Bilan de la loi EGalim : pourquoi la qualité de l'alimentation de 12 millions d'élèves n’est pas encore une affaire d’État ?

Pourquoi la qualité de l'alimentation de 12 millions d'élèves n’est pas encore une affaire d’État ?»
©© Credit Photo Ecocert
Le 9 juin 2022

Après les lois de décentralisation de 2004 ayant confié aux communes, départements et régions la gestion de cantines scolaires, la loi EGalim (Loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) de 2018 représente pour ces dernières, un événement  majeur. Elle les contraint notamment à proposer 20 % de bio et 50 % de « produits durables » à échéance de janvier 2022.

 

Horizons publics est allé à la rencontre des acteurs nationaux, régionaux et de terrain afin de mieux comprendre le secret des réussites mais aussi les causes plus profondes d'une transition difficile vers un nouveau modèle alimentaire, pour les cantines scolaires.

La loi EGAlim et son « bilan »

En octobre 2018 est promulguée la loi EGalim, issue des « États Généraux de l’Alimentation » de 2017. Elle se donne pour objectifs de mieux rémunérer les producteurs, d’accroître la qualité des produits, de favoriser une alimentation plus saine, sure et durable « pour tous »[1].  EGalim a fixé pour janvier 2022 un objectif de 50 % de produits durables et sous label de qualité[2] dans la restauration collective publique dont 20 % d’achats de produits bio. La loi prévoit également l’expérimentation sur deux ans d’un repas végétarien par semaine, une intensification de la lutte contre le gaspillage, et pour le plastique une interdiction des « touillettes, pailles et bouteilles d’eau » pour 2020 et des contenants alimentaires d’ici 2025. En août 2021, la loi Climat et résilience issue de la Convention citoyenne pour le Climat pérennise le menu végétarien hebdomadaire dans les cantines scolaires, le rend obligatoire dans les cantines gérées par l’État, l’étend à la restauration collective privée pour 2024.

Enfin, en février 2021 l’État lance la plate-forme « Ma cantine » afin d'aider les acteurs de la restauration collective à « mieux comprendre les lois EGalim et Climat » et s'auto-évaluer, mais à ce jour aucun bilan précis de l'impact d’EGalim n’a été rendu public. Selon les rares données existantes et transmises par le Ministère de l’agriculture, la part de la bio dans les cantines collectives publiques est passée de 3,4 % en 2017 (étude de l’Agence Bio) à 10 % en 2021 sans précision pour la restauration scolaire. En ce qui concerne la part de produits durables elle est de « 11 à 15 % suivant les segments de restauration » et de 22 % pour les restaurants de l’État. Le Ministère souligne que la crise sanitaire aura durablement affecté le secteur de la restauration collective. Or, comme nous allons le voir, la problématique de la transition des cantines scolaires à ceci de très particulier, qu'elle est à la fois caractérisée par de fortes volontés d'avancer sur certains territoires, et des freins culturels, juridiques et de gouvernance qui mettent en exergue les limites actuelles des politiques publiques de transition.

Ce que nous enseignent les bons élèves

Presque tous les pionniers de « l’écosystème bio et durable » se sont trouvés confrontés à cet argument : « Introduire de la bio à la cantine n’est pas possible. Cela coûte trop cher ». Nous rencontrons Didier Ides, maire de la commune de Sauvigny-le-Bois dans l’Yonne (700 habitants), précurseur de son département depuis 2011. La cantine de l'école primaire y propose 70 % de bio et 50 % d’achats locaux. Au sujet du coût du repas, le maire attrape son stylo et trace une ligne : « C’est simple. Pour nous un repas bio c’est 1,70 euros de coût-matière et entre 8 et 9 euros avec les salaires et les autres charges ». Pour Didier Ides le problème « c'est plus quand on achète pour jeter », que celui du prix de la matière.

Lise Pujos est responsable du label En cuisine d’Ecocert, le principal organisme de certification bio et durable pour la restauration collective. Elle remarque qu’il y a dix ans « Les acteurs ne mesuraient généralement pas leurs achats. Quand on dit 20 % de bio c’est une chose. Mais 20 % de quoi au juste ? En réalité, il faut avoir une comptabilité monétaire pour savoir où vous en êtes. La loi EGalim le prescrit. C’est le vrai changement de ces dernières années. L’association Un Plus bio est venue nous chercher pour monter L'Observatoire de la restauration bio et durable. Il a travaillé sur une base de 6000 établissements et a montré que le bio n’est pas forcément plus cher s’il s’accompagne d’autres changements  comme la lutte contre le gaspillage. L’observatoire est parvenu à casser les idées reçues. Lorsque les gens commencent à acheter bio, on voit qu’ils se réinvestissent dans leurs achats. Ils achètent beaucoup plus local car ils veulent des produits de qualité. Le système de gestion vous oblige à entrer tous les produits, du coup, vous commencez à avoir un diagnostic de ce que vous faites. En cela j’ai un regard positif sur la loi ».

