Revue
DossierNora Saint-Gal : « La question de l’égalité femmes-hommes est un travail de fond. »

À Montreuil, la question de l’égalité femmes-hommes n’est pas qu’une simple obligation légale, mais un véritable levier de transformation pour l’organisation et ses pratiques managériales. Nora Saint-Gal, directrice générale des services (DGS) de la ville de Seine-Saint-Denis depuis novembre 2021, revient sur les initiatives de sa collectivité pour changer l’approche du management à travers le prisme de l’égalité.
La ville de Montreuil a mis en place un plan d’action pour l’égalité professionnelle. Pourriez-vous nous en dire plus sur les fondements de cette démarche et comment elle s’inscrit dans une vision plus large de votre organisation ?
Tout à fait. Nous avons un plan d’action pour l’égalité professionnelle 2024-2026, qui est la suite d’un précédent plan couvrant 2021-2023. Il est important de souligner que notre démarche n’a rien de révolutionnaire en soi, car il ne s’agit pas d’inventer des mesures inédites. L’idée principale est de lutter contre la notion selon laquelle le statut de fonctionnaire garantirait à lui seul l’égalité hommes-femmes. Nous constatons en effet des écarts de rémunération réels, notamment entre les filières techniques, où les hommes sont davantage représentés, et les filières administratives. Notre objectif est de garantir des rémunérations identiques pour les hommes et les femmes à poste équivalent et au sein de chaque filière.
Ce plan s’articule autour de six axes majeurs : renforcer la gouvernance de la politique d’égalité professionnelle ; créer les conditions d’un égal accès aux métiers et aux responsabilités ; évaluer, prévenir et supprimer les écarts de rémunération et de déroulement de carrière ; mieux accompagner la parentalité et favoriser l’articulation entre vie professionnelle et personnelle ; lutter contre les discriminations et les violences sexistes et sexuelles ; améliorer la prévention de l’usure professionnelle en tenant compte du genre.
Sur la question de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, nous avons par exemple élaboré un guide de la parentalité et avons instauré la règle de ne jamais organiser de réunion après 17 h 00. L’idée est que ce ne soit pas une mesure spécifique pour les femmes, mais une mesure de conciliation pour tous, permettant à chacun de ne pas avoir à se justifier pour s’occuper de ses enfants.
Vous avez également lancé une nouvelle feuille de route managériale à votre arrivée. Comment s’intègre-t-elle dans cette optique d’égalité et quelle est sa spécificité ?
Notre feuille de route managériale est le fruit de plus d’un an de travail. Son objectif est de garantir la qualité de l’encadrement pour tous les agents, favorisant ainsi un environnement de travail serein et motivant. Il vise également à permettre aux encadrants de réfléchir à leurs pratiques et d’échanger avec leurs pairs, luttant ainsi contre le sentiment d’impuissance et d’isolement. Pour y parvenir, nous nous appuyons sur des référentiels communs, des outils appropriables et des espaces pour « parler du travail au travail », en s’inspirant des sciences sociales et des méthodes d’intelligence collective. Une équipe-projet, composée de représentants des directions ressources et de collègues encadrants ou non, s’assure que la démarche s’imprègne des réalités de notre collectivité. En ce début d’année 2025, nous avons diffusé la charte de l’encadrement construite autour de six valeurs clés : solidarité, exemplarité, écoute, cohésion, confiance, équité. Le parcours d’orientation obligatoire pour les encadrants montreuillois, baptisé « POEME » (voir encadré), a été également lancé en janvier dernier. Il vise à diffuser une culture commune de l’encadrement, renforcer les réseaux d’échange et l’interconnaissance, et offrir du temps pour se former. Le programme inclut des journées obligatoires sur les valeurs de l’encadrement et sur la santé et sécurité au travail, ainsi qu’un contenu à la carte.
Vous vous demandez peut-être pourquoi nous n’avons pas proposé de formations spécifiquement ciblées sur les femmes. Nous avons choisi de rendre ce parcours obligatoire pour tous les encadrants, avec cinq jours de formation par an. En rendant ce parcours universel, nous agissons concrètement sur l’égalité en garantissant que toutes les femmes encadrantes de la collectivité bénéficient d’au moins cinq jours de formation par an, ce qui répond à un enjeu d’inégal accès à la formation mentionné dans notre plan d’action. Des sujets comme la prise de parole en public ou l’affirmation de son leadership sont proposés à toutes et tous, dans l’idée que cela peut accompagner la prise de responsabilités pour l’ensemble des collègues et notamment pour les femmes.
Quels sont les principaux défis ou freins que vous rencontrez dans la mise en œuvre de cette politique d’égalité et de ce renouveau managérial ?
Comme souvent, la contrainte budgétaire est un frein important. Si nous voulions harmoniser par le haut tous les régimes indemnitaires, par exemple pour que la filière administrative rattrape la filière technique, cela représenterait une enveloppe budgétaire conséquente. De même, garantir le remplacement systématique d’un agent en formation serait plus facile si nous avions plus de moyens.
Historiquement, nous avons été confrontés à des difficultés budgétaires qui nous ont conduits à des mesures pour contenir la masse salariale, comme l’arrêt des remplacements en cas d’absence. Nous sommes revenus sur cette pratique pour les congés maternité. Nous examinons désormais toutes les situations de congés maternité, car ne pas remplacer était très pénalisant pour la femme concernée et envoyait un mauvais signal à l’ensemble de la collectivité.
