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Insuffler le changement culturel par l'innovation

Le 21 février 2018

La naissance le 1er janvier 2016 de la nouvelle région Occitanie, issue de la fusion des ex-régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, s’est accompagnée d’un changement culturel profond en interne. Pour mener à bien cette transformation, l’innovation et les méthodes issues du design de services ont joué un rôle essentiel.

L’innovation, facteur d’intégration pour la nouvelle région

Dès le début du mandat, sous l’impulsion de la présidente Carole Delga et d’une direction générale renouvelée, que j’anime au quotidien, l’enjeu a consisté à co-construire une nouvelle région, une nouvelle maison commune, en faisant appel à l’intelligence collective. L’élaboration de l’organigramme a ainsi donné lieu à l’organisation d’un grand nombre de rencontres, selon une posture particulièrement ouverte et collaborative. La démarche s’est traduite par trois étapes essentielles :

• mars 2016 : mise en place d’une organisation transitoire à partir d’une nouvelle répartition des portefeuilles des membres de la direction générale ;

• juillet 2016 : création de 30 directions, 15 à Toulouse et 15 à Montpellier, désignation des directeurs -rices et directeurs-rices délégué-e-s, en lieu et place des 44 directions des deux anciennes administrations ;

• 7 et 8 décembre 2016 : présentation des organigrammes en comité technique paritaire.

Résumé

Depuis la naissance de la région Occitanie, le 1er janvier 2016, la nouvelle direction pilotée par Simon Munsch et sous l’impulsion de sa présidente Carole Delga, a entrepris un vaste chantier : construire une culture commune de la nouvelle administration, issue de la fusion des ex-régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Cet article revient sur la démarche et la méthode employée pour parvenir à créer une « maison commune ». La démarche s’est traduite par trois étapes essentielles : la mise en place d’une organisation transitoire, la création de 30 directions (au lieu des 44 directions des deux anciennes administrations) et la constitution d’un nouvel organigramme. Parallèlement, un projet d’administration de la région Occitanie 2017-2020 a été adopté pour mener à bien ce chantier de nouvelle administration. Ce projet d’administration de la région Occitanie puise dans trois valeurs cardinales : l’innovation, pour un service public plus adapté aux usages, la territorialisation pour davantage de proximité avec les habitants, la transversalité pour mieux faire face collectivement à la complexité croissante des enjeux politiques et territoriaux. Simon Munsch évoque aussi le rôle moteur joué par les méthodes d’innovations publiques pour créer et faire avancer une culture commune au sein de la nouvelle administration. Pour porter l’axe innovation, une direction générale déléguée à la conduite du changement, et reliée au Secrétariat général, a été mise en place, dès le début du mandat. Elle a donné lieu, en particulier, à la création, fin 2016, d’une direction de projets innovation qui lui est rattachée, et qui s’est progressivement étoffée en 2017. Les méthodes de design services ont été très utiles, selon Simon Munsch, pour dépasser les représentations, définir un sens de l’action entièrement tourné vers l’avenir et oxygéner l’administration par la recherche d’exemples inspirants venus de l’extérieur. Les méthodes de l’innovation publique favorisent également une position d’humilité nécessaire à l’action collective. La remise en perspective de Simon Munsch est complétée par le témoignage de Thierry Charmasson, directeur du projet d’administration de la région Occitanie 2017-2020, dont la vocation est d’accompagner l’émergence d’une nouvelle administration à l’échelle de la grande région. L’innovation joue selon lui un rôle de premier plan dans le changement culturel administratif.

Parallèlement, une réflexion de fond a été engagée avec les agents et les responsables de service pour identifier les problèmes posés au quotidien par l’union des deux administrations, en vue de l’élaboration d’un plan d’actions process qui a été adopté fin 2016.

Une fois cette organisation posée, il a fallu en dessiner les valeurs et l’incarnation managériale. Cela a été l’objet du projet d’administration, à l’élaboration duquel l’ensemble des agents, y compris les agents régionaux des lycées, ont été amenés à collaborer tout au long de l’année 2017, et qui a abouti à l’écriture de plus de 100 fiches actions.

Le projet d’administration de la région Occitanie puise dans trois valeurs cardinales : l’innovation, pour un service public plus adapté aux usages, la territorialisation pour davantage de proximité avec les habitants, la transversalité pour mieux face collectivement à la complexité croissante des enjeux politiques et territoriaux de tous ordres, en mobilisant à plein l’ensemble des intelligences disponibles.

La conduite du changement dans une collectivité publique aussi importante que la région Occitanie est une œuvre de longue haleine, qui nécessite de la patience, beaucoup de méthode, et une résolution sans faille.