En guise de démonstration, de nombreuses communes ont largement dépassé les objectifs d’EGalim à ce jour. Pêle-mêle : la commune de Langouët en Bretagne est 100 % bio depuis 2004. Elle s'est aussi équipée de panneaux solaires, d’un système de récupération des eaux de pluie, d’un potage. Lagraulet-du-Gers est passée en 100 % bio en moins d’un an et a été récompensée en 2020 par les Victoires des cantines rebelles pour sa création d’une régie agricole. Le collège Pierre-Fanlac de Belvès en Dordogne est le premier l'un des premiers à avoir atteint 100 % de bio grâce notamment au travail de son chef Jean Marc Mouillac. Enfin, les villes de Paris, Brest, Amiens, Saint-Etienne, Strasbourg, Grenoble, Nîmes, Grande Synthe, et bien d’autres, sont régulièrement citées en exemple.

Pour mieux comprendre le secret de ces territoires, nous avons interrogé Gilles Pérole adjoint au maire de Mouans-Sartoux (10.000 habitants dans les Alpes Maritimes).  Mouans-Sartoux est sans doute la réussite française la plus connue à ce jour. Horizons publics lui avait consacré un article en 2019. Gilles Pérole est délégué enfance-éducation-alimentation et par ailleurs représentant de l’AMF (Association des Maires de France) pour les cantines scolaires. Il nous explique que l’équipe municipale prend conscience dès 1998, après l’épisode de la vache folle, de la nécessité de sécuriser les produits de ses restaurants, et introduit du bœuf biologique. Par la suite les élus s’auto-saisissent d’une politique alimentaire territoriale. Les quantités de fruits, légumes, céréales complètes et la part d’alimentation biologique cuisinée augmentent. « Puis en 2008, après le Grenelle qui prévoyait déjà 20 % de bio, on s’est dit qu’il fallait avancer » explique Gilles Pérole. L'objectif est atteint en 2012, sans surcoût. « Pour la maîtrise des coûts, nous avons deux leviers essentiels. Le plus gros c’est la réduction du gaspillage alimentaire. Le deuxième : la diversification des protéines. Nous proposons 40 % de repas sans viande et poisson. Chaque semaine il y a un menu complètement végétal et un autre à base d’œuf ». La commune n'a pas lésiné sur les moyens. Elle anime au quotidien les cantines des ses écoles, avec des actions pédagogiques, des propositions de recettes, des défis environnementaux. Elle a créé une Régie agricole municipale au domaine de Haute-Combes qui emploie trois agriculteurs, et la MEAD (Maison d’Éducation à l’Alimentation Durable). Il s'agit d'un prototype de Service public de l’alimentation, doté d’un pôle de recherche, qui emploie neuf personnes principalement financées par des fondations et appels à projets. Mouans-Sartoux a réalisé une enquête en 2016 auprès des parents d’élèves et fait apparaître que 87 % des familles se sont appropriées de bonnes pratiques alimentaires. « Je crois beaucoup à l’exemplarité de la restauration collective » souligne Gilles Pérole.

Cependant la transition des cantines se heurte partout en France, à un obstacle plus inattendu : les nouveaux menus végétariens et bio ne seraient pas toujours du goût des élèves. Pour en prendre la mesure, nous demandons à Sophia, élève de première dans un lycée de l'Yonne ce qu’elle en pense. La réponse est cinglante : « Le bio et le végétarien à la cantine c’est ignoble. Il faut qu'ils arrêtent ça ! Quand ils proposent leurs steaks de soja, je n’y touche pas ». Une étude de 2021 réalisée par l’Assemblée des Départements de France (ADF) a en effet montré que le gaspillage augmente avec les menus végétariens.

