« Villes Durables en Actions » : agir aujourd’hui pour la ville de demain

"Ville durable en action" première édition
Première édition en de "Villes Durables en Actions", la manifestation annuelle de l'association France Ville Durable.
©DR
Le 9 septembre 2022

La première rencontre de l’association France Ville Durable intitulée « Villes Durables en Actions » s'est tenue en ligne le 19 mai 2021 à Dunkerque. Elle avait pour fil conducteur "Déployer partout la ville durable, c'est possible!". L’occasion de diffuser auprès des décideurs publics les principes fondateurs de ce modèle de ville de demain, le manifeste qui l’accompagne, mais surtout d’expliquer que des solutions peuvent être déployées dès maintenant. Il ne suffit pas de penser la ville durable, il faut la mettre en action(s). Une liste des 116 démonstrateurs territoriaux exemplaires en termes de sobriété, d’inclusion, de résilience et créativité a été dévoilée lors de cette première édition. Retour sur la première édition.

État des lieux des transitions locales vers la ville durable

Face aux effets du changement climatique déjà perceptibles dans les territoires et à l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 imposé par les Accords de Paris de 2015, les territoires ont commencé à s’organiser. Où en sont-ils ? La journée s’est ainsi ouverte sur deux conférences plénières dédiées à un état des lieux du niveau d’avancement des territoires dans leur transition écologique et à l’accompagnement de ceux-ci par France Ville durable.

Un premier constat fait par les représentants d’associations d’élus ressort : pour l’instant, même si des expérimentations sont en cours, la réflexion écologique des grandes villes et métropoles en est encore à la partie « constat et diagnostic ».

Pour Nicolas Mayer-Rossignol, président de la métropole Rouen Normandie, maire de Rouen, représentant de France Urbaine, « nous sommes finalement passés d’un monde, et les grandes villes en sont le symptôme, où les humains pensaient qu’ils avaient une capacité d’action dans une nature infinie ; aujourd’hui, les humains considèrent qu’ils ont accès à une technologie infinie en se rendant compte de la finitude du monde ».

Il est donc urgent de proposer une vision plus réaliste du futur des villes, plus compatible avec les enjeux et notamment la notion de limites planétaires, mais qui reste désirable et positive pour le grand public.

Pour ce faire, trois étapes sont indispensables. Tout d’abord, créer un phénomène « d’idéation », soit une vision citoyenne de la ville durable, car aucune action ne peut se mener sans la population. Les grandes villes de France sont les mieux placées pour y procéder, grâce au leadership qu’elles exercent par le biais de leurs initiatives (par exemple Paris avec la politique de course au zéro carbone menée par la maire Anne Hidalgo). La promotion des résultats concrets de ces politiques permet de donner une matérialité à ce changement de paradigme et, par effet domino, d’inciter les citoyens à y adhérer le plus possible et à agir à leur tour. « Il est indispensable de prendre conscience que le patrimoine est multiple, fini et en danger et qu’on en est tous co-responsables dans sa reconquête et sa protection », selon André Flajolet, maire de Saint-Venaut, vice-président en charge de la transition écologique à l’AMF.

Mais est-ce que tout peut se faire en partant du local ? Plus précisément, ce point de départ local peut-il faire système ?