Diffuser les méthodes du design de services

Pour porter l’axe innovation, une direction générale déléguée à la conduite du changement, confiée à Ghislaine Lala-Alquier par ailleurs secrétaire générale, a été mise en place, dès le début du mandat. Elle a donné lieu, en particulier, à la création, fin 2016, d’une direction de projets innovation qui lui est rattachée, et qui s’est progressivement étoffée en 2017 sous la conduite d’Antoine Foucault, en relation avec un certain nombre de partenaires extérieurs, tant académiques (IEP de Toulouse, école de design de Nîmes, etc.), qu’institutionnels (laboratoire d’innovation publique du SGAR, secrétariat général pour les affaires régionales, en particulier, avec lequel un réseau régional d’innovation publique a été initié). La mission de cette direction de projet : mettre en place et animer un réseau interne d’ambassadeurs de l’innovation capables de relayer de manière autonome et proactive les méthodes issues du design de services, partout dans la collectivité, dans le but d’en promouvoir l’agilité et la qualité des dispositifs proposés aux usagers.

À cette fin, un partenariat a été noué avec la 27e région qui a activé, à partir de mars 2017, son programme « La Transfo » afin d’aider la région à jeter les bases du futur réseau interne. Cette action de formation-action s’est très rapidement emparée de sujets d’intérêt très concrets pour les agents, tels que les espaces de vie partagés au travail, ou la mise en place de maisons de région. Au bout de quelques mois seulement, des concepts ont pu être collectivement élaborés, qui ont déjà donné lieu à une première série de mises en œuvre opérationnelles (outils de réservation de salles, systèmes de prêts de livres entre agents, espaces de réunion créatifs, aménagement de tiers lieux internes, etc.).

Vers une banque de projets « innovation » en 2018

Parallèlement à la Transfo, la direction de projets innovation a lancé un certain nombre de démarches collectives ciblant l’optimisation des process internes existants, comme l’accompagnement à la dématérialisation des courriers entrants, sortants et notes internes et la simplification des circuits de notes stratégiques, ou des sujets de politiques publiques, tels que la préfiguration d’une future agence régionale de la biodiversité. Cette première liste de démarches va être complétée et densifiée, dès 2018, dans le cadre d’une banque de projets « innovation » co-construite par l’ensemble du comité de direction, avec l’appui de l’ensemble de la direction générale. Cette banque de projets offrira un horizon courant jusqu’à la fin du mandat, et constituera un point d’ancrage à l’élargissement de la communauté des agents ambassadeurs de l’innovation. Des sujets aussi ambitieux que le lycée du futur, la revitalisation des gares rurales ou le renouveau de la contractualisation territoriale seront abordés en vue d’une nouvelle salve de recommandations opérationnelles précises et de prototypes développés avant la fin de l’année.

Mettre l’innovation au cœur des priorités

Dans ce contexte déjà riche, et afin d’accélérer encore la dynamique de transformation engagée, la présidente a souhaité mettre l’innovation au cœur de toutes les priorités. Ce qui va amener la collectivité à renforcer encore davantage l’intégration des services dans l’idée d’une fédération de toutes les énergies disponibles au service de la conduite du changement, selon un continuum de compétences et de missions allant de la prospective à l’ingénierie, tant sur la plan numérique, que sur celui du management, des espaces de travail, et de l’ouverture de la collectivité sur son territoire.

 

Interview : Thierry Charmasson, directeur du projet d’administration à la région Occitanie

Thierry Charmasson, directeur du projet d’administration à la région Occitanie
Thierry Charmasson, directeur du projet d’administration à la région Occitanie.

Ancien directeur de la communication et de l’information citoyenne du conseil régional Occitanie, Thierry Charmasson conduit depuis février 2017 le projet d’administration 2017-2020 de la région Occitanie, dont la vocation est d’accompagner l’émergence d’une nouvelle administration à l’échelle de la grande région.
L’innovation joue selon lui un rôle de premier plan dans le changement culturel administratif.

Comment avez-vous vécu les changements culturels avec la fusion des régions ?

La question de la construction d’une nouvelle culture administrative est immédiatement apparue comme centrale. Parce qu’en fait les craintes, que l’on pouvait avoir avant la fusion sur la production du service public, étaient infondées : en Occitanie en tout cas, il n’y a pas eu « d’année blanche ». L’engagement et le professionnalisme des agents a permis de dépasser les difficultés. Mais il est vite apparu aussi des crispations liées à l’affirmation de deux cultures administratives différentes. Si on en était resté là, dans l’absolu on aurait pu continuer à fonctionner, mais sans tirer aucun bénéfice de l’union des deux régions. Pour résoudre les difficultés – nombreuses ! – nées de la fusion, pour saisir, au bénéfice des usagers, toutes les opportunités du changement d’échelle, nous avons été très vite convaincus qu’il fallait innover, construire une nouvelle culture.

