Revue
DossierTémoignage : Budgétaire, un métier porteur de sens, au cœur de l’action interministérielle
Directrice du budget, Mélanie Joder a accepté de confier à Horizons publics les raisons de son engagement dans la haute fonction publique d’État.
La crise sanitaire que nous venons de traverser a nécessité un niveau inégalé de soutien de l’État à l’économie française et dégradé en conséquence le solde public de manière spectaculaire (– 8,9 % du produit intérieur brut [PIB] en 2020), effaçant en quelques mois les efforts d’une décennie entière de redressement des comptes publics. La crise énergétique déclenchée par le début de la guerre en Ukraine lui a succédé début 2022, remettant la problématique du pouvoir d’achat et donc du soutien financier aux Français au cœur de l’actualité. Après trois années de crise, la dépense publique est restée à un niveau sensiblement supérieur à celui d’avant crise (+1,8 % de PIB entre 2019 et 2022). Même si l’objectif de sortie du « quoi qu’il en coûte » est désormais clairement affiché par le Gouvernement avec, en particulier, le démarrage d’une procédure de revue des dépenses articulée avec la procédure budgétaire, les crises successives ont conduit à certaines pertes de repères dans le financement des politiques publiques.
J’ai pris mes fonctions de directrice du budget en août 2021, dans ce contexte de sortie de crise un peu déroutant et de déploiement du plan de relance, dont l’exécution avait été confiée à la direction du budget (DB), devenue temporairement responsable des programmes de la relance et donc ordonnateur des dépenses, dans un renversement des rôles et des fonctions qui a fortement occupé, mais pas déstabilisé la direction. Une année et demie plus tard, je croise souvent des interlocuteurs qui m’interpellent sur ce contexte « adverse », en me demandant si la « face nord » du redressement des comptes publics n’est pas démotivante, si je ne ressens pas une certaine lassitude dans le dialogue avec les ministères dits « dépensiers » ou si la direction du budget ne se vit pas un peu « Sisyphe » dans la procédure budgétaire.
Autrement dit, mon métier de budgétaire a-t-il encore un sens dans une période de dépenses soutenues ? Je le crois profondément et je mesure chaque jour l’immense chance et l’immense responsabilité qui m’est confiée à la tête de cette direction.
Quatre facteurs motivent plus particulièrement mon engagement à la direction du budget.
Exercer une mission au cœur de l’action de l’État
Le premier porte évidemment sur la mission qui m’est confiée : préparer et exécuter le budget de l’État et la trajectoire de finances publiques, qui positionne la direction au cœur de l’action interministérielle et du système institutionnel français. Tout près de la décision politique, en interaction fréquente avec les ministres et en appui constant à chaque étape du débat parlementaire sur les textes financiers, je suis avec mes équipes en première ligne pour préparer, éclairer et traduire la décision politique, même s’il s’agit de dépenses supplémentaires ! Notre objectif étant, en tout état de cause, que la dépense soit la plus efficace et la plus utile possible, ce qui nécessite de souvent de faire preuve de créativité pour trouver les procédures et les circuits les plus rapides et les plus pertinents.
Ancrée dans l’histoire administrative de la France, cette mission a le grand avantage d’être claire et précise, encadrée par des délais de niveau constitutionnel ou organique, fondée sur une procédure solide dont les jalons sont bien ancrés dans les ministères, peu évolutive enfin dans ses modalités, même si le cadre organique dans lequel le budget est préparé a récemment évolué avec la loi organique du 28 décembre 20211 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Ainsi, au-delà de la préparation des projets de loi de finances et de finances rectificative, la direction exerce un rôle de contre-expertise sur les projets des ministères tout au long de l’année, pour mesurer leurs incidences financières et vérifier leur compatibilité avec les plafonds de dépenses votés par le Parlement : nous sommes en cela des vigies scrupuleuses sur l’efficacité et la performance de la dépense. Cette mission se matérialise notamment par la participation à environ 500 réunions interministérielles dans l’année, l’exercice de la tutelle budgétaire sur environ 360 opérateurs de l’État et le visa de plus de 1 200 textes réglementaires chaque année : de quoi avoir une vision très fine sur l’évolution des politiques publiques !