Lise, la responsable de la cantine de Sauvigny-le-Bois, nous en donne quelques clés de compréhension. « Quand on commence avec le végétarien, on fait de la salade verte et des lentilles… Seulement pour aller plus loin, il faut que l’on progresse. Il faut que cela soit appétissant, qu’il y ait « le coup d’œil » pour les enfants. Parfois on tombe à côté ». Avançant à tâtons et échangeant beaucoup avec les élèves, Élise a récemment expérimenté du Tofu pour faire de la sauce Bolognaise et « les enfants n’ont rien vu...» constate t-elle. Le maire Didier Ides explique que lorsque les cuisiniers et gestionnaires de cantine se « contentent de commander ce qui est disponible dans les catalogues, ils prennent souvent le problème à l’envers ».

C’est la raison pour laquelle Gilles Pérole se dit un « Un farouche opposant » à ce que prévoit la loi Climat et résilience, qui va jusqu'à proposer une alternative végétarienne quotidienne. « Pour moi ce n'est pas la bonne réponse. Elle concerne 20 % de personnes qui mangent végétarien alors que 80 % restent sur un repas carné ». Mouans-Sartoux a en effet trouvé dans la formule du « menu unique » la troisième clé de son équilibre. Et le maire-adjoint concède que sa commune serait à ce jour dans « l'incapacité d’offrir une alternative quotidienne. Il faudrait pour y arriver, faire deux menus et passer par du transformé. Or, le végétarien est essentiellement fait à base de produits transformés, avec les steaks de soja, etc. Non seulement cela coûte une fortune, mais c’est un produit de mauvaise qualité nutritionnelle,  trop sucré, salé et gras».

La lycéenne Sophia se souvient aussi de yaourts bio proposés au collège qui n'étaient pas vraiment du goût des élèves. À ce sujet, nous interrogeons Valérie Lazennec, une paysanne, qui gère la ferme laitière de Traon Bihan dans le Finistère, et alimente les cantines de la ville de Brest, en yaourts bio. Elle est adhérente de la FNAB (Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique) et présidente de la Maison de la bio du Finistère. « Mon yaourt, quand les enfants le mangent une fois, ils n’aiment pas forcément. La deuxième fois, ils le crachent un peu moins. Et la troisième fois, ils l’adorent ! ». Et d’ajouter : « Aujourd'hui tous les enfants de la crèche mangent mon yaourt nature !». Valérie Lazennec estime qu’« il y a désormais une addiction au sucre et au gras » mais que les enfants peuvent tout à fait s'habituer à une autre texture, une autre saveur, à condition de les accompagner. « Cela m’arrive d’aller dans le cantines, de leur dire : c'est moi qui fait le yaourt ! Parfois je les reçois à la ferme. Je montre la vache qui fait le lait ». Elle précise que « ce n'est pas de rééducation », dont il s’agit, mais de transmission « de connaissances qui carrément n’existent plus dans les générations d’aujourd'hui. Ils sont tellement habitués à manger des produits transformés. Alors ça fonctionne quand on s’y met. Il faut de la pédagogie et de l’humain pour ça ».

L’organisme de certification Ecocert contribue largement à l’accompagnement de cette transition des cantines. Depuis 2013, il propose une labellisation payante baptisée En cuisine, partant d'un audit où toutes les composantes de la cantine sont épluchées, avant de décerner entre 1 et 3 « Carottes ». Le label s’appuie sur des critères comme la part de la bio, la saisonnalité des produits, le fait maison, la lutte contre le gaspillage alimentaire, l’utilisation d’éco-détergents, ou encore la transparence sur les démarches de labellisation. « En dix ans d’existence, nous en sommes à 2700 restaurants collectifs labellisés, dont 600 cuisines sur place » explique Lise Pujos. Pour la part scolaire, cela représente 2000 établissements, dont 1500 écoles, 400 collèges et 30 lycées. À l'image de cette répartition, de premières enquêtes montrent  que les collèges et lycées sont en retard sur les écoles primaires. Mouans-Sartoux est « la seule commune de France « 100 % bio de la crèche au collège » et l'explication que donne Gilles Pérole illustre l'importance du facteur humain dans ce processus de transition : « C’est grâce à une principale qui au bout de sa troisième rentrée n’a plus supporté que les élèves lui demandent pourquoi la cantine n’était pas bio ». La principale prend contact avec la commune et en 2019 la cantine du collège devient 100 % bio. 

Pour l’heure, s’il ne semble pas exister d’entrain à dresser un bilan précis d’EGalim dans le secteur scolaire, ce serait comme l'indiquera une étude à paraître commandée par l'Ademe, parce que la majorité des 60.000 établissements seraient en réalité aux antipodes des « premiers de la classe » et que s'inspirer des bonnes pratiques en les dupliquant, ne suffirait pas. Comme nous allons le voir, les raisons sont à la fois économiques, juridiques, culturelles mais aussi liées à un problème de pilotage de ces politiques de transition par l'État.

