Transition(s) 2050 : comment s’approprier les quatre scénarios de l’ADEME ?

Atelier Futurs proches
©Futurs proches
Le 28 septembre 2022

Futurs proches, un collectif qui utilise le récit fictionnel collaboratif comme outil d’exploration du futur, a conçu un atelier d’imagination et d’écriture de microfictions portant sur les quatre scénarios de l'Agence de la transition écologique (ADEME), tirés de son rapport de prospective : Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat. Ce travail de prospective collaborative et citoyenne a débouché sur une dizaine de récits pour passer des grandes politiques au quotidien des citoyens.

L’intention est de permettre à chacun·e de se frotter à ces futurs plus ou moins désirables dans un moment de créativité et de collaboration. Dix récits ont vu le jour qui, tous, témoignent de la bonne compréhension générale de chaque scénario de l’ADEME. L’importance du lien humain est ce qui ressort le plus de cet exercice. Malgré les contraintes relatives aux modes de vie propres à chaque scénario, les relations entre les personnages, qu’ils soient humains ou non humains, occupent toujours une place centrale. Par ailleurs, l’atelier a montré la plasticité de l’approche de Futurs proches et le potentiel de l’imagination et de la créativité pour aider à l’appropriation des quatre scénarios de l’ADEME à une échelle locale.

Objectif : neutralité carbone à l’horizon 2050

En 2015, tout comme 182 autres pays, la France a ratifié l’Accord de Paris. Depuis, le pays a adopté une stratégie nationale bas carbone qui vise la neutralité carbone dès 2050. Se dessinent alors deux leviers d’actions combinables : la réduction des émissions de carbone d’un côté et l’augmentation de leur captation de l’autre. Pour offrir de la visibilité sur les trajectoires possibles, l’ADEME a mobilisé une centaine d’experts ainsi qu’un comité scientifique pendant deux ans. Le 30 novembre 2021, l’ADEME publiait les résultats de ce travail prospectif dans le rapport Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat.

Ainsi, l’ADEME a modélisé « quatre chemins “types”, cohérents et contrastés pour conduire la France vers la neutralité carbone ».

Les objectifs de ces scénarios sont d’illustrer l’étendue des possibles lorsque l’on parle de neutralité carbone, d’éclairer les décideurs sur les choix politiques qu’ils vont devoir faire pour répondre à ces enjeux, et surtout de mettre en débat cinq problématiques liées à la transition énergétique.

En effet, pour les auteurs, quels que soient les choix de société qui seront faits, les problématiques de la sobriété, des puits de carbone, du régime alimentaire, de l’économie du bâtiment et du modèle industriel doivent faire l’objet de débats structurants.

Les quatre scénarios de l’ADEME

Les scénarios sont numérotés selon leur bilancarbone, du plus au moins sobre. Les scénarios 1, « Génération frugale », et 2, « Coopérations territoriales » sont ceux qui limitent au maximum les émissions de carbone. Seul le scénario 1 s’appuie uniquement sur les puits biologiques pour contrebalancer les émissions. Dans le scénario 3, « Technologies vertes », les émissions sont réduites notamment par l’amélioration des performances des industries et contrebalancées non seulement par les puits biologiques, mais également par des technologies de captage et de stockage. Ces technologies, non matures à l’heure actuelle, sont sollicitées massivement dans le scénario 4, « Pari réparateur ».

Les 4 scénarions de l'ADEME

La puissance de ces scénarios réside dans leurs descriptions qui ne se limitent pas à cette question de la balance énergétique. Ils dressent un tableau complet de la société telle qu’elle serait avec des éléments étayés sur l’économie, la consommation, les technologies, la mobilité, la gouvernance, l’alimentation, le bâtiment et l’industrie.

Pourquoi un atelier Futurs proches sur les quatre scénarios de l’ADEME ?

La raison d’être de Futurs proches est d’irriguer les imaginaires de nouveaux récits. Pour cela, le collectif organise des ateliers d’imagination et d’écriture collaborative, en présentiel ou en ligne. Les ateliers portent sur des thèmes en lien avec les enjeux démocratiques, sociaux et écologiques de notre époque. Le terreau offert par les scénarios de l’ADEME est une mine d’or pour créer de nouveaux récits : tout le cadre est posé, il n’y a plus qu’à le transposer dans une histoire empreinte de réalité, susceptible de faire sens pour tout un chacun. Et l’enjeu est bien celui-là, lorsque de tels rapports sortent, éviter qu’ils ne soient qu’un constat ou une alarme de plus. Pour que ce travail colossal mette en mouvement les individus, il faut qu’ils se projettent dedans et puissent le traduire à leur niveau. C’est dans cette optique d’appropriation par les citoyens que quatre membres de Futurs proches (Mathilde Guyard, Priscille Cadart, Vanessa Weck et Lauriane Pouliquen-Lardy) se sont mobilisées pour organiser cet atelier en partenariat avec l’ADEME.