Mon métier de budgétaire a-t-il encore un sens dans une période de dépenses soutenues ? Je le crois profondément et je mesure chaque jour l’immense chance et l’immense responsabilité qui m’est confiée à la tête de cette direction.
Appuyer les ministères dans l’amélioration continue de la gestion publique
De manière moins visible, mais tout aussi stimulante, j’estime que la DB a un rôle central à jouer dans l’amélioration progressive de la gestion publique et j’essaye d’apporter ma pierre à cet édifice qui se construit progressivement. La direction copilote, en particulier avec la direction générale des finances publiques (DGFiP), certaines réformes structurelles destinées à améliorer l’efficacité et le suivi de la dépense (allègement du contrôle budgétaire, mise en place des centres de gestion financière, amélioration des systèmes d’information financière, etc.) et à renforcer la responsabilisation des gestionnaires publics (baisse du taux de mise en réserve, réforme du régime de responsabilité des gestionnaires publics, renforcement du contrôle interne financier, etc.).
En ayant moi-même exercé des fonctions de direction dans un opérateur puis de directrice financière dans un ministère « dépensier » (en l’occurrence à la direction des affaires financières des ministères en charge de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), je mesure assez clairement les difficultés de coordination interne au sein des ministères et la lourdeur des procédures financières interministérielles. C’est pourquoi j’essaye dans ce domaine de répondre au mieux aux besoins des gestionnaires ministériels, en leur donnant de la visibilité sur les travaux de Bercy et en tentant de simplifier et d’alléger les procédures financières, dans un positionnement de conseil et de soutien plus que contradicteur : une deuxième jambe indispensable pour la direction du budget qui – contrairement à la légende –, fait bien d’autres choses que de dire « non » !
C’est à cette fin que je contribue à animer la communauté des responsables financiers dans les différents départements ministériels. Je réunis notamment avec la DGFiP tous les deux mois un comité financier de l’État qui rassemble autour d’une même table l’ensemble des directrices et directeurs des affaires financières, les contrôleurs budgétaire et comptable ministériels (CBCM) et les directions interministérielles en charge de la gestion publique, pour débattre de l’actualité des finances publiques et des réformes de gestion budgétaire et comptable. De manière plus informelle, j’essaye aussi d’appuyer, avec plus ou moins de succès, les directions financières des ministères dans le recrutement des agents et leurs mobilités, en cherchant à créer des filières et passerelles entre nos directions dont les métiers sont proches et les difficultés de recrutement assez similaires, pour des métiers injustement perçus comme trop techniques, alors qu’ils assurent à leurs agents une formation qui leur sera utile tout au long de leur carrière, quelles que soient les responsabilités qu’ils occuperont !
Participer à la transition écologique en verdissant le budget
Mon troisième facteur de motivation porte sur la nouvelle dynamique que nous essayons d’insuffler dans la procédure budgétaire en construisant depuis trois ans un « budget vert », annexé au projet de loi de finances et déposé au Parlement. Ce document, qui mesure l’incidence environnementale du budget de l’État en classant et chiffrant les dépenses de l’État (y compris les dépenses fiscales et les taxes affectées) selon leur impact environnemental (en dépenses favorables, neutres ou défavorables selon six objectifs environnementaux) est bien plus qu’un simple document d’information.
En méthode, c’est d’abord une approche qui renouvelle complètement la notion de performance introduite par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)2 et de pertinence des dépenses, en montrant clairement que l’État continue de financer des dépenses brunes, que nous devrons évidemment réduire pour protéger l’environnement et dégager des marges de manœuvre budgétaires. Sur le fond, c’est une démarche porteuse d’avenir, en ce sens qu’elle allie deux objectifs indispensables pour les générations futures : financer la transition écologique et réduire la dette qu’elles auront à rembourser, en rendant la dépense plus efficace.
