Élections municipales : quel bilan peut-on tirer des listes citoyennes et des communes participatives élues en 2020 ?

Communes participatives
©Ondine BAUDON
Le 13 août 2025

« Prendre le pouvoir pour le partager, c’est possible ! » Voici l’un des principaux enseignements que tire le rapport de la coopérative Fréquence Commune consacré à l’analyse du mandat 2020-2026 des 66 communes participatives victorieuses parmi les 600 listes citoyennes et participatives qui avaient créé la surprise en candidatant lors des élections municipales de 2020. Étendre le domaine de la démocratie entre élus, dans l’administration et avec les habitants ; se réapproprier les ressources du territoire ; faire de la politique autrement ; tenir les digues démocratiques avec des villes et villages refuges sont au cœur de ces laboratoires d’expérimentation. Autant d’apprentissages en soutien aux dynamiques existantes comme aux prochaines mairies en 2026.

En 2020, plus de 600 listes citoyennes et participatives (LCP) ont créé la surprise en candidatant aux élections municipales et en remportant 66 communes participatives, allant de villages comme Vaour (Tarn, 328 hab.) à des villes moyennes comme La Crèche (Deux-Sèvres, 5 732 hab.), La Montagne (Loire-Atlantique, 6 488 hab.), Auray (Morbihan, 14 222 hab.), Saint-Médard-en-Jalles (Gironde, 32 538 hab.), ou encore des villes plus grandes comme Chambéry (Savoie, 59 856 hab.), Quimper (Finistère, 63 642 hab.) ou Poitiers (Vienne, 90 240 hab.). Initiées par des habitants non-professionnels de la politique et non affiliés à des partis politiques, ces dynamiques ont prôné le renouvellement de la démocratie comme projet de société et d’organisation interne, tout en l’incarnant à travers des profils plus jeunes (26-45 ans) et plus féminins (39,1 % de femmes têtes de listes dans les LCP contre 23 % dans les listes classiques). Leur ambition : prendre le pouvoir pour le partager en plaçant les habitants au centre des décisions municipales ; en déplaçant le pouvoir habituellement concentré dans les mains du maire, des hommes et du conseil municipal ; en pratiquant d’autres façons de faire de la politique ; en expérimentant des formes de démocratie plus directe et délibérative et en développant des politiques publiques de transition écologique, démocratique et de justice sociale.

Prendre le pouvoir pour le partager – Expériences et apprentissages des communes participatives 2020-2026

Prendre le pouvoir pour le partager – Expériences et apprentissages des communes participatives 2020-2026 : Un ouvrage-rapport inédit qui revient sur six ans d’actions concrètes, de transformations locales et de pratiques démocratiques renouvelées dans les communes participatives. Un outil précieux pour comprendre les points forts et les limites de ce mouvement de prise de pouvoir citoyen dans ces communes dites participatives.

À l’issue de cinq années de documentation et d’une recherche-action de plus d’un an auprès de 21 communes et 6 collectifs (plus de 100 entretiens), la coopérative Fréquence Commune2 a rassemblé en 290 pages les expériences, apprentissages, limites, réflexions et outils qui ressortent du mandat municipal 2020-2026 des communes participatives. Retour sur quelques principaux enseignements.

Partager le pouvoir, c’est possible : étendre la démocratie entre les élus, avec les habitants et jusque dans l’administration municipale

Après avoir co-construit leurs programmes et expérimenté des formes de gouvernance partagée au sein de leurs collectifs de campagne, les LCP arrivées au pouvoir en 2020 ont souhaité étendre la démocratie à l’échelle communale.

Mettre en place une démocratie interne entre les élus

Les élus majoritaires des communes participatives se sont appliqués à elles et eux-mêmes les principes de partage du pouvoir. Ils et elles ont refusé le système pyramidal d’une mairie classique, l’hyper concentration du pouvoir et la notabilité du maire ou encore la culture du chef ou de l’homme providentiel. Organisés en gouvernance partagée, ces élus ont mis au cœur du fonctionnement de l’équipe municipale les valeurs et pratiques d’horizontalité, d’autonomie, de transparence, de confiance, d’écoute et de soin du collectif, ainsi que l’utilisation de méthodes d’intelligence collective. Ils et elles repensent les périmètres des délégations, travaillent en binômes/trinômes d’élus, réfléchissent à une meilleure répartition des indemnités prenant en compte les besoins matériels de chacun, et vont jusqu’à ouvrir les instances municipales habituellement réservées aux élus de la majorité, aux colistiers, aux élus minoritaires et même aux habitants.

