D’une démocratie « sauvage » a une démocratie « domestiquée » : quel rôle pour les réseaux sociaux ?

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Le 3 janvier 2019

Les réseaux sociaux apportent autant de solutions que de problèmes. C’est en résumé ce que nous pouvons tirer du colloque « Débattre et décider à l’ère des réseaux sociaux » organisé par l’association Décider ensemble le 10 décembre dernier. En effet, si les réseaux sociaux sont un moyen fort de liberté d’expression et de participation au débat public, ils sont également le véhicule de fake news, de théories du complot ou de discours de haine. Il est donc important de peser et de mettre en avant les avantages et les inconvénients de cet outil afin de l’utiliser au mieux pour favoriser la démocratie participative.

La crise des Gilets jaunes : une invitée surprise

Au moment de la préparation de ce colloque, les organisateurs n’avaient pas prévu que le sujet résonnerait autant avec l’actualité. En effet, la crise des Gilets jaunes était un cas d’étude, fil rouge du colloque, qui a permis d’apporter un certain nombre d’observations nouvelles sur le sujet de la démocratie participative.  Organisée autour de 3 tables rondes qui regroupaient des universitaires, des représentants de la civic tech et des réseaux sociaux ou encore des députés, cette demi-journée d’échanges a mis en avant les apports et les obstacles des réseaux sociaux dans le développement de la démocratie participative.

Les réseaux sociaux : des bulles informationnelles ?

Les réseaux sociaux deviennent un relais très important d’information. En effet, lors de la première table ronde, Tristan Mendes France, maître de conférences associé à l’université Paris-Diderot en digital studies, a indiqué que 67% des américains s’informent prioritairement via les réseaux sociaux. Cependant, il faut noter au-delà d’une diffusion plus importante et plus immédiate de l’information, une circulation de la désinformation tout aussi importante.

Les réseaux ont pour effet de faire remonter des informations non choisies (à la différence des journaux ou sites sur lesquels on va chercher les informations qui nous intéressent) : le contenu doit simplement être partagé par ses amis pour y accéder. S’informer via les réseaux a donc pour conséquence de créer des bulles informationnelles.

L’information n’a donc jamais circulé aussi rapidement et librement qu’à l’ère des réseaux sociaux, nous sommes dans l’ère de l’instantané.

Quels outils pour lutter contre les fake news ?

Cette rapidité de propagation s’applique également aux mauvaises informations, c’est ce qui a été notamment mis en avant par Rudy Reichstadt, fondateur de Conspiracy watch, un service de presse en ligne entièrement consacré à l’information sur le phénomène conspirationniste, le négationnisme et leurs manifestations actuelles. Il a distingué les fake news, théories du complot et le sharp power (qui consiste pour des médias étrangers à utiliser des informations trompeuses à des fins hostiles). Selon cet expert, la désinformation sous toutes les formes circule plus rapidement, voire presque instantanément, avec les réseaux sociaux. Par exemple, les premiers commentaires complotistes sont apparus avant même la fin des attentats terroristes du 13 novembre 2015, perpétrés dans la soirée à Paris et dans sa périphérie par trois commandos distincts.

Cependant, le revers de cette médaille mis en exergue notamment lors de la 1ère table ronde est que les fake news et les théories du complot circulent, elles aussi, tout aussi rapidement. À cette occasion, Elisa Borry, responsable politics & government chez Facebook, a expliqué comment Facebook, au départ réticent à intervenir dans la circulation des contenus, a mis en place des dispositifs pour lutter contre la prolifération de fake news tels que la suppression de faux comptes ou le contrôle de page qui peut être fait par tout utilisateur. Thibault Guiroy, responsable des relations publiques chez Google, a, quant à lui, mis en exergue la politique mise en œuvre pour faire face aux fake news tant au niveau du moteur de recherche que de la régie publicitaire. Mais il a aussi évoqué le fonds de financement qui soutient les éditeurs de presse et contribué au développement des décodeurs du Monde. L’idée mise en avant ici est qu’il faut éduquer aux médias pour être critique et démasquer la mauvaise information.

