Les villes moyennes, nouvel eldorado ?

Les villes moyennes, nouvel eldorado ?
La question les villes moyennes sont-elles un nouvel eldorado a été débattue par Gilles de MARGERIE, commissaire général, France Stratégie, Sylvain GRISOT, urbaniste, dixit.net, auteur de « Manifeste pour un urbanisme circulaire » en 2020, Magali REGHEZZA-ZITT, géographe, Ecole normale supérieure, membre du Haut Conseil pour le Climat, Magali TALANDIER, géographe, Université Grenoble Alpes, présidente du conseil scientifique de Grenoble Capitale Verte de l’Europe 2022. Claire Rais Assa, cheffe de projet transition écologique et territoires à France Stratégie a présenté durant cette table-ronde l'étude sur "Les villes moyennes : atouts pour les nouvelles politiques d’aménagement du territoire".
©ANCT
Le 16 mars 2022

L’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) a récemment engagé une série de réflexions sur les territoires par une journée consacrée aux mutations observées dans la société française et leurs impacts dans nos régions. Des urbanistes, géographes et journalistes répondaient aux questions soulevées lors des trois tables rondes proposées. Nous avons assisté à deux d’entre elles pour Horizons publics, « La France sous nos yeux est-elle celle de demain ? » et « Les villes moyennes, nouvel eldorado ? », le 3 février 2022, et vous donnons un aperçu des échanges.

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Les villes moyennes ont longtemps été opposées aux métropoles, les premières se dévitalisant tandis que les secondes profitaient d’un dynamisme économique et social. Les travaux récents de France Stratégie [1] présentés par Claire Assa montrent la diversité des réalités locales. Les villes moyennes, explique-t-elle, représentent une part stable de la population française, environ 35%. Mais il y a de fortes disparités : la croissance démographique s’est concentrée dans les couronnes des métropoles ou des villes moyennes, tandis qu’un déficit structurel affecte leurs pôles urbains, motivant les politiques publiques de revitalisation. Ces villes moyennes ont hérité de l’organisation administrative issue de la Révolution un rôle pivot pour les territoires environnants moins denses. Leur centralité détermine la coopération locale.

France Stratégie s’est également intéressé à leurs trajectoires en matière de démographie, d’emploi salarié et d’immobilier, en les comparant à la trajectoire nationale sur la décennie d’avant crise sanitaire. 42% des villes du panel (202 villes moyennes étudiées – unités de plus de 20 000 habitants comportant une ville centre de plus de 10 000 habitants) ont connu un plus fort dynamisme démographique que la trajectoire nationale, ces villes moyennes étant situées principalement sur le littoral et dans la vallée du Rhône. Les villes qui ont connu une trajectoire alignée sur la tendance nationale sont plutôt situées dans le nord et le centre de la France ; enfin, 16% des villes du panel ont connu une trajectoire moins favorable. Sur le front de l’emploi, l’année 2021 dépasse l’année 2019. Les villes moyennes ont suivi cette tendance, avec un taux de créations d’emploi supérieur à celui des métropoles. Les territoires qui étaient plus dynamiques que la moyenne nationale avant la crise ont mieux absorbé le choc de la crise sanitaire. À l’inverse, les territoires les moins dynamiques avant la crise ont connu davantage de destructions d’emploi.

Dans l’ensemble, si les villes moyennes étaient plus dynamiques que la moyenne nationale avant la crise, elles forment une catégorie hétérogène enfermant des enjeux différenciés appelant un accompagnement singularisé, conclue Claire Assa.

Le rôle des villes moyennes, toujours central

Les villes moyennes, souvent préfectures ou sous-préfectures, continuent d’incarner la présence de l’État sur le territoire français, formant une « armature » qui reste solide, quoique souvent oubliée. La géographe Magali Ragalezza souligne que cette position est une spécificité française. La situation des villes moyennes reflète l’histoire industrielle, touristique et administrative de notre pays. L’acte 3 de la décentralisation via la loi NOTRe a insisté sur la « métropolisation », les métropoles jouant le rôle de tiret entre les grandes régions, tandis que les villes moyennes, rappelle la chercheuse, interrogent le rapport entre le niveau de service et l’agrégation de population. En d’autres termes, alors que les métropoles exercent de leur côté un relais d’échelle pour s’intégrer dans les interdépendances de la mondialisation, les villes moyennes maillent le territoire par la qualité de vie, l’offre de services, la proximité. En dépit de l’hétérogénéité des situations révélée par l’étude de France Stratégie, un nouveau discours sur la ville moyenne émerge, car elles sont à la confluence des problèmes en posant la question du rôle de l’État et des collectivités locales.

