Une fabrique prospective pour les « coopérations interterritoriales »

Le 19 novembre 2020

Partant du constat d’un défaut de connaissance des coopérations interterritoriales, le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), devenu aujourd’hui l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)1, a lancé mi-2018, en partenariat avec France urbaine et l’Association des communautés de France une étude et une fabrique prospective2 sur les coopérations entre métropoles et territoires environnants. Achevée fin 2019, la fabrique prospective a accompagné les métropoles de Brest, Nantes, Rouen-Normandie, Toulouse et leurs territoires environnants dans l’anticipation de coopérations devant participer à la réponse aux enjeux de demain.

Réalité ancienne, pour laquelle des outils et les syndicats mixtes ont été créés dès les années 1930, la coopération interterritoriale investit aujourd’hui de plus en plus de champs de politiques publiques. Mobilisée pour contribuer à la réponse aux défis des transitions, écologique notamment, elle permet de travailler à l’échelle supra-communautaire, d’aller au-delà des périmètres administratifs et des compétences de chaque territoire.

Lancés mi-2018 par le CGET en partenariat avec France urbaine et l’Assemblée des communautés de France (AdCF), l’étude et la fabrique prospective sur les coopérations entre métropoles et territoires environnants font suite à un des engagements pris conjointement par l’État et les métropoles dans le cadre du pacte État-métropoles4, celui de renforcer « l’alliance des territoires ».

La fabrique prospective a permis d’identifier une série de freins et obstacles à la coopération. Elle a produit des pistes d’actions à mettre en place localement et des propositions d’évolutions au niveau national, visant à renforcer et développer les coopérations interterritoriales. Retour sur une démarche de dix-huit mois dont les résultats pourront alimenter les réflexions des nouveaux exécutifs.

Au niveau local, il importe d’observer et de produire de la connaissance dans le temps sur les dynamiques interterritoriales, à l’échelle de chaque grand territoire métropolitain. Cela facilite l’identification des domaines les plus stratégiques à investir et in fine la conception de projets structurants.

Des coopérations protéiformes, généralement souples, partout en France

Dans le cadre de l’étude sur les coopérations entre métropoles et territoires environnants5, 173 coopérations ont été déclarées par les métropoles6 avec des territoires environnants7, dans toutes les régions de France métropolitaine. Il s’agit généralement de coopérations pluri-thématiques établies avec des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, en particulier des communautés de communes. Sur le plan des modalités, la diversité est de mise. Néanmoins, la voie conventionnelle (contrat de réciprocité, convention de partenariat, etc.) est majoritaire. Les pôles métropolitains, les syndicats mixtes, les ententes et associations, ainsi que les sociétés publiques locales (SPL) et groupements d’intérêt public (GIP) font également partie du paysage des coopérations recensées. Trois domaines sont particulièrement investis par ces coopérations entre métropoles et territoires environnants : la mobilité et les transports, le tourisme, le développement économique. L’environnement, la culture et l’eau/l’assainissement/la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) sont aussi à citer8. Les réflexions quant aux nouvelles coopérations à développer comme aux enjeux à traiter dans le cadre de coopérations existantes montrent plus largement que l’alimentation, l’énergie, l’eau, la santé, les déchets, la gestion du foncier ou encore les nouveaux modes de travail (comme le télétravail) sont autant de domaines pour lesquels les coopérations sont mobilisées.

Réunir les parties prenantes pour projeter les coopérations de demain et identifier les freins et obstacles