Étendre la démocratie jusque dans l’administration

Alliée indispensable à la réalisation du projet de mandat, les communes participatives ont travaillé à étendre la démocratisation de la commune jusque dans l’administration municipale. Bien que se heurtant à sa culture hiérarchique et verticale, elles ont renouvelé l’organisation municipale avec des délégations dédiées aux relations humaines, en instaurant des échanges entre agents et élus, en recrutant de nouveaux profils aux postes clefs de directeurs des services ou directeurs de cabinet, en formant à l’animation de la discussion ou de la démocratie participative. Les équipes municipales ont veillé aux conditions de travail (revalorisation des régimes d’indemnités) et d’organisation du travail par les agents elles et eux-mêmes (planning, répartition des secteurs d’intervention, recrutements entre pairs). Enfin, elles ont reconnu qu’aux côtés des élus et des habitants, la participation des agents aux processus de délibération contribue à mieux prendre en compte les contraintes administratives et techniques, et donc à une meilleure concrétisation des décisions. Sans taire les difficultés liées aux changements de pratiques, de culture et le risque d’épuisement des agents, cette approche participative, l’autonomie, le droit d’initiative et à l’erreur ont pu donner un nouveau sens à leur mission et attirer de nouveaux profils.

Impliquer les habitants

Estimant que les habitants doivent pouvoir participer activement et directement aux décisions qui les concernent, les communes participatives ont mis un point d’honneur à leur redonner un pouvoir de décision, quel que soit leur statut, leur nationalité, leur niveau de diplôme, leur âge, leur genre, leur couleur de peau ou encore leur lieu de résidence. Une pluralité d’expérimentations a été mise en place alliant démocratie représentative, participative, délibérative et démocratie directe : renouvellement des instances et dispositifs classiques (conseils de quartier, des sages, des jeunes, budget participatif), expérimentation du droit d’interpellation, création de groupes de travail et d’assemblées décisionnaires, etc. Afin de lever les freins à la participation des personnes habituellement sous-représentées dans les dispositifs et instances participatives (personnes peu diplômées, racisées, en situation de handicap, étrangères, jeunes, mères seules), ces communes ont mis en place des systèmes de covoiturage, de garderie d’enfants, d’indemnisation. Le tirage au sort sur les adresses de cadastre couplé à un important travail de porte-à-porte a permis de légitimer les personnes qui ne seraient pas venues par elles-mêmes. Par l’utilisation d’outils de facilitation et d’intelligence collective, les élus ont veillé à ce que toutes et tous puissent s’exprimer et être écoutés ainsi qu’à réguler les rapports de pouvoir et de domination qui structurent la société et se retrouvent dans ces espaces.

Les communes peuvent se réapproprier les ressources du territoire et déployer des politiques transformatrices à l’échelle d’un mandat municipal

Portées par des ambitions de transformations écologiques, sociales et démocratiques durables, et s’appuyant sur leurs compétences, les communes participatives œuvrent à la mise en place de politiques transformatrices depuis leurs territoires. Dans le cadre de leur mandat électif ou au travers de collectifs d’habitants, elles participent à une réappropriation, une protection et une amplification des bénéfices pour tous des ressources locales : relocalisation et accès à une alimentation bio, création de lieux de cohésion sociale, préservation des forêts, mise en place de communs énergétiques. Autant de concrétisations rendues possibles à l’échelle d’un mandat municipal. Certaines communes ont tenté de répondre aux enjeux de redirection de leurs territoires impactés par la crise écologique et le changement climatique. Elles ont aussi essayé de soutenir des formes d’organisation et de contre-pouvoirs en dehors des murs de la mairie où se développent d’autres façons de faire, de penser, de résister, de retrouver de l’autonomie et d’agir dans la durée.

Démontrer qu’on peut faire de la politique autrement

À travers d’autres pratiques, postures et approches, les communes participatives démontrent qu’il est possible de faire de la politique autrement. En faisant émerger davantage de femmes dans les équipes municipales et en tête de liste, et surtout en proposant un nouveau rapport au pouvoir qui prend en compte les rapports de pouvoir et de domination, en mettant au cœur de leur fonction les principes d’horizontalité, de coopération, de soin, d’empathie ou encore d’écoute, et en travaillant à la mise en œuvre de politiques publiques visant à réduire les inégalités entre tous, ces élus participent d’une féminisation de la politique. Ces communes expérimentent un pouvoir collectif et rejettent le « pouvoir sur », machiste et patriarcal de la politique traditionnelle. Elles refusent de se plier aux logiques des partis politiques et de reproduire des comportements, pratiques ou postures néfastes pour le collectif : l’hyper-incarnation autour de la figure du chef, la culture du tribun, le « planté de drapeau », l’imposition d’une ligne politique, la prévalence de la finalité électorale ou le peu de cas donné à la démocratie en interne. Ces jeux de pouvoir et d’influence se retrouvent à l’échelon de l’intercommunalité, réel impensé démocratique où sont concentrées beaucoup de compétences et donc de pouvoir. Si les communes participatives y sont souvent marginalisées numériquement et politiquement, elles trouvent tout de même d’autres façons d’œuvrer en refusant la primauté des villes centres comme celles des maires, en combinant un travail humble et patient avec d’autres leviers d’amplification de politiques transformatrices dans ces espaces supra-locaux.