Le retour d’intérêt collectif pour la ville moyenne est manifeste, abonde l’urbaniste Sylvain Grisot, qui s’interroge sur la notion de ville moyenne « moyenne ». Comment définir la ville moyenne ? Parle-t-on de la commune centre de ces aires d’attraction ou des couronnes ? 

La ville moyenne idéale des Français ne correspond pas à la définition qu’en donnent l’État ou les collectivités. L’hétérogénéité en leur sein dépasse le débat entre géographes.

Impasses de la coopération entre la ville centre et sa couronne

Le sujet est ancien et les instruments inventés successivement pour rendre effective la coopération entre la ville centre et la couronne n’y ont pas réussi, poursuit Sylvain Grisot. Les problèmes réels ne se coulent pas aisément dans les périmètres administratifs. L’artificialisation nette, par exemple, ne peut être traitée au niveau communal. Plutôt que de réfléchir au bon périmètre institutionnel, l’enjeu est de parvenir à lancer des actions avec les instruments actuels, estime l’urbaniste. La « revanche », le combat surjoué entre la métropole et la ville moyenne n’est pas le sujet pour cette dernière, dont le rapport avec sa couronne est crucial pour son développement.

Les revenus sont plus élevés dans la couronne que dans la ville centre, souligne la géographe Magali Talandier, sauf dans les grandes villes telles Paris, Lyon ou Bordeaux. On constate que dans les aires dites « d’attraction » de taille moyenne, les communes centres se sont paupérisées depuis 30 ans : il y a un décrochage. L’écart de niveau de vie entre les habitants de ces zones, ceux des couronnes et ceux des zones rurales est net. Le développement du télétravail est une opportunité pour les villes moyennes, quoi qu’on ne puisse en objectiver l’apport démographique pour le moment. Les chiffres issus des prix de l’immobilier, des inscriptions dans les écoles, le nombre d’annonces sur Le Bon Coin semblent montrer un frémissement dans certaines villes moyennes. Ce frémissement pourrait être dû au télétravail, sujet sur lequel la France était en retard : 8 à 10% seulement des salariés le pratiquaient avant la crise sanitaire alors que 30% environ des salariés y sont éligibles. Ce type d’organisation peut être appliqué par 80% des cadres et des professions intellectuelles supérieures, ce qui signifie l’arrivée d’une population à hauts revenus susceptible d’engendrer des effets sur le commerce local mais aussi, potentiellement, sur les prix. Il y a des « effets de bord », comme le dit Sylvain Grisot, potentiellement contradictoires : on se déporte à une heure ou deux d’une ville où l’on fréquente le bureau un à deux jours par semaine, et l’on abandonne les transports en commun au profit de la voiture individuelle.

Globalement, s’accordent à penser les participants, le télétravail est une opportunité individuelle et familiale qui va contribuer à segmenter (encore un peu plus) les territoires de ces villes moyennes. Le télétravail n’aura pas forcément lieu au domicile personnel : les promoteurs immobiliers ouvrent des lieux de co-working ; les collectivités en favorisant l’ouverture de tiers-lieux dans des centres dévitalisés par exemple, peuvent favoriser l’évolution des comportements.

Il ne suffit pas d’une innovation technique de rupture, estime Magali Ragalezza en rappelant le « fantasme » d’autrefois associé à l’arrivée du TGV, pour modifier les trajectoires individuelles. Elles reposent sur des ressorts multiples. Le « Parisien » habitué à un haut niveau de services pourrait vite déchanter dans une ville moyenne… L’attractivité d’un territoire est multifactorielle : modes de transport, accès à la santé, à l’école, aux loisirs, etc. Il n’y a pas « d’optimum territorial », conclue-t-elle.