Parallèlement à l’étude, les métropoles de Brest, Nantes, Rouen-Normandie, Toulouse et leurs territoires environnants se sont engagés dans la fabrique prospective consacrée aux coopérations entre métropoles et territoires environnants9. Pour chaque site, un groupe de travail a été constitué. Formé d’élus et de techniciens de la métropole et des territoires environnants (EPCI, Pays, PETR, PNR, etc.), de membres de conseils de développement, d’universitaires, de représentants de pôles métropolitains et d’agences d’urbanisme, mais aussi de marchés d’intérêts nationaux (MIN), centres de commerce et d’industrie (CCI), sociétés d’économie mixte (SEM), SPL et d’établissements publics fonciers (EPF), parfois d’agents des services déconcentrés de l’État, le groupe de travail s’est réuni quatre fois dans chaque site. Dans un premier temps, les échanges ont permis d’esquisser les grands enjeux engageant l’avenir des territoires, par rapport auxquels les coopérations futures sont à penser. Chaque site a ensuite fait le choix d’une thématique à investiguer plus spécifiquement. C’est le thème de l’attractivité territoriale qui a été retenu à Brest, tandis que les métropoles de Nantes, Toulouse et Rouen-Normandie ont choisi de travailler sur la transition écologique, respectivement sous l’angle de l’énergie, de l’alimentation et de la mobilité10. L’effort de projection a amené le groupe de travail de chaque site à identifier ce qui fait frein et obstacle aux coopérations interterritoriales, actuelles et futures. Les participants ont particulièrement mis en avant la faible et partielle connaissance des flux, échanges et interrelations entre les territoires, leur difficile mesure et quantification, mais aussi certaines représentations attachées aux territoires urbains et ruraux, faisant, par exemple, redouter qu’une collectivité plus « grande » n’exerce une sorte de tutelle sur la/les autre(s). Ils ont également pointé du doigt le manque de souplesse dans l’application de certaines règles et procédures, l’absence de cadre financier incitatif et l’insuffisante prise en compte des coopérations interterritoriales et de leurs enjeux dans les schémas tels que les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) et les contrats tels que les contrats de plan État-régions (CPER).

Pistes d’actions locales et propositions d’évolutions au niveau national, pour renforcer et développer les coopérations interterritoriales

Les freins et obstacles ayant été identifiés relevant à la fois des échelles locale et nationale, les temps de travail qui ont suivi ont été consacrés à la définition de pistes d’actions à mettre en place localement d’une part et à la formulation de propositions d’évolutions au niveau national d’autre part. Pour assurer une montée en généralité progressive, trois séminaires intersites ont été organisés, à différents moments clés de la fabrique prospective. Ils ont réuni des représentants des quatre métropoles (élus et techniciens référents) et de territoires environnants, les pilotes nationaux (le CGET, France urbaine et l’AdCF) et le prestataire. Par ailleurs, des acteurs de coopérations établies hors des territoires impliqués ont été sollicités pour donner leur retour d’expérience11.

Au niveau local, il importe d’observer et de produire de la connaissance dans le temps sur les dynamiques interterritoriales, à l’échelle de chaque grand territoire métropolitain. Cela facilite l’identification des domaines les plus stratégiques à investir et in fine la conception de projets structurants. Mettre en place un « observatoire des interrelations » en mobilisant les agences d’urbanisme et les producteurs de données a été considéré comme une piste intéressante. La mise en partage et en débat des productions d’un tel observatoire permettrait, entre autres de poser les bases d’une analyse commune des enjeux du grand territoire métropolitain. Produire une vision stratégique partagée à cette échelle est, en effet, apparu comme un enjeu fort. À ce sujet, les participants de la fabrique prospective ont souligné tout l’intérêt des contributions communes, portées par plusieurs EPCI, à des contractualisations, telles que le CPER, et des documents-cadres comme le SRADDET. Cette question est à penser en lien avec l’établissement d’une gouvernance des coopérations interterritoriales efficace et adaptée. Parmi les moyens avancés pour y parvenir, il a été proposé de mettre en place une instance de dialogue informelle, réunissant tous les acteurs des coopérations interterritoriales engagées ou en projet à l’échelle du grand territoire métropolitain, animée par les représentants des EPCI et un acteur tiers, telle que l’agence d’urbanisme. Un quatrième dernier déterminant pour l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des coopérations entre territoires est celui de la mobilisation de ressources humaines et financières nécessaires.