« Conjuguant humilité et démocratie radicales’’, les communes participatives plaident en faveur d’un droit à oser, à expérimenter et à réinventer la démocratie. »

Les villes et villages refuges sont autant de digues démocratiques

Tout en épousant le cadre légal, les communes participatives ont fait preuve de subversivité pour promouvoir, défendre et faire grandir dans les brèches du système institutionnel une ambition de démocratie locale. Elles ont rappelé leur rôle de soutien au débat public pour éviter de verser dans la violence sur les sujets à forte conflictualité (ex. : eau). En résistance discrète aux logiques de repli sur soi et de rejet de l’autre, elles ont maintenu la cohésion sociale et l’égal accès aux services publics dont elles ont la charge et protégé les plus vulnérables à travers des villes et villages refuges. En tant que villes accueillantes, elles ont réaffirmé leur principe d’accueil inconditionnel des personnes réfugiées. En promouvant le débat critique et l’interpellation démocratique, elles offrent une alternative à la criminalisation de la contestation. Reconnaissant que l’efficacité depuis l’institution n’est garantie que par la vitalité du terreau associatif, militant, habitant, culturel, de l’économie sociale locale, etc., les communes participatives cherchent à mieux les soutenir sans s’y substituer. Elles vont même jusqu’à défendre la démocratie locale devant les tribunaux pour mettre en place des assemblées citoyennes et populaires, indemniser les participants les plus précaires ou encore protéger les libertés associatives. Conjuguant « humilité et démocratie radicales », les communes participatives plaident en faveur d’un droit à oser, à expérimenter et à réinventer la démocratie.

Un souffle d’espoir pour la démocratie en 2026

Malgré les contraintes et turbulences de ce mandat municipal, les communes participatives ne se sont pas écroulées, au contraire. Elles ont même parfois porté plus haut et concrétisé davantage les ambitions de transformations démocratique, écologique et de justice sociale. Par la pluralité de possibles déployés, ce vivier de plus de 66 municipalités est une source d’inspiration pour les dynamiques municipales présentes et à venir. Il démontre que le potentiel d’expérimentation démocratique locale n’est pas réservé aux grandes métropoles.

« Leur engagement électif a été un véritable remède à la résignation et l’impuissance »

Si ces équipes municipales sortantes ne cachent pas leur épuisement, elles rappellent que leur engagement électif a été un véritable remède à la résignation et l’impuissance. Certaines d’entre elles souhaitent d’ailleurs transformer leur commune dans la durée en candidatant à un second mandat. L’occasion de renouveler leur équipe en ouvrant leur composition jusque-là très resserrée autour de CSP moyennes et supérieures. L’opportunité aussi de mieux travailler l’articulation avec l’échelle intercommunale, de pousser plus loin leur gouvernance partagée autour d’un fonctionnement de co-maires par exemple, ou la démocratie directe et délibérative en co-décidant avec les habitants de la programmation pluriannuelle d’investissement.

Près de 200 listes citoyennes et participatives sont d’ores et déjà candidates aux élections municipales de 2026. Elles se retrouveront du 21 au 24 août à Poitiers3 pour se relier et s’entraider lors des rencontres du réseau Actions Communes. Ces premiers signaux qui crépitent sur la carte de la France sont autant d’étincelles d’espoir pour cette échéance politique et démocratique à portée nationale que sont les élections municipales de 2026. Dans un contexte de démissions massives des conseillers municipaux et de maires, de fragilité du statut de l’élu, de montée de l’extrême droite, d’austérité budgétaire et à un an de l’élection présidentielle, les élections municipales pourraient bien redonner du souffle à notre démocratie depuis l’échelle locale.

  1. Le rapport est à retrouver en libre téléchargement sur le site de Fréquence Commune.
  2. Fréquence Commune est une coopérative qui accompagne l’organisation et la délibération démocratiques dans les communes participatives ; documente, analyse et met en lumière leurs alternatives ; contribue à la mise en réseau des acteurs, des analyses et pratiques de réinvention démocratique locale en France pour opérer une transformation sociale et écologique de nos sociétés.
  3. 7e Rencontres des listes citoyennes et participatives, Poitiers, 21 au 24 août 2025 (https://www.actionscommunes.org/2025/05/28/7emes-rencontres-nationales-des-listes-citoyennes-et-participatives-poitiers-du-21-au-24-aout-2025/).
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