Prospective : quel avenir pour les départements ?

Le 9 décembre 2019

L’échelon départemental existera-t-il encore à l’horizon 2030 ? Trois grands scénarios (comprenant eux-mêmes différentes sous-hypothèses) semblent se présenter pour l’avenir des départements : la disparition, la résurrection et le statut quo. Exercice de « real prospective ».

Les départements correspondent à une circonscription d’État créé pendant la Révolution. On connaît tous l’histoire de leur périmètre, qui voulait qu’on puisse rejoindre leurs limites, depuis la ville-préfecture, en une journée. Celle-ci est, d’ailleurs, l’une des premières brèches dans lesquels se sont engouffrés les détracteurs des départements pour qualifier leur obsolescence. Pour autant, alors qu’on les menace de disparition1 ou les motifs de la loi NOTRe du 7 août 20152 : « Dans une France organisée autour d’un État conforté dans ses prérogatives républicaines de garantie des grands équilibres territoriaux et de l’égalité entre les citoyens, de régions renforcées et d’intercommunalité puissantes et adaptées à l’exercice des compétences de proximité, le débat pourra s’engager sereinement sur les modalités de suppression des conseils départementaux à l’horizon 2020, pour aboutir à une révision constitutionnelle avant cette date », avant 2008, ils avaient plutôt vu leurs responsabilités renforcées avec le transfert de la gestion du RMI (devenu RSA en 2008) ou d’une grande part de la gestion du domaine routier national, par exemple, faisant d’eux des collectivités assez peu « développeuses » mais plutôt « gestionnaire ». La suppression de la clause générale de compétence par la loi NOTRe, mettant notamment fin à ses interventions dans le champ du développement économique, a d’ailleurs renforcé cet aspect.

Le département se revendique comme une collectivité de soutien de la ruralité, « grand frère » des communes. Progressivement, il est également devenu le « grand frère » des intercommunalités (surtout rurales), bien que celles-ci puissent aussi être perçues comme une menace pour l’existence même des départements. La loi NOTRe a fait de lui la collectivité de la « solidarité » territoriale et humaine. Concernant le volet humain : il s’agit pour l’essentiel de gérer un effet « ciseau » entre le retrait de l’État et l’augmentation des situations de précarité et de pauvreté dans les territoires. Les politiques publiques départementales se déploient sous contrainte dans les interstices que lui laissent la loi et des capacités financières de plus en plus réduites. Concernant la solidarité territoriale, il s’agit d’une notion assez floue, investie de manière très hétérogène selon les départements : cheval de Troie d’une action en matière de développement économique, parfois avec le soutien de la région, ou opportunité de déployer de nouvelles façons d’intervenir en soutien des territoires pour d’autres (développement de contractualisation stratégique). Dans ce contexte, trois grands scénarios (comprenant eux-mêmes différentes sous-hypothèses) semblent se présenter pour l’avenir des départements.

Première hypothèse, les modalités de la disparition des départements s’organisent concrètement autour de deux dynamiques possibles, la mort « par décapitation » ou la mort « par étouffement ».

Scénario 1 : de la mort annoncée à la mort constatée

Première hypothèse, les modalités de la disparition des départements s’organisent concrètement autour de deux dynamiques possibles, la mort « par décapitation » ou la mort « par étouffement ». L’idée de la « décapitation » est de couper la tête politique : c’est le choix qu’avait fait la loi portant réforme des collectivités territoriales en 20103. La création du conseiller territorial comme élu unique des régions et des départements aurait probablement généré une évolution très forte des services départementaux, comme outil de territorialisation des politiques régionales et un travail d’articulation des politiques publiques entre les deux niveaux de collectivité. Seconde modalité, la mort « par étouffement » : également testée et toujours un peu à l’œuvre, on enlève aux départements ressources financières et/ou compétences. L’idée de transférer les produits de la taxe d’aménagement aux régions lorsqu’elles ont hérité du chef de filât en matière de biodiversité s’est finalement soldée par la production d’un rapport visant à dresser un bilan de l’emploi de la taxe d’aménagement par les départements, un sursis pour eux. L’argument, assez logique, selon lequel la part de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), perçue par les départements, devait être répartie entre régions et intercommunalités, titulaires de la compétence « développement économique », fait partie de cette dynamique.

Enfin l’idée que la suppression de la taxe d’habitation allait être compensée par un glissement de fiscalité des départements vers le bloc communal, et que le département verrait cette perte compensée par une dotation d’État, moins dynamique et laissant moins d’autonomie au département, relève de la même logique. La disparition de la clause générale de compétence et notamment de son intervention en matière de développement économique, les transferts de la planification en matière de gestion des déchets ou de l’organisation des transports scolaires et interurbains aux régions, constituent une autre façon d’étouffer le département en réduisant ses marges de manœuvre de collectivité territoriale.