Dans certains cas, absolument. Nicolas Mauer-Rossignol cite ainsi l’exemple de la gratuité des bus municipaux à Dunkerque qui a inspiré plusieurs autres villes, dont Rouen, même si dans cette ville la gratuité n’a lieu que le samedi. Ce processus d’inspiration constitue la deuxième étape, celle de la « contagion heureuse » par la démonstration. Ce mouvement provenant du local s’inscrit par ailleurs dans une volonté nationale (voire internationale) puisque d’une part, les collectivités territoriales doivent, depuis dix ans, établir leur bilan carbone, et d’autre part, depuis la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et le climat, elles doivent élaborer un plan de transition. Quelques exemples de réalisations inspirantes sont donnés au cours de la matinée, parmi lesquels la participation depuis 10 ans de l’Agence de l’eau Artois-Picardie à un effort de désartificialisation du sol, par l’implantation notamment de parkings perméables et végétalisés ; la réintroduction de la campagne en ville telle qu’elle existait avant les mines à Dourges (Pas-de-Calais), de manière à ne plus « subir » ces dernières mais au contraire les retransformer ; ou encore les efforts de La Rochelle pour assurer une meilleure couverture en ingénierie et en portage foncier pour reconquérir les friches par le biais d’outils financiers comme les « fonds friches », ces subventions proposées par l’État pour le recyclage des friches et la transformation de foncier déjà artificialisé. C’est ici que la troisième étape intervient : celle de la massification des mesures qui fonctionnent et leur standardisation, car autrement, « l’objectif intermédiaire de réduction de 40 % de la production de carbone en 2030 sera inatteignable », prévient Nicolas Mayer-Rossignol.

Un manifeste pour une nouvelle définition de la ville durable

Face à ce besoin exprimé par les représentants des collectivités territoriales d’être accompagnés dans leur adaptation au changement climatique, France Ville durable apparaît comme l’acteur approprié pour répondre à leurs attentes. Cette association, issue de la fusion fin 2019 de l’Institut pour la ville durable et du réseau Vivapolis, réunit à parts égales tous les acteurs urbains de la ville – des représentants de l’État, des collectivités locales, des agences comme l’ANRU et l’ADEME, quatre collèges d’experts et des entreprises – pour relever les enjeux de la ville durable en fédérant les énergies et unifiant les gouvernances.  

Fonctionnant en do tank, elle exerce plusieurs actions complémentaires : agir dans une démarche de projet afin d’élaborer des solutions pratiques et concrètes, militer pour que ces dernières soient déployées à une large échelle – en relayant les politiques de l’Etat, notamment la stratégie « Solutions pour la ville durable et les bâtiments innovants » annoncée récemment par l'ex-Premier ministre Jean Castex – et enfin former les acteurs de la ville durable.  

Pour ce faire, est mise en œuvre une approche en réseau pour parler avec un langage commun. Cette notion de langage commun a été le point de départ pour mettre au point en février 2021 leur Manifeste, un document évolutif qui redéfinit les fondamentaux de la ville durable.

Elaboré par les quatre collèges de l’association, le Manifeste est structuré autour de quatre piliers fondamentaux :  

  • La sobriété : une ville sobre se développe en prenant en compte les ressources naturelles limitées, forme « ses décideuses et décideurs politiques, administratifs, techniques, économiques et les citoyen.ne.s à ces enjeux et mesure les impacts du cycle de vie de ses projets avant de décider de les mettre en œuvre » ;
  • La résilience : il s’agit d’une ville qui a pris conscience des enjeux de demain, de ses vulnérabilités et de ses ressources, et qui s’adapte en conséquence pour que la vie soit toujours agréable (alimentation saine, bâtiments, sécurité sanitaire) sans hypothéquer l’avenir ;
  • L’inclusivité :  une ville inclusive est participative, et mobilise l’ensemble des acteurs. Selon le manifeste, elle « lutte contre toute ségrégation sociale et spatiale, en recréant des quartiers, des lieux ou des occasions, sources de lien social, en aidant les plus fragiles, et en favorisant la mixité. Elle encourage les coopérations et un maillage territorial équilibré » ;
  • La créativité : il s’agit d’une ville agile et innovante, « qui favorise le progrès humain, culturel, social et économique à l’échelle locale, en considérant le développement économique comme un outil au service de la transition, et de l’amélioration de la qualité de vie. Elle est prospère, attractive pour les entreprises et les salariés. »

La mise en œuvre de ces quatre éléments se révèle cependant délicate, prévient Brigitte Barriol, déléguée générale de la Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU), et en particulier le principe de sobriété, une « nouveauté qui va demander un travail collectif immense pour que tout le monde se retrouve dedans et le mette en place ».  

Comment alors mettre en place la ville durable et quels contours de celle-ci peut-on tracer ? Toute initiative doit répondre à une seule question fondamentale : « À quoi ça sert ? », plutôt que « Comment ça marche ? ».  