La course contre la montre entre les petits et les gros et la question de l’exception alimentaire

Gilles Pérole, en tant que représentant de l’AMF cette fois-ci, nous rappelle qu’avec les gestions concédées et  les prestataires privés, « partout en France on sert de la nourriture aux enfants sans savoir  exactement ce qu'il y a dedans » et que les industriels se sont adaptés à la loi EGalim. « La bio industriel progresse, et avec davantage de moyens. La plus mauvaise nouvelle que j’ai entendue, c’est quand Carrefour a annoncé qu’il voulait être le premier sur la bio » souligne t-il. « La crise sanitaire a été une accélération car pour la première fois la filière bio a marqué le pas. Au début, les producteurs bio ont fait vivre la population, mais ça s’est effondré avec le fait de commander à la maison, le drive. Cela a eu un impact sur les filières ».

Pour Lise Pujos d’Ecocert, les produits ultra-transformés sont « un des nouveaux enjeux de santé publique ». Elle explique que « la cuisine d’assemblage » nous vient des années 80-90, et que « nous en sommes tous responsables ». Cependant, pour elle, l’opposition frontale des modèles n’est pas toujours pertinente. « En fait, il n’y a pas un modèle, mais des modèles d’alimentation. La question est de savoir si je peux cuisinier à l’intérieur de l’un de ces modèles et comment l’industriel va travailler avec vous pour proposer un produit sain, de qualité ».

En attendant, une course contre la montre s’est engagée entre les industriels et les petits producteurs locaux. Et dans ce cadre, l’accès aux marchés publics pose parfois problème. Pour la productrice laitière Valérie Lazennec : « C'est vrai qu'au départ je ne comprenais rien aux marchés publics. Je me demande même si c'est écrit en français ». Mais grâce à la Maison de la bio et une personne salariée qui les aide, les producteurs ont trouvé la parade. Côté commune, Gilles Pérole nous explique la stratégie de Mouans-Sartoux pour accéder à des producteurs locaux : « On a des marchés d’appel d’offre avec une annexe pour attribuer le marché à partir de critères ambitieux. On attribue la meilleure note à ceux qui font du bio et du local. Les grossistes jouent le jeu. Petit à petit on raccourcit la distance. Le bœuf venait du Massif central, maintenant il est dans les Bouches du Rhône et le riz vient de Camargue ».

Les acteurs interrogés nous signalent la tribune portée par l'Association Un Plus bio et publiée le 3 mars dans le journal Libération : « Pour une exception alimentaire dans le code des marchés publics en Europe ». Elle explique que :« Lorsqu’une collectivité souhaite acheter des carottes, des pommes ou de la viande bio pour ses cantines : elle doit s’ouvrir à tous les fournisseurs européens, quand bien même des fermes se trouvent sur son territoire et pourraient répondre à d’autres aspects qui l’intéressent (…) Malheureusement, les producteurs de proximité ne répondent quasiment jamais aux appels d’offre, trop lourds à gérer sur le plan administratif et taillés pour les grands opérateurs ». Autrement dit, la réglementation  empêcherait à ce jour les collectivités et établisements de privilégier le local, les obligeant à des contorsions juridiques qui compliquent leur tâche, notamment pour les marchés importants. Les signataires de la tribune réclament la création d’un « régime d’exception alimentaire » européen.

Le territoires seuls face à une transition culturelle globale

Cathy Chaulet est déléguée à l’agriculture et la qualité alimentaire du département du Gard. Le Gard affiche à ce jour 21 % de produits bio et 32 % de produits durables. Toutes ses cuisines sont localisées dans les établissements. Le département s’est distingué pour avoir créé l’UCL de Nîmes (Unité de Conditionnement de Légumes). Les légumes sont lavés, épluchés, traités et acheminés dans la moitié des 26 établissements du département, ce qui représente un gain de temps substantiel pour les cuisiniers. Le département a fait un « gros travail de sourcing » et s’approvisionne au Mas des producteurs « la vitrine gardoise des produits de qualité ». Une délibération a été récemment votée pour inscrire l’ensemble des collèges dans le label Ecocert. « On a aujourd’hui 4 collèges labellisés et 4 en route pour un contrôle. Je rêverais qu’ils y aillent tous » avoue Cathy Chaulet. Or, l’élue reconnaît qu’une partie des établissements n’avancent pas à la même vitesse. « C’est compliqué de faire changer les mentalités » concède t-elle.

