Revue

Cartoscopie

Ceci n’est pas une carte des forêts

Forêt en Europe
Le 23 octobre 2019

Dans La trahison des images  (1929, musée d’art du comté de Los Angeles), Henri Magritte associe, de manière troublante, le dessin d’une pipe à l’énoncé : « Ceci n’est pas une pipe ». L’œuvre dénoncerait l’artifice de l’image, la déperdition qui vicierait toute entreprise de représentation. La même hypothèse vaut pour les cartes et les territoires. Comment ne pas adhérer à l’idée qu’il y a moins dans cette carte des forêts que dans la réalité vivante à laquelle elle renvoie ? L’évidence peut être trompeuse.

Et si la carte présentée visait moins à rendre compte iconiquement de la distribution terrestre des forêts que de les inscrire symboliquement dans la crise traversée par nos sociétés modernes ? Moins de copier l’espace forestier que d’en faire un agent du monde urbain anthropocène avec lequel nous devrons négocier pour élaborer des politiques « naturelles » répondant aux enjeux écologiques actuels ?

Vue ainsi, la carte avec ses schémas nous parle de cohabitation entre entités vivantes humaines et non humaines sur terre. Où en sont les arbres dans le territoire que l’on habite ? Qui sont-ils ? Quelle place doit-on leur faire pour mieux les considérer ? Où sceller une alliance renouvelée ?

La carte traite aussi du changement climatique et de la diminution des capacités de la terre à absorber les émissions de CO2 : non content de les poursuivre, on continue à déforester et à se priver de l’appui de ces alliés que sont les arbres et de la force des puits de carbone naturels qu’ils composent, de moins en moins efficaces au fur et à mesure où la température augmente.

Elle est aussi géopolitique puisqu’elle désigne plusieurs camps : d’un côté l’Amérique du sud, l’Afrique et l’Océanie qui continuent en moyenne à consommer sans mesure leurs ressources forestières, de l’autre l’Europe, l’Asie et l’Amérique centrale et du nord qui reboisent. Les tensions entre la communauté mondiale et le Brésil en témoignent.

Elle traite de biodiversité parce que sous la catégorisation des données il faut voir la diversité et la complexité des forêts, en particulier celles primaires qui constituent des réserves inestimables de biodiversité et dont la disparition ne saurait être compensée par les plantations qui s’inscrivent dans la logique productiviste des exploitations linéaires et monospécifiques.

La carte nous parle enfin de l’ère anthropocène parce que l’affaiblissement des forêts signe l’anthropisation continue de la planète et sa fragilisation. Les incendies qui se multiplient et atteignent une puissance incontrôlable en Amazonie et en Amérique du sud, mais aussi en Grèce, en Californie, le prouvent.

On le voit, la carte présentée est moins le décalque de la forêt sur Terre, que l’amorce d’un nouveau grand récit anthropologique et politique. Ceci n’est donc pas une carte des forêts, mais un indice à considérer sur la piste du nouveau monde à instituer.

Forêt en Europe
×

A lire aussi