer puis commercialiser. Nous avons aussi besoin de compétences en matière de conduite de projet, car porter une démarche projet exige beaucoup d’énergie. Notre participation financière pour cette première phase s’est élevée à 6 000 euros. Mais le coût global du projet est de 200 000 euros, dont 133 000 euros pour le développement de la solution. Nous sommes donc à la recherche de financement.
Quelle est la position de l’État par rapport à votre projet ?
S. R. – Nous avions sollicité la Direction interministérielle du numérique (DINUM), l’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) en juin dernier, mais la dissolution de l’Assemblée nationale n’était pas le meilleur des contextes ! Nous les avons relancés et ils se sont montrés intéressés par le projet, et notamment la possibilité d’étendre la solution à d’autres villes. Mais, pour le moment, rien de plus. Il faut dire que, de nouveau, le contexte national n’est guère favorable… Résultat : nous sommes un peu au milieu du gué… En fait, il est compliqué pour une collectivité telle que la nôtre de trouver de puissants relais pour se faire accompagner, alors même que nous souhaitons promouvoir une démarche innovante pour améliorer la qualité du service public ! J’avoue avoir été un peu surpris par une telle difficulté. Néanmoins, dans la dynamique de ce projet et dans une logique de professionnalisation, nous avons recruté un manager de la donnée et fait évoluer notre organisation avec la création d’une direction des transitions.