Beyrouth … Mille nuits et une vie

Le 18 juillet 2025

Beyrouth, jadis phare de la modernité arabe et refuge des intellectuels, a façonné au fil du XXe siècle une effervescence culturelle unique, nourrie de nuits vibrantes de débats, de théâtre et de poésie.

« Beyrouth, dame (souveraine) du monde… Ô Beyrouth » : tels furent les mots du poète syrien Nizar Qabbani, quand la ville retrouva la paix après une longue guerre civile (1975-1990). Quelques années plus tôt, le poète palestinien Mahmoud Darwich proclamait : « Beyrouth, notre dernière tente » – le terme "tente" signifiant refuge. En effet, Beyrouth fut pendant des décennies, y compris durant les premières années du conflit, le refuge et le foyer des intellectuels, artistes, écrivains et opposants arabes. 

Selon Ibn Khaldoun, une ville constitue un espace structuré que la nation investit comme champ de civilisation et de loisir. Beyrouth incarna le laboratoire d'une modernité arabe, un rôle qu'elle perdit progressivement à partir des années 1990, sous l'effet d'un nouveau contexte politico-économique régional et international marqué par le néolibéralisme.

La ville connut une renaissance grâce à un concours de circonstances géopolitique et historique remontant au XIXe siècle : la démolition de ses murs d'enceinte pendant la campagne égyptienne (1831-1840), suivie d'une politique de modernisation urbaine, du développement portuaire et de la construction ferroviaire. Les effets de la Nahda (Renaissance intellectuelle arabe, 1850-1930), combinés aux ambitions des marchands levantins de créer une plateforme financière moderne, façonnèrent l'avenir de Beyrouth. Celle-ci a plus tard capitalisé sur les «bonheurs » et « malheurs » des pays arabes et accentua son rôle.

Ses universités accueillaient les étudiants du monde arabe, tandis que ses maisons d'édition jouissaient d'un prestige incontesté.

Beyrouth, ville des contradictions et d’une folle ivresse de vivre au bord du précipice. Pour saisir son cheminement à travers les méandres du XXe siècle, il faut explorer son espace nocturne : ce laboratoire de débats, d'expérimentations et parfois d'analyse.

Qu’offrait la nuit ? Pièces de théâtre, séances de ciné-clubs, conférences littéraires, veillées d’artistes et d’écrivains, mais aussi les soirées dans les locaux des grands quotidiens – véritables carrefours où journalistes, intellectuels et créateurs fécondaient par leurs échanges l’effervescence culturelle.

Territoires de l’imaginaire et arènes de joutes intellectuelles, ces nuits accueillaient les grands débats politiques : polémiques marxistes sur le capitalisme, querelles culturelles comme celle qui opposa, à travers les revues « Chi‘ir » et « Adab », autour de la poésie arabe moderne.

Les lieux des rencontres étaient divers, cafés, coulisses d’un théâtre, amphithéâtres, sièges des institutions culturelles, des ciné-clubs mais surtout dans les locaux des grands journaux An-Nahar, As-Safir, Al-Anwar et autres. Grâce à cette dynamique, la nuit éclairait le jour. Les idées  mûries dans l’espace nocturne beyrouthin nourrissaient la production culturelle arabe dans multiples domaines.

De nos jours, Beyrouth a perdu de son éclat. Bien que sa flamme créatrice ne se soit pas totalement éteinte, l'ère de la modernisation arabe est révolue : les mécanismes néolibéraux ont déplacé les pôles d'animation culturelle arabe vers des pays plus riches.

×

A lire aussi