Elles écartent rapidement l’idée d’organiser un atelier par scénario pour plusieurs raisons, notamment la crainte que certains scénarios mobilisent moins de participants que d’autres. Le parti pris est alors d’organiser un seul atelier dans lequel les quatre scénarios seront traités pour bien donner à voir les écarts dans les modes de vie, avec la contrainte d’imposer aux participants un scénario qui ne leur plaît pas. Ce risque est en lui-même intéressant. En effet, personne ne sait de quoi demain sera fait.

L’atelier du 21 mars 2022

Ce soir-là, trente-huit personnes se connectent pour participer à l’atelier « Et si en 2050, la France était neutre en carbone ? », en compagnie de dix animateurs et animatrices. Ils et elles savent déjà dans quel scénario ils vont passer la soirée. Pour les participant·es, c’est encore un mystère. Nous les accueillons en leur présentant la démarche de l’ADEME et le déroulé de la soirée. Rapidement, les groupes sont formés avec trois à quatre personnes pour un·e animateur·rice qui leur annonce, enfin, dans quel scénario ils ont « atterri ». Dans les salles des scénarios 3 et 4, c’est souvent une déception : « C’est difficile parce que ce n’est pas le scénario qui m’attire. En même temps, ça m’oblige à me mettre à la place de personnes qui soutiennent ce genre de scénario. » Les scénarios plus sobres remportent plus de succès : « C’est un futur qui donne vraiment envie », « Ce sont les coopérations territoriales qui transforment les relations humaines et la société », sont quelques verbatims de la soirée.

Une fois en groupe, un temps est dédié à faire connaissance, puis à s’imprégner du scénario. Pour cela, deux outils sont utilisés pour nourrir l’imaginaire des participant·es. Le premier, un tableau blanc numérique (mural), reprend les données principales fournies par l’ADEME, complétées par des visuels, et organisées autour des grandes thématiques de la gouvernance, des modes de vie et de l’industrie. Une frustration se manifeste parfois – « Ça aurait été bien qu’on reçoive les scénarios à l’avance pour les étudier, cinq minutes de mural, c’est trop court », dit un des participants –, mais à la lecture des récits les professionnels de l’ADEME sont formels : l’esprit des scénarios y est fort bien campé.

Le second outil sur lequel s’appuie la méthode de Futurs proches est la visualisation. Grâce à un texte lu par l’animateur·rice, les participant·es sont invité·es à visualiser un voyage dans différents univers. La puissance des ateliers Futurs proches réside notamment dans l’ancrage des récits dans le quotidien des participant·es. Pour cela, nous commençons la visualisation par une exploration des problématiques concrètes qui les touchent aujourd’hui. Commence alors le processus de création, structuré et guidé pas à pas par l’animateur·rice : c’est une alternance d’étapes de divergence et convergence pour s’approprier les idées des autres, de faire ensemble, avec plusieurs boucles pour coconstruire les personnages, le lieu et les événements principaux de l’intrigue, etc. Et finalement écrire un récit à six ou huit mains.

Les dix récits créés nous emmènent dans des univers très différents, tous ancrés dans une réalité bien concrète. On rencontre par exemple la problématique de vivre sa passion pour la moto dans un monde décarboné (Rider dans un monde décarboné3) ou comment la technologie oriente la question de l’emploi dans la société ultra-technologique du scénario 3, « Technologies vertes » (Drones et céramique4).

De retour en plénière, les participants sont joyeux, souvent enthousiastes. La lecture de quatre récits – un par scénario – nous donne à entendre la pluralité des thèmes et des univers explorés. Elle nous reconnecte également avec le plaisir d’entendre des histoires et surtout notre capacité, universelle, à construire et structurer nos réalités comme nos futurs à travers les récits.

Récits et territoires

La diversité des récits produits met en exergue la capacité des participant·e·s à s’immerger dans un univers et à construire collectivement un quotidien désirable. Tenant compte des contraintes qu’impose chacun des scénarios, grâce à la créativité des participant·es, les récits donnent à voir des pistes afin qu’émerge un mode de vie souhaitable.