Nous interrogeons Stéphane Veyrat le directeur d'Un Plus bio, une association dédiée à la mise en synergie des acteurs de la restauration collective durable, à propos de la formation des cuisiniers. D'après lui, il ne s'agit pas d’un problème de formation mais de métier. « Le métier de cuisinier a été pensé il y a des décennies et n'a pas réellement bougé depuis. Aujourd'hui un cuisinier doit maîtriser le droit, les filières, la démocratie scolaire, etc. Or ces emplois de catégorie C ont été recrutés sur des expériences de cuisine et malgré leur bonne volonté ont rarement toutes les compétences nécessaires ». Lise Pujos d’Ecocert appuie cet argument : « Avant on demandait aux cuisiniers de faire à manger. Maintenant, il faut prendre en compte l’environnement, le territoire, les perturbateurs endocriniens, le plastique, les produits chimiques. Là où on voit que ça marche, c’est quand il y a un échange entre le gestionnaire et le cuisinier, lorsque le cuisinier a envie de dialoguer, de changer de pratique. Le nouveau cuisinier doit « parler le territoire ». C’est pourquoi je pense que la clé de la transition se joue sur l’humain ». Sur le terrain, pour avancer sur ces sujets l’élue du Gard Cathy Chaulet explique que « régulièrement, le département reçoit les cuisiniers et gestionnaires de collège pour faire un point sur la loi EGalim, identifier les difficultés et essayer d’aller peut-être plus vite ».

Face à ces enjeux d’acculturation et de mise en synergie, chacun s'accorde à reconnaître que les PAT (Projets Alimentaires Territoriaux) constituent la nouvelle donne du moment. Le service communication du Ministère de l'Agriculture nous informe que France Relance a octroyé 80 millions d’euros pour leur déploiement. « 33 ont été créés au premier janvier 2022, soit 182 de plus sur un an ». Les PAT sont des outils permettant de mettre autour de la table les producteurs et les institutions. Ils peuvent être créés à l’échelle d’une commune, d’un EPCI, d’un département et sont animés par des chargés de mission recrutés à bac +5. « C’est formidable de voir cette jeunesse qui apporte des idées. Ils sont intelligents, innovants, ils expérimentent » reconnaît Cathy Chaulet. Le PAT départemental du Gard s’est donné pour mission de coordonner la douzaine de PAT intercommunaux mais l’élue reconnaît bien volontiers que les limites de l'exercice tiennent souvent aux sempiternelles querelles entre les territoires. « Quand vous prononcez le mot territoire, vous avez tout dit », soupire t-elle.

Nous interrogeons Fabienne Dedidier, chef de projet PAT du département de l’Yonne, arrivée en octobre 2021 sur un financement France Relance. Elle nous explique à son tour que « Quatre PAT existent déjà dans le département. L’idée est d’arriver à organiser des réunions régulières, avec des Cellules PAT réunissant les différents techniciens afin de faire un partage d’expérience, de coordonner les futures actions, d’en mutualiser si possible, comme par exemple des structures de maraîchage en insertion ». Fabienne Dedidier cite en exemple un événement auquel elle participe le lendemain dans un collège de Tonnerre, qui sera l’occasion d’échanger entre les Ephad, hôpitaux, collèges, de goûter des produits, de rencontrer des producteurs locaux, de travailler sur la diversification des protéines. Pour Gilles Pérole le défi à relever de ces nouveaux outils se présente ainsi : « pour les PAT de communes, d’EPCI, de départements, la situation ne se complique pas s’ils parviennent à travailler de manière coordonnée, chacun à leur niveau de compétence, en synergie...A ce titre, je suis un grand défenseur de la nécessité de conserver le PAT au niveau communal, ce qu’à tendance à faire disparaître l’État. Ces PAT sont essentiels, mais il faudra que les postes soient pérennisés au-delà des 3 ans actuels »

D'un État faiseur de lois à un État catalyseur de la transition ?