En effet, le design de tout projet intelligent doit être basé sur une définition rigoureuse de son usage et de ses fonctionnalités, pour s’insérer dans le modèle de la ville durable, laquelle se veut être facile à vivre par et pour les citoyens et les usagers, à qui on va proposer des services performants, adaptés à leurs besoins, qui ne sont évidemment pas les mêmes partout. Il faut en conséquence commencer par définir les besoins du territoire concerné, pour ne pas tomber dans l’écueil de la sur-standardisation.  

La ville durable est aussi attractive et dynamique, car elle propose de l’emploi et donc, par extension, est créatrice de valeurs sociales comme financières.

On comprend alors que la ville durable est une ville inclusive, qui prend soin, qui devient « hospitalière ». Cette notion de soin a été renforcée par la crise sanitaire, laquelle a révélé des fragilités dans la population, notamment une peur de l’autre (dans tous ses sens – l’Autre pouvant être malade, étranger, etc.). Si un repli sur elle-même a pu être constaté, la crise a été aussi l’occasion d’entraîner des prises de conscience sur son rapport à la nature et à ses limites qu’il faut cesser de repousser sans cesse.  En conséquence, c’est une ville qui recherche nécessairement l’interterritorialité, par le biais de la coopération et de la réciprocité avec les autres territoires voisins (champ alimentaire, consommation foncière, biodiversité, ressources). Et qui encourage la mixité – des populations comme des bâtiments –, déjà amorcée par le changement des espaces de travail qui deviennent « flexibles », du renforcement du télétravail, du changement des modes d’habitation…  Enfin, c’est une ville démocratique à l’écoute de ses habitants. On en revient ainsi à cet enjeu d’un langage commun qui permet de se projeter dans l’avenir en changeant la manière de l’envisager.  

L’approche intégrée et solutions concrètes de déploiement de la ville durable

Pour faire face aux enjeux de la transition écologique, il ne s’agit pas de faire cavalier seul, mais de faire coopérer et dialoguer les acteurs territoriaux entre eux.

Le principe d’approche intégrée apparaît comme un moyen approprié pour adapter les stratégies d’aménagement et revoir les politiques d’aménagement sur le prochain demi-siècle.

Cette manière d’envisager l’action est actuellement celle des acteurs institutionnels comme l’ADEME, le CEREMA, l’ANCT, des entreprises privées comme Bouygues Construction ou encore des agences d’urbanisme comme l’Agence d’urbanisme et de développement de la région Flandre-Dunkerque (AGUR). Celle-ci a institué un nouvel outil opérationnel et intégré : la toile, sorte de schéma de fonctionnement qui permet d’appréhender des écosystèmes complexes en donnant une vision globale du fonctionnement d’un secteur (industrie, énergie, transition agricole et agroalimentaire, etc.), afin de mettre en réseau ses différents acteurs, de développer de nouvelles formes de collaborations ou de conforter des partenariats. Grâce à la connaissance détaillée de ces écosystèmes et l’identification des opportunités qui leur sont associées, de leurs points de fragilité, dépendances ou dysfonctionnements, sont générées des réflexions collectives tendant vers des modèles plus durables, ainsi que des solutions répondant aux enjeux et contraintes du territoire concerné.  

Selon Arnaud Leroy, président de l’ADEME, un autre outil adapté pour déterminer les enjeux et les priorités des nouvelles politiques de transition d’un territoire se trouve dans la « boussole de la résilience » élaborée par le CEREMA dans un guide du même nom : il s’agit d’un « cadre de réflexion pour se poser l’ensemble des questions liées à la transition [d’un territoire pour] renforcer sa  résilience pour mieux anticiper, agir, rebondir, se transformer dans le temps et in fine, réduire [ses] vulnérabilités » (La boussole de la résilience : repères pour la résilience territoriale, CEREMA, coll. « Les Cahiers du CEREMA », p. 4).  