Par ailleurs, le fait que les récits soient ancrés dans des territoires, villes, villages, quartiers, campagne, leur confère une authenticité certaine. Dans l’atelier du 21 mars 2022 sur les scénarios de l’ADEME, le choix du territoire a fait l’objet d’une discussion entre les participants, dans chacun des groupes. Ce n’est pas toujours le cas. Dans certains ateliers, comme ceux organisés pour l’Eurométropole de Strasbourg, le territoire est posé en amont, comme contrainte à prendre en compte dans la création du récit. Dans le cas de ces ateliers, les participants étaient les habitant·es de ce territoire : l’effet n’en était que plus puissant. Cette approche met en lumière les imaginaires, interroge sur les représentations respectives et permet d’engager le dialogue sur les choix de société qui se présentent. Les récits issus de ces ateliers sont des briques possibles pour coconcevoir les trajectoires à choisir, au regard des objectifs de l’Accord de Paris.

La richesse du matériel produit peut nourrir la construction de récits fédérateurs sur le devenir du territoire.

La créativité au service d’une nouvelle médiation citoyenne

Un atelier d’écriture est avant tout un atelier créatif. Les ateliers Futurs proches sont des moments de convivialité offrant un cadre pour une expérience collaborative réussie. L’utilisation des scénarios de l’ADEME comme support à la créativité permet de donner du crédit au résultat : c’est un point de départ pour des prises de décision, pour donner un cap.

En outre, les scénarios se déclinent suivant neuf thématiques qui se regroupent en trois grands ensembles.

Les thématiques explorées dans les scénarios de l’ADEME

Les collectivités territoriales interviennent ou ont compétence dans plusieurs de ces thématiques : programme alimentaire territorial, plan local d’urbanisme, plan de mobilité, aides économiques, aides à l’innovation, etc. De même qu’il est possible de cibler un territoire, il est envisageable de concevoir un atelier d’écriture autour d’une thématique précise. Un tel atelier permet d’explorer de manière collective le futur de cette thématique à l’aune des scénarios, tout en gardant la dimension systémique mise en avant dans les travaux de l’ADEME. Comme précédemment mentionnés, les récits sont du matériel dont la collectivité peut se saisir pour débattre des implications, des changements que supposent les récits produits et de la complexité des choix à opérer.

Les collectivités territoriales interviennent ou ont compétence dans plusieurs de ces thématiques : programme alimentaire territorial, plan local d’urbanisme, plan de mobilité, aides économiques, aides à l’innovation, etc.

Avec les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), les collectivités planifient leurs actions en vue d’atteindre les objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre, de réduction de la teneur dans l’air de divers polluants atmosphériques et d’atteinte, d’une part, d’énergies renouvelables dans le mix énergétique. Tenant compte de la trajectoire climatique du territoire, l’immersion dans les scénarios permet de se projeter en 2050. Puis, par une démarche de backcasting, le dialogue peut s’engager au sujet des étapes antérieures, des choix et priorisations à opérer. Ces réflexions sont autant d’éléments susceptibles d’alimenter les travaux d’élaboration et de révision des PCAET. C’est une invitation au voyage où les participant·es aux ateliers sont embarqué·es pour codéfinir une ou plusieurs trajectoires d’un futur souhaitable et où chacun·e peut individuellement et collectivement appréhender les bifurcations nécessaires et leurs implications. Démarche de backcasting appliquée aux récits co-écrits dans le contexte des scénarios.

Ce que nous retenons

Nous retenons plusieurs choses de cette expérience. D’une part, la richesse et la clarté des travaux de l’ADEME permettent de nourrir la créativité pour produire des récits inspirants. Cela n’était pas forcément un acquis. D’autre part, indépendamment du scénario, le besoin citoyen de débattre, l’enthousiasme pour rêver et imaginer ensemble des futurs souhaitables sont bien présents. Le rôle des collectivités est ici primordial. Elles peuvent accéder et toucher le plus grand nombre de citoyens, et pas seulement des gens déjà convaincus. Or, toucher un public, a priori éloigné de ces sujets, les embarquer et les inviter à déployer leur créativité, à imaginer ensemble des futurs souhaitables, est la clef d’un mieux vivre-ensemble. L’investissement des acteurs territoriaux de proximité, collectivités territoriales ou autres, facilite l’ouverture de ce cercle à un public plus varié, au service des dynamiques de transformation de ces territoires.

  1. Cet atelier a été organisé le 21 mars 2022.
  2. Ce travail dessine quatre chemins « types » cohérents et contrastés pour conduire la France vers la neutralité carbone à l’horizon 2050 : génération frugale, coopérations territoriales, technologies vertes, pari réparateur (https://transitions2050.ademe.fr/).
  3. Alibert A., Metral P. et Proto E., et facilité par Zagouri C., Rider dans un monde décarboné (https://futursproches.com/rider-dans-un-monde-decarbonne/).
  4. Breton N., Doubrere V. et Grandperrin M., et facilité par Schiltz L., Drones et céramique (https://futursproches.com/drones-et-ceramique/).
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