Attractivité versus sobriété

Les études menées par France Stratégie sur la consommation d’espace agricole et forestier dans les villes moyennes montre, sans surprise, une forte hétérogénéité sur le territoire. La consommation est tendanciellement forte dans l’ouest et sur les littoraux ; elle est plus forte dans la couronne qu’au sein de la ville centre. L’objectif de « zéro artificialisation nette », poursuit la géographe, est confondu avec la périurbanisation et associé à la mobilité, mais le sujet est plus large. Des territoires devront être reconvertis en raison notamment de la montée du niveau marin ; il faudra désartificialiser, mixer les fonctions, contrôler la consommation de terres agricoles, arbitrer des choix à faire concernant l’accès aux ressources alimentaires et en eau… Toutes choses qui ne peuvent se décider au niveau strictement local.

Or sur ce plan le discours politique se contente d’être performatif, estime Sylvain Grisot. « On essaie de soigner la fièvre, mais la maladie est plus grave », dit-il. Le problème, c’est la nouvelle maison dans un nouveau lotissement toujours plus éloigné, un modèle de développement urbain marqué par l’avancée continue de la ville depuis 50 ans. La couronne « joue » du terrain peu cher pour attirer des habitants et créer de l’emploi ; la ville centre perd de la population tout en continuant d’assumer de lourdes charges de centralité. Les effets de ces concurrences territoriales sont donc particulièrement néfastes. Le « zéro artificialisation nette » doit marquer une étape, ce n’est pas une fin en soir. Mais il reste à savoir comment changer de modèle.

On ignore si ces stratégies résidentielles constituent une « hyper métropolisation » ou si elles montrent de nouvelles manières de reconnecter le « résidentiel » et le « productif » sur un même territoire, remarque la géographe Magali Talandier. Les villes moyennes ont un rôle majeur à jouer dans la reconquête industrielle, souligne-t-elle, dans un contexte d’urgence climatique. L’État devra se montrer plus tactique et plus subtil, car les cartes se succèdent et se ressemblent, montrant des territoires dynamiques et sous pression environnementale d’un côté et une France de villes moyennes en retrait de l’autre. De ce point de vue, imposer zéro artificialisation nette à tous les territoires sans distinction est une erreur, pour la géographe.

Les villes moyennes face au changement climatique

Le Haut conseil pour le climat recommande d’intégrer le changement climatique à la planification prospective et stratégique, ce qui n’est pas fait aujourd’hui, observe Magali Ragalezza. Or les cartes produites sur la base des données issues de la trajectoire moyenne établie par le GIEC (+ 2.5 à +2.6 °C à l’horizon 2050) montrent des chaleurs extrêmes, des risques accrus de feux, la montée des eaux. De nombreux territoires seront soumis à des chocs. Il convient donc de conjuguer les politiques d’atténuation aux politiques d’adaptation, redimensionner certaines activités et déplacer des habitants. La rénovation des bâtiments, l’adaptation des transports, etc., auront un impact sur l’emploi au sein des villes moyennes. Articuler les problèmes locaux avec une vision nationale sera impératif pour redistribuer certaines activités telles que les transferts d’eau.

80% de la ville de 2050 sont déjà là, ajoute Sylvain Grisot, il faut transformer l’existant et parler des alternatives à l’étalement urbain : densifier de façon « douce », réhabiliter les bâtiments, désartificialiser les sols, etc. Le programme « Action cœur de ville » a la souplesse nécessaire et les villes moyennes se prêtent bien à l’expérimentation – bien qu’il s’adresse davantage aux intercommunalités qu’aux villes centres, déplore l’urbaniste. 10 à 20% de densité additionnelle rendrait possible le développement du transport collectif dans certains territoires.

Alors, les villes moyennes, un eldorado ? Pour la relocalisation industrielle, estime Magali Talandier. Il faudra créer des emplois et répondre aux besoins de formation pour permettre la transition écologique, ajoute Magali Ragalezza, car les scénarios de l’ADEME notamment montrent qu’elles seront particulièrement concernées.

 

[1] France Stratégie, « La revanche des villes moyennes, vraiment ? », note d’analyse n°106, 2022 et « Les villes moyennes, un pilier durable d’aménagement du territoire ? », note d’analyse n°107, 2022

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