Si l’enjeu climatique et énergétique est central, il est toutefois essentiel de réintégrer la vision de la ville durable dans une perspective holistique, qui ne peut donc pas tenir compte que de ces enjeux.  

Cette globalisation de l’approche apparaît indispensable puisque nous sommes face à une rupture dans la façon de fabriquer la société et d’aménager. Selon Pascal Berteaud, directeur général du CEREMA, « on ne peut plus continuer à faire du business as usual et inventer des projets et des idées nouvelles. Il faut changer de méthode et non plus partir des politiques de l’État mais plutôt du terrain ». Et de prendre l’exemple des coronapistes : un mois et demi après le premier confinement, le CEREMA a publié un premier guide que les collectivités territoriales ont de suite expérimenté et évalué, ce qui a permis la parution d’une version « définitive en un temps record. 

En conclusion, il faut passer moins de temps à réfléchir qu’à agir, expérimenter et corriger. Surtout que, face aux enjeux climatiques, les solutions sont là, « à déployer partout et à toutes les échelles (quartier, bâtiment, logement) ».

Quelques exemples de boîtes à outils pour des transitions clé en main ont ainsi été donnés.  

Pour l’échelle « quartier », est donné l’exemple de l’écoquartier des Noés à Val-de-Reuil (Normandie), par son architecte-concepteur, Philippe Madec. Cet écoquartier de 100 logements basse consommation (maisons individuelles indépendantes ou groupées, logements intermédiaires ou collectifs, en accession ou location, sociales ou privées afin de privilégier l’inclusivité) ont été construits selon un principe d’urbanisme bioclimatique, qui privilégie la meilleure orientation du site pour se protéger du froid et solariser au maximum les structures. Cet exemple montre ainsi que la réhabilitation n’est pas un enjeu technique (par exemple savoir où mettre de l’isolant n’est pas le plus compliqué) mais humaniste et social, pour retrouver de l’estime pour le monde dans lequel l’homme se trouve.   

Pour l’échelle « bâtiment », est donné le projet ABC (A pour « autonomie énergétique », B pour « bâtiment » et C pour « citoyen ») à Grenoble, livré par Linkcity et Grenoble durant l’été 2020. Cet ensemble de bâtiments (42 logements intermédiaires et 20 logements sociaux) produit son électricité et recycle les eaux de pluies à 70 % et n’utilise que 30 % d’énergie et d’eau urbains. Il a en outre été conçu en concertation avec les habitants, afin de le rendre le plus inclusif possible. La prochaine étape du projet ABC est de l’étendre à l’échelle d’un quartier entier.

Enfin, à l’échelle bâtiment, est annoncée la mise en place d’un référentiel qualité pour les logements urbains, et plus particulièrement pour l’habitat collectif. Plusieurs raisons à ce choix : c’est dans ce secteur que le plus d’alertes qualité remontent et en améliorant la qualité d’usage des bâtiments, un mouvement systématique vers la ville et un urbanisme plus durable amplifié est attendu. En outre, la crise a amplifié le moteur de l’étalement urbain qu’est la recherche d’espace et de qualité de vie en mettant en évidence deux éléments importants : les notions de kilomètre/proximité et celle du logement, dans une perspective du vivre seul/ensemble.  

Le référentiel de qualité ainsi produit sera très précis et portera sur la surface des logements, qui s’est considérablement réduite (un 3 pièces a aujourd’hui une taille de 56 m² en moyenne contre plus de 60 m² il y a quelques décennies). Un effort notable sera ainsi fait sur la taille des chambres et la hauteur sous plafond (le standard aujourd’hui est de 2,50 m), mais également sur les notions d’éclairement, de ventilation, le caractère traversant de la lumière et de l’air dans des pièces qu’il s’agira de rendre modulables. Ce travail sera également mis en relation avec le coût financier d’un tel logement, car ces améliorations ne doivent pas être une charge supplémentaire pour l’utilisateur. Le confort ne doit pas être une variable d’ajustement, au contraire du foncier.

Les solutions existent donc pour rendre concrète la ville de demain, et les collectivités territoriales ne sont pas seules pour les mettre en œuvre.

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