L’importance des réseaux sociaux dans le mouvement des Gilets jaunes

Les réseaux sont devenus des espaces de débat, des outils permanents de communication. Aujourd’hui il n’est pas un mouvement social ou de revendication qui ne s’appuie pas sur les réseaux sociaux. En effet, si l’on prend l’actualité, le mouvement des Gilets jaunes ne serait pas le même sans l’intervention des réseaux sociaux.

Facebook s’est présenté dans ce mouvement comme un véritable outil de communication et un espace de débat. Et un membre du mouvement sur les réseaux n’est pas moins actif que celui qui est présent physiquement sur les ronds-points.

Ce mouvement permet de faire les observations selon lesquelles les réseaux ont permis de libérer la parole. En effet, les réseaux ont permis au mouvement d’avoir une présence politique. Ils peuvent être vus comme un moyen de libération de la parole, d’affranchissement ou d’autonomisation de la société civile. En effet, ils ont permis à des citoyens qui ne prennent pas la parole habituellement ou qui n’utilise pas les outils traditionnels de démocratie, comme le vote, de participer au débat.

Par opposition, les institutions ont tendance à rester très hiérarchiques, verticales et éloignées des citoyens. Il y a depuis quelques années la volonté affichée d’introduire de la participation citoyenne dans la démocratie. Cependant, le côté institutionnel rebute certains citoyens et les plateformes mises en place par exemple ne fonctionnent pas car elles suscitent la méfiance. Les autres outils comme les réunions publiques ne sont pas non plus vus comme un outil efficace car ce sont toujours les mêmes personnes qui parlent et la barrière de la prise de parole en public est importante.  

Les citoyens disposent via les réseaux, comme le montre le mouvement des Gilets jaunes, d’un véritable « pouvoir de mise à l’agenda » d’idées ou de revendications. Il faut ensuite aller plus loin, les civic tech sont un moyen mais le processus entier de décision doit être complètement revu afin de tenir compte des arguments et avis émis lors de la concertation.

Quelles avancées pour la démocratie ?

La question qui se pose donc au fil de ces observations est de savoir comment prendre en compte les idées qui émergent des réseaux dans le cadre de la participation citoyenne « institutionnalisée ». Si les réseaux permettent de libérer des paroles autres que celles qui s’expriment habituellement, comment les prendre en compte ? L’idée mise en avant, en particulier dans le cadre de la deuxième et la troisième table ronde, est qu’il faut mettre en place une stratégie de participation hybride, de mêler le numérique et le présentiel, les réseaux et les mécanismes institutionnels.

Ainsi, à travers plusieurs exemples concrets, il a été démontré la nécessité de prendre en compte les nouvelles formes de débats créées par les réseaux sociaux. Mais cette utilisation seule n’est pas efficace et doit s’inscrire dans une stratégie à 360 degrés, pas seulement numérique. L’idée est de mêler digital (réseaux, plateformes institutionnelles...) et présentiel (réunions publiques...). En effet, les données qui remontent par ces canaux sont toutes exploitables et permettent d’apporter des arguments au débat. L’idée est de passer de la démocratie du clic à une démocratie participative qui prenne en compte un maximum d’arguments. Parmi les exemples cités, on peut noter le plan de communication prévu pour la mise en place de la ligne grande vitesse entre Tours et Bordeaux (Mathieu Lafaurie), le lancement de la campagne #onestpret (Hélène De Vestelle) ou encore la gestion sur les réseaux du défaut de communication lors de l’introduction des compteurs Linky (Hervé Champenois).

Reste à savoir qui va édicter les règles de participation et de prise en compte de cette nouvelle forme de démocratie ? De savoir comment et jusqu’à quel degré les réseaux peuvent intervenir dans le fonctionnement des institutions ? Comment passer de la « démocratie sauvage » mise en place avec les réseaux sociaux à une « démocratie domestiquée » qui prenne en compte les avis de chacun ?

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