Au niveau national, plusieurs propositions d’évolutions, juridiques, réglementaires et relatives aux politiques publiques, ont été émises et discutées. Elles visent à la fois à mettre en place un cadre juridique européen et national adapté, à dégager des moyens financiers et à développer des outils et méthodes dédiés aux coopérations interterritoriales. Il s’agit également de faire en sorte que les politiques publiques, qu’elles soient européennes, nationales comme déclinées au niveau régional, intègrent davantage les enjeux des coopérations interterritoriales, en particulier dans les domaines de l’aménagement du territoire, de l’agriculture et de l’alimentation. Ces propositions seront détaillées dans une publication à venir de l’ANCT.

Le projet de « plateforme des coopérations interterritoriales » auquel l’ANCT réfléchit aujourd’hui, en partenariat avec les associations d’élus, a pour objectif de rendre visibles les coopérations existantes entre tous les types de territoires et d’outiller leurs acteurs.

Vers une plateforme des coopérations interterritoriales

Facteur majeur de cohésion, les mécanismes de coopération entre territoires sont à renforcer. Plusieurs mesures de l’Agenda rural12 s’y attachent. Le projet de « plateforme des coopérations interterritoriales » auquel l’ANCT réfléchit aujourd’hui, en partenariat avec les associations d’élus, a pour objectif de rendre visibles les coopérations existantes entre tous les types de territoires et d’outiller leurs acteurs. En cela, il permettrait de concrétiser des idées issues de la fabrique prospective.

  1. Le 1er janvier 2020, le CGET, l’Agence du numérique et l’Epareca sont devenues l’ANCT. Annoncée par le président de la République lors de la Conférence nationale des territoires en juillet 2017, l’ANCT a été créée par la loi du 22 juillet 2019. Fabrique à projets, elle a pour mission de faciliter l’accès des collectivités locales aux ressources nécessaires à la concrétisation de leurs projets (ingénierie technique et financière, partenariats, subventions, etc.). Elle développe des programmes d’appui innovants pour répondre, en lien avec les élus, aux nouveaux enjeux et renforcer la cohésion des territoires.
  2. Dispositif original conçu en 2017 par le CGET pour accompagner individuellement et collectivement quatre collectivités dans l’anticipation de mutations territoriales, la fabrique prospective fait aujourd’hui pleinement partie de l’offre de services de l’ANCT. Pour voir les résultats d’une fabrique prospective consacrée au vieillissement, Pilon C., « Une fabrique prospective pour penser les effets du vieillissement », Horizons publics mars-avr. 2020, n14.
  3. Cécile Altaber a rejoint la coopérative Acadie en qualité de directrice d’études en septembre 2020.
  4. Signé le 6 juillet 2016.
  5. Dans le cadre d’une procédure de marché public, le cabinet KPMG, associé à l’analyste territorial Olivier Portier, a été sélectionné pour réaliser cette étude en trois volets.
  6. Vingt-et-une métropoles ont participé à l’enquête réalisée entre septembre et décembre 2018.
  7. On inclut dans les « territoires environnants » les EPCI à fiscalité propre des première et deuxième couronnes des vingt-deux métropoles, ainsi que les pôles métropolitains, Pays, pôles d’équilibre territorial et rural (PETR) et parcs naturels régionaux (PNR) à proximité.
  8. Les enseignements de ce recensement ont fait l’objet d’une publication du CGET parue en mars 2019, dans la collection « En détail-synthèse ».
  9. Dans le cadre d’une procédure de marché public, le cabinet Rouge vif territoires a été sélectionné pour la conception, l’animation et la capitalisation de la fabrique prospective sur les coopérations entre métropoles et territoires environnants.
  10. Rouen-Normandie métropole a choisi de travailler sur deux thèmes, la mobilité durable et l’alimentation.
  11. À titre d’exemple, Michael Sohn, secrétaire général de QuattroPole, structure de coopération entre les villes de Luxembourg, Metz, Sarrebruck et Trèves, est venu présenter l’association, son origine, ses missions et son fonctionnement.
  12. L’Agenda rural est le plan d’action du Gouvernement en faveur des territoires ruraux. Présenté en septembre 2019 par le Premier ministre, il s’appuie sur le rapport Ruralités : une ambition à partager, et s’inscrit par ailleurs dans la démarche d’Agenda rural européen des États membres de l’Union européenne et de la Commission européenne.
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