Parce que ce papier n’est pas un plaidoyer pour la conservation des départements à tout prix mais bien sur la conservation de ce qui fait sens en matière de service public, quelle serait la position à adopter par les départements dans ces deux cas de figure ? L’enjeu principal serait pour eux de gérer la transition au bénéfice du service public : leur responsabilité serait, d’une part, de mettre au propre l’outil de production (par la mise en place de feuilles de routes politiques lisibles, déclinées en projets d’administration et dispositifs de politiques publiques clairs et évaluables) et organiser, d’autre part, le passage de relais au bénéfice des intercommunalités et des régions en s’appuyant notamment sur la montée en compétences (ingénierie territoriale) des intercommunalités pourquoi pas par une stratégie de redéploiement de moyens humains dans les territoires, via une territorialisation des politiques publiques cohérentes avec le périmètre des intercommunalités.

Scénario 2 : la « résurrection » par la reconfiguration des départements

La « résurrection » n’a de sens que dans le contexte d’une véritable redéfinition du rôle des départements en travaillant, de manière différenciée selon les territoires, sur leur fonction en matière de solidarité territoriale dans les champs de l’ingénierie territoriale, du soutien en investissements aux communes et intercommunalités, articulé avec les politiques régionales, de contreparties aux aides européennes rurales (LEADER4), d’accessibilité aux services au public ou d’aménagement numérique, par exemple. Les conférences territoriales de l’action publique (CTAP) et conventions territoriales d’exercice concerté (CTEC) des compétences pourraient s’avérer être, à cette fin, des outils précieux de la différenciation et de gouvernance territoriale. Cette dynamique serait utilement complétée par l’engagement de coopérations interdépartementales en complémentarité avec les régions. Il pourrait être pertinent de faire des départements des collectivités de la solidarité hors métropole.

Scénario 3 : le statu quo ou la « mise en coma artificiel »

C’est aujourd’hui le scénario le plus proche de ce qui se passe dans la réalité, et pourtant le moins souhaitable. Il s’agit de ne plus parler de la remise en question des départements (depuis 2015) et de laisser les collectivités détourner l’esprit de la loi NOTRe en n’appliquant pas rigoureusement le contrôle de légalité sur la répartition des compétences et la question des financements croisés, notamment dans le champ des aides en investissement aux territoires ruraux. Par ce qui semble être une liberté octroyée ou tolérée, en réalité on risque de confirmer le département dans un rôle de collectivité guichet et gestionnaire, courant le risque de l’obsolescence de l’action départementale par rapport aux besoins des territoires et des publics en situation de vulnérabilité et de précarité. Les départements qui sont parvenus à s’engager dans des logiques stratégiques, des démarches de conduite de projet ont plutôt conforté leur position et leur pertinence dans la gouvernance territoriale : ils se sont tournés vers le développement d’une culture interne de l’expérimentation et de l’évaluation, la dématérialisation des services et la médiation numérique, des exercices de démocratie interactive et une ré-interrogation globale de leur relation aux usagers…

Le scénario du statu quo ou de la mise en coma artificiel est aujourd’hui le scénario le plus proche de ce qui se passe dans la réalité.

Face à ces différentes hypothèses, il est encore temps de se saisir des outils existants CTAP, CTEC et autres formes de contractualisation pour définir une place adaptée pour les départements et différenciée dans la gouvernance des territoires. Comme les autres échelons de collectivités territoriales, ils ont à déployer un discours d’ouverture et de partenariats, afin de ne pas tomber dans un « néo-corporatisme territorial » 5 les opposant aux intercommunalités et aux régions. Pour cela, les départements doivent s’engager, avec une volonté politique forte, dans la construction d’un collectif politique au sein de chacun d’entre eux et dans des discussions inter-départementales. Ils devraient être présents et acteurs (proposition de points à l’ordre du jour, présentations de politiques publiques en séance, etc.) des CTAP et dans la négociation des contrats de plan État région. Les départements, en fonction des territoires, devraient enfin affirmer des positionnements politiques forts et volontaires sur des champs de politiques publiques dans lesquels ils ne sont pas contestables, notamment sur les thèmes des solidarités humaines (stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public) et territoriales (assistance technique et ingénierie territoriale).

  1. « Faire disparaître en dix ans l’échelon départemental » : rapport dit « Attali », décis. 260, 2008.
  2. L. n2015-991, 7 août 2015, portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République.
  3. L. n2010-1563, 16 déc. 2010.
  4. Liaison entre actions de développement et l’économie rurale, programme de soutien aux territoires ruraux co-financé par l’Union européenne.
  5. ADGCF, « Quel monde territorial demain ? Pour un aggiornamento de l’action publique locale », juill. 2019.
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