Aussi, si cette démarche s’est mise en place et déployée sous le pilotage conjoint de la DB et du Commissariat général au développement durable bien avant mon arrivée à la direction, je vais essayer cette année d’introduire le budget vert plus en amont dans le dialogue budgétaire, dès le projet de budget préparé par la DB, afin de sensibiliser les ministres à l’impact environnemental de leurs décisions au moment de la préparation du budget puis de sa négociation, l’objectif étant d’améliorer le taux de dépenses brunes (défavorables à l’environnement) sur les dépenses vertes (favorables à l’environnement) et mixtes dans le budget de l’État comme le prévoit le projet de loi de programmation des finances publiques. La démarche, complexe sur le plan technique, car elle nécessite d’évaluer l’incidence environnementale des dépenses à une maille plus fine et à chaque stade de la procédure budgétaire, ne sera peut-être pas couronnée de succès dès la première année ; mais elle mérite d’être tentée tant elle fait sens et tant elle est cohérente avec les objectifs de planification écologique du Gouvernement.
Encadrer des équipes d’une créativité et d’une motivation exceptionnelles
Le dernier facteur qui me motive, et pas le moindre, réside dans le talent et la motivation des agents de la direction. Composée à 84 % de cadres A et A+, la direction recrute pour ses cadres supérieurs des administrateurs de l’État, des ingénieurs et assimilés ou des contractuels pour la plupart issus de formation de haut niveau.
Les budgétaires [...] connaissent les politiques qu’ils suivent et les regardent avec un oeil neuf, critique et une imagination qui force mon admiration.
Dans cette communauté globalement jeune (un peu plus d’un tiers des agents ont moins de 35 ans), la volonté de se former, de progresser, de réformer les procédures et les politiques, l’appétit d’innovation public en somme, m’impressionne tous les jours. Le témoignage le plus fort de cette créativité, qui correspond aussi au moment de la procédure budgétaire que je préfère dans l’année, est la phase des travaux internes prospectifs et stratégiques, dits « TIPS » dans le langage des budgétaires. Il s’agit de travaux que les bureaux préparent en début d’année pour analyser la dépense et préparer les économies structurelles qui seront par la suite intégrées dans le projet de budget préparé par la direction. À ce stade de la procédure, la consigne est de faire preuve d’imagination, quitte à envisager des réformes disruptives, qui pourront par la suite être lissées et retravaillées pour favoriser leur acceptabilité. C’est à ce moment-là qu’émergent des dysfonctionnements, mais aussi des réformes ambitieuses, innovantes dans leur conception et leur approche, même si leur fondement est parfois simple : réconcilier prescripteur et payeur sur telle dépense sociale dont le tendanciel est manifestement plus dynamique que ne le laissent présager les facteurs économiques et démographiques, écarter un effet d’aubaine majeur sur telle aide aux entreprises ou telle dépense fiscale, mieux encadrer un levier de fraude trop fréquent sur telle autre intervention de l’État, comprendre des écarts démesurés entre les dépenses locales sur le territoire, etc., les budgétaires, au niveau de la direction centrale à Bercy comme dans les services du contrôle budgétaire implantés dans tous les ministères, connaissent les politiques qu’ils suivent et les regardent avec un œil neuf, critique et une imagination qui force mon admiration.
Même si les agents de la DB, forts de leur formation budgétaire et de leur expérience interministérielle, quittent trop souvent la direction très tôt et que j’aimerais pouvoir les fidéliser plus longtemps avec les missions variées de la direction, je suis d’une certaine manière fière qu’ils puissent essaimer ailleurs dans l’État, les opérateurs publics ou d’autres entités publiques ou privées, etc., en espérant qu’ils n’oublient pas trop vite leur ambition de réduire la dette publique !
- LO no 2021-1836, 28 déc. 2021, relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
- LO no 2001-692, 1er août 2001, relative aux lois de finances, dite « LOLF ».