Quelles ont été ces difficultés rencontrées pendant cette transition ?

Nous avons rencontré les difficultés classiques en période de changements importants, liées au processus de deuil, qui vont du déni à la reconstruction en passant par la colère, la peur, la résistance, la résignation ou encore le marchandage. Les deux postures les plus compliquées à gérer et les plus tenaces sont, d’une part, le repli grégaire et, d’autre part, la nostalgie. Pour la première, il s’agit du réflexe qui consiste à se solidariser par principe avec les membres de son ancienne collectivité contre ceux de l’autre collectivité. À soutenir, sans examen et sans rationalité, toute proposition de Toulouse contre Montpellier ou tout agent de Montpellier contre son alter ego de Toulouse. La seconde posture, la nostalgie, c’est le fameux « on faisait comme ça avant » ! Et comme ça marchait, ou que l’on veut le croire, pourquoi changer ? Les deux postures se combinent d’ailleurs à l’occasion avec l’affirmation « on faisait comme ça avant à Montpellier » ou « à Toulouse » qui oppose un double rempart à la construction d’une nouvelle culture.

Quel rôle a joué selon vous l’innovation pour favoriser ce changement culturel ?

L’innovation est essentielle pour infléchir ces postures parce qu’elle permet de déporter le point de vue : on ne demande plus à l’agent comment il pense devoir remplir sa mission, mais plutôt d’écouter et de prendre en compte ce que l’usager ou le partenaire attend du service public. La démarche de design du service public donne la possibilité de dépasser le face-à-face entre deux cultures administratives grâce à l’introduction d’un arbitre : l’usager. Donc personne ne perd la face ! Le gagnant, c’est l’usager et c’est le service public lui-même, valeur qui réconcilie tout le monde. L’innovation co-construite permet donc l’émergence d’une nouvelle culture administrative propre à la nouvelle entité qui n’a pas été construite par marchandage entre les anciennes cultures mais à partir de postulats nouveaux, extérieurs. Dans la réalité, le schéma n’est pas aussi simple, bien sûr, mais plus la culture de l’innovation se diffuse et plus il révèle sa pertinence.

 

L’innovation publique, moteur du changement

La conduite du changement dans une collectivité publique aussi importante que la région Occitanie est une œuvre de longue haleine, qui nécessite de la patience, beaucoup de méthode, et une résolution sans faille. Mais elle contient en elle les germes de son propre succès, parce qu’elle est d’abord et avant tout l’expression d’une véritable aventure humaine et d’un récit historique dans lequel les agents de tous métiers et de tous grades ont vocation à prendre une part active. Appliquées à une structure nouvelle, composée de passés différents, et parfois antagonistes, et à l’échelle d’un territoire particulièrement vaste, force est de constater que les méthodes d’innovations publiques agissent avec une efficacité remarquable sur :

• le dépassement des représentations ; l’approche design, parce qu’elle repose sur la mobilisation de compétences multidisciplinaires, et qu’elle est systématiquement objectivée et incarnée dans le « faire », est un puissant vecteur de cohésion managériale ;

• la définition d’un sens de l’action entièrement tourné vers l’avenir, par-delà les histoires, et les cultures des uns et des autres, et reliant les problèmes du présent à la vision co-construite d’un avenir commun ;

• l’oxygénation de l’administration, par la recherche d’exemples inspirants venus de l’extérieur, permettant de décentrer les regards au-delà d’une approche experte ou interne ;

• l’humilité nécessaire à l’action collective, seule à même de résoudre les défis les plus audacieux, par une remise en cause des certitudes acquises, et la promotion de l’amélioration de la qualité de vie au travail, par la confiance et la pratique plus systématique de la délégation nécessaire à l’épanouissement professionnel de chacun.

Pour aller plus loin

• Pauline Scherer (dir.), Chantiers ouverts au public, 2015, La documentation française, La 27e région

• Tom Brown, L’Esprit design : Comment le design thinking change l’entreprise et la stratégie, 2014, Pearson Education, 272 p.

• Christian Bason, Chief Executive,Danish Design Centre, Design for Policy, 2014, Gower Pub Co, 270 p.

• Les villages du futur. Projection collective et créative dans les territoires de Bourgogne, 2016, La Documentation française, La 27e région, 262 p.

 

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