Ce qui frappe en attendant est le constat unanime d'une absence opérationnelle de l’État sur ces questions. « Il y a une grande absente aujourd'hui, c’est l’Éducation nationale » reconnaît Stéphane Veyrat d’Un Plus bio, pour lequel :  « les acteurs manquent d’interlocuteurs au plus haut niveau, et qu’ils auraient besoin d’avoir des référents ». Nous avons appelé le Ministère de l’Éducation nationale afin de trouver un interlocuteur. Il nous est répondu que « personne » ne travaille au Ministère sur le sujet des cantines. Nous sommes renvoyés vers le Ministère de la Santé, qui nous fait la même réponse et nous renvoie vers le Ministère de l’Agriculture porteur de la loi EGalim. « C’est fou ! Et il est bien là le drame...» réagit Cathy Chaulet. « On parle d’égalité, mais suivant que vous soyez puissant ou misérable, on n’a pas même chose dans l’assiette. Je pense que la pause méridienne devrait être de la responsabilité de l’Éducation nationale ».        

Catherine Labrousse présidente du collectif de parents et de particuliers « Ramène ta Fraise » situé à Montpellier, milite précisément sur ce précis. « Nous sommes allés voir des sénateurs pour leur demander que la cuisine soit intégrée dans les programmes scolaires, surtout en primaire. Aujourd'hui c'est à géométrie variable. Certains enseignants savent expliquer comment pousse une tomate, que l'on ne mange pas des légumes hors saison, abordent la question de la qualité de l'alimentation et son lien avec la santé. Mais d’autres reconnaissaient qu'ils ne savaient pas faire...Donc, l'idée est d'intégrer l'alimentation et la cuisine comme quelque chose d'obligatoire dans les programmes scolaires ». L’association a prévu de saisir les députés sur cette question  en vue des législatives.

Gilles Pérole estime qu'à ce jour « l’État se donne bonne conscience en faisant des lois. Mais plutôt que de légiférer il faut dynamiser les territoires ». Il réclame par ailleurs la création d’un Ministère de l’alimentation à part entière. Stéphane Veyrat d’Un Plus bio étaye cet argument. « Aujourd'hui au niveau des Ministères de l’Éducation nationale et de la Santé, il n'y a pas de prise en compte réelle de ces sujets. Les départements et les régions sont souvent seuls à porter ces enjeux. Les territoires s'organisent avec les moyens du bord mais ils ne se font plus d'illusions. Et le plus préoccupant aujourd’hui est peut être le schéma qui a été mis en place. L’État verse dans des appels à projets qui nous mettent en concurrence, en instabilité, ce qui fait que l’on n’a pas intérêt à coopérer. Or au contraire, il y a un besoin de consolider des têtes de réseaux nationaux et locaux dans la durée. Il faudrait que l’État accepte de constituer un écosystème de partenaires en capacité de proposer d'autres itinéraires en matière de restauration et d'alimentation. 

En créant le « Club des territoires », l'Observatoire de la restauration collective bio et durable, les Trophées des cantines rebelles, l'Association Un Plus Bio tente en quelque sorte de palier à cette situation, avec des résultats prometteurs. « Le Club des territoires qui a dépassé les 130 adhérents a renforcé le tissu des collectivités capables de changer leur paysage alimentaire. Les résultats de l’Observatoire ont mis en exergue la question des réserves foncières à anticiper, les fausses idées sur le surcoût du bio et les leviers pour agir. Un Plus bio devient une association qui accélère les projets qui ont envie de passer à la vitesse supérieure. Notre grande satisfaction est de faire communiquer les très grandes villes, les agglos, les petites villes, etc. ».

En attendant, ce sujet nous confronterait à une sorte de trou noir, dont il serait intéressant d'étudier la nature, qui accélérerait les inerties plus que les synergies, entre les politiques des collectivités, dans leur relation avec l’État et entre l’institution et les producteurs. Mais vu sous un angle optimiste, la résolution du problème « civilisationnel » de la restauration scolaire pourrait devenir un axe privilégié d'invention d'une nouvelle forme de gouvernance publique, autour d'un État législateur et coordinateur-facilitateur et non pas seulement donneur d'ordre et faiseur de lois. En attendant que ces questions progressent, l'enjeu inspire une question bien plus tranchante à chacun de ses observateurs : « Comment pouvons-nous expliquer que la qualité de l'alimentation de 12 millions d'élèves ne soit pas encore une affaire d’État ? ».

Pour en savoir plus sur ce sujet et les coulisses de cette enquête, vous pouvez vous rendre sur le site de l'auteur : https://poetiquespubliques.wordpress.com/enquete-egalim-et-cantines-scolaires/

[1] Précédé par la loi 11 février 2016 relative au gaspillage alimentaire, et complétée par la loi 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire.

[2] Les labels principaux sont AB, AOC/AOP, IGP, STG, Label Rouge. Voir un document de la Région Auverge Rhône-Alpes.

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