Revue

Cartoscopie

S’abstenir, serait-ce malgré tout voter ?

Le 11 février 2022

Que représente le candidat « abstention » aux élections ? Intéressons-nous à la géographie électorale 2022 du vote abstentioniste ?

Les votes blancs, nuls et a fortiori l’abstention sont l’objet d’une déconsidération laissant penser que le choix d’un candidat dans un bureau de vote est un passage obligé de l’exercice du devoir citoyen et de la manifestation d’intérêt pour la politique. Sondages et analyses portant sur la présidentielle à venir n’échappent pas à la règle : on tente de deviner quel candidat est le plus susceptible d’être élu, par qui et pourquoi, moins que de comprendre le sens à donner à l’intention de vote elle-même, dont le non-choix, quelle que soit sa forme, fait non seulement partie, mais est majoritaire. Selon l’enquête électorale 2022 menée par le CEVIPOF1 en décembre 2021, les sondés se déclarant abstentionnistes, probables ou potentiels pèseraient 27 % – ils étaient 19 % pour le scrutin de 2017 à la même période. Ainsi, le candidat « abstention » devancerait tous les autres alors même que le scrutin présidentiel se caractérise par un niveau de participation élevé.

La possibilité qu’un candidat réunisse tous les abstentionnistes relève de la fiction, mais constitue une expérience de pensée digne d’intérêt. Quelle serait sa base électorale ? L’étude déjà citée indique que cet électorat ne se sentirait proche d’aucun candidat, qu’il serait lassé d’entendre toujours les mêmes promesses, qu’il considérerait le vote comme ne servant à rien, faute de femmes et d’hommes politiques tenant compte de la volonté du peuple. Cet électorat serait plutôt jeune (moins de 45 ans, mais aussi plus de 74 ans), de catégories socio-professionnelles modestes et plutôt féminin. En revanche, contrairement à ce que l’on sait des électeurs des autres candidats, on ne nous dit rien de sa sensibilité à la crise sanitaire et aux Gilets jaunes, de sa perception du mandat qui s’achève, de la manière dont il juge l’état des inégalités dans le pays, de sa qualité de vie ou de celle de son territoire.

Pas d’éléments donc permettant de préciser la géographie électorale du candidat « abstention » en 2022. Pour y remédier, il faut revenir au scrutin de 2017, en posant comme hypothèse que le suivant s’en distinguera peu d’un point de vue spatial. La lecture de la carte obtenue n’est pas évidente : l’abstention serait massive en Corse et en Outre-mer mais ailleurs plus faible dans les campagnes que dans les villes et quartiers populaires ; on s’abstiendrait plus dans les territoires transfrontaliers et méditerranéens que dans les régions Ouest, Bretagne et Pays de la Loire… On devine qu’une pluralité de facteurs joue – en particulier culturels – et qu’il serait difficile pour le candidat « abstention » d’identifier ses territoires d’élection en assignant mécaniquement à chaque type d’espace un comportement homogène.

Cependant, on peut dire sans crainte de se tromper qui, du fait de son inéligibilité, bénéficiera le plus de ces voix. Car sans que ce dernier ait besoin de se désister et de donner des consignes de report, c’est bien le candidat victorieux et prochain président, quel qu’il soit, qui profitera pour finir de ce non-vote. Un non-vote qui n’en est donc pas vraiment un.

  1. Le centre de recherches politiques de Sciences Po (anciennement centre d’études de la vie politique française, l’acronyme CEVIPOF étant toujours employé malgré le changement de dénomination en 2003).
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