Au-delà des moyens, le changement culturel est un défi majeur. La question de l’égalité femmes-hommes n’est pas seulement une question de budget mais aussi de mentalités. C’est un travail de fond pour déconstruire les stéréotypes et faire évoluer les mentalités.
En tant que femme occupant un poste de DGS, ressentez-vous que votre position et votre style de management peuvent influencer positivement la culture de l’organisation en matière d’égalité ?
J’ai été nommée DGS à 36 ans et DGA à 32 ans, juste après un congé maternité. J’ai deux jeunes enfants. Je pense que mon parcours peut, en soi, être un exemple et montrer à d’autres que c’est possible de concilier des responsabilités importantes avec une vie de famille. Les modèles sont essentiels pour aider d’autres à se projeter. Quant à mon style de management, je ne parlerais pas spécifiquement de « management féminin », car cela pourrait être caricatural. Cependant, je crois que ma pratique est moins descendante et plus tournée vers l’animation du collectif. J’ai moins de difficultés à montrer mes doutes, mes interrogations, et à partager les décisions. J’ai l’impression que, sur le long terme, cela génère des dynamiques plus puissantes dans la conception des politiques et dans les relations de confiance au sein de l’équipe.
Ce que j’espère infuser dans l’organisation, c’est l’idée qu’un dirigeant n’a pas à tout savoir ni à être le premier arrivé le matin et le dernier parti le soir. Cette aspiration à la conciliation vie privée-vie professionnelle est aussi exprimée par beaucoup de jeunes hommes aujourd’hui. L’égalité aux postes de responsabilité peut aider hommes et femmes à se sentir mieux au travail, car les modèles « enfermants » pénalisent tout le monde, même si les effets sur la carrière peuvent être différents. C’est pourquoi nous évitons d’afficher nos actions comme étant « pour les femmes » ; elles sont pour le bien-être au travail de tous et pour la conciliation vie privée-vie professionnelle pour tout le monde. J’espère que cela contribue à un climat de travail plus inclusif et respectueux des différences.
Vous êtes également membre du réseau Dirigeantes & Territoires. Qu’est-ce que cela vous apporte dans cette démarche ?
J’ai rejoint cette association par engagement personnel sur ces questions. Le travail de leur observatoire est très intéressant pour objectiver notre environnement. Quand je participe aux réunions de DGS, l’environnement reste très masculin. Même si j’ai été bien accueillie, il n’est pas toujours facile pour une femme assez jeune de trouver sa place. Dirigeantes & Territoires m’apporte un équilibre et m’aide à me sentir moins isolée dans ces réseaux professionnels.
Je me suis aussi engagée dans leur dispositif de marrainage. J’ai parrainé une collègue, et, même si nous n’avons pas toujours eu des échanges explicites sur le fait d’être une femme au travail, nos préoccupations sur le management, l’animation des équipes et la conciliation travail-vie privée en tant que mères de famille étaient communes. J’ai eu la chance d’avoir des femmes à des postes de DGS comme premiers modèles dans ma carrière et je pense que cela a compté dans ma construction. Mon engagement est aussi une envie de pouvoir aider d’autres femmes à se projeter dans les responsabilités.
POEME, un parcours éclectique et ouvert aux cadres femmes et hommes
POEME signifie Parcours d’orientation obligatoire pour les encadrants montreuillois. Ce parcours a été lancé en janvier 2025 par la ville de Montreuil dans le cadre de sa feuille de route managériale. Son objectif est de diffuser une culture commune de l’encadrement, de renforcer les réseaux d’échange internes et l’interconnaissance mutuelle, et de permettre à chaque encadrant de prendre le temps de se former. Il s’agit d’un parcours obligatoire pour tous les encadrants de la collectivité, incluant la direction générale, les directeurs et directrices, ainsi que tous les responsables de service. Chaque encadrant doit réaliser cinq jours de formation par an dans le cadre de ce parcours. Le programme de POEME comprend des sessions obligatoires sur les valeurs de l’encadrement et sur la santé et la sécurité au travail, ainsi qu’un contenu à la carte. Parmi les propositions à la carte, on trouve des thèmes tels que : le management positif, la prévention des risques psychosociaux (focus sur le stress au travail et les violences au travail), la prise de parole en public, les clés pour oser prendre des responsabilités et le leadership, le codéveloppement professionnel, mieux se connaître pour mieux interagir avec les autres (méthodes DISC et MBTI), donner et recevoir des « feedbacks », la boîte à outils de l’encadrant·e pour animer différemment son équipe.
La formation est organisée en interne, avec des formateurs issus de la collectivité et l’aide de prestataires externes, dans l’espoir que le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) viendra compléter l’offre. Bien que le parcours ne propose pas de formations spécifiquement ciblées sur les femmes, en le rendant obligatoire pour tous les encadrants, la ville de Montreuil garantit que toutes les femmes encadrantes bénéficient d’au moins cinq jours de formation par an, répondant ainsi à un enjeu d’inégal accès à la formation mentionné dans leur plan d’action pour l’égalité professionnelle. Nora Saint-Gal, la DGS, espère que ce parcours contribuera à un climat de travail plus inclusif et respectueux des différences, bénéficiant à tous les agents.