Revue
L'actualité vue par...Christophe Bouillon : «Nous devons nous habituer à penser différemment les développements de nos territoires»

Ancien député de Seine-Maritime, Christophe Bouillon est président de l’Association des petites villes de France (APVF), maire de Barentin (76) et président de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT).
1- La transition écologique
Il faut avoir en tête deux chiffres quand on parle de « transition écologique ». Le premier : 16, comme le nombre de mois avant la fin du mandat des maires. Le deuxième : 6, comme le nombre d’années avant 2030, qui est le premier horizon de nombreuses trajectoires liées à la transition écologique. Tout va très vite. Les porteurs de projet, dans la France des procédures, ont besoin de cinq ou six années même lorsqu’ils ne sont pas contestés. Cela veut dire que si nous ne mettons pas un coup d’accélérateur, nous n’atteindrons aucun des objectifs présents dans les documents de planification écologique. Si 2030 apparaissait lointain, aujourd’hui, nous n’avons pas le temps. Nous n’avons donc surtout pas besoin d’un coup de frein. La génération 2020 des élus locaux a été plébiscitée avec une brique « transition écologique ». Elle a été perturbée par le covid-19 puis l’inflation, même si la montée des prix de l’énergie a permis de gagner du temps sur certains sujets. Les élus locaux sont convaincus. Ils ont lancé des projets d’isolation des bâtiments, de reconquête de la biodiversité, de production d’énergies renouvelables ou d’aménagement des centres-bourgs. Ce n’était pas gagné, mais une dynamique est présente.
Le Fonds vert a été applaudi avec vigueur. Il a été très utilisé : il ne faut pas casser cet élan. Nous aurions du mal à nous en remettre. La transition écologique n’est pas un interrupteur qu’on éteint puis qu’on allume. Lorsqu’on éteint, il y a une latence avant de reprendre efficacement du service. Nous devons être dans la bonne trajectoire d’ici 2030.
Le Fonds vert a été applaudi avec vigueur. Il a été très utilisé. Il ne faut pas casser cet élan. Nous aurions du mal à nous en remettre.
Nos territoires sont victimes du dérèglement climatique. Nous vivons des inondations majeures, des épisodes de canicule, etc. Les risques augmentent. Le sujet de la transition écologique est central dans nos politiques publiques locales. Quand on parle de l’attractivité des villes, notamment les petites et moyennes, c’est un facteur à prendre en compte. Il y a un regard positif porté aux territoires qui mènent des projets en la matière. Un regard exigeant. Les habitants souhaitent que les projets municipaux aient, dans leur ADN, la transition écologique. Ça compte aussi beaucoup pour l’attractivité de la fonction publique territoriale.
Le zéro artificialisation nette (ZAN) est un enjeu de modèle. C’est pour cela que nous devons travailler autour de l’accompagnement du changement. On ne peut pas blâmer une commune qui tente de sauvegarder son école ou d’attirer une nouvelle entreprise, mais ce n’est pas idéologique. On considère en France que toutes les communes sont face aux mêmes problématiques. Les maires souhaitent ne pas être empêchés. Il faut faire le lien avec d’autres documents de planification pour réussir à se projeter.
Classiquement, il y a l’idée que la transition écologique est l’affaire du directeur général des services (DGS) ou du directeur de la surveillance du territoire (DST). Mais tous les agents ont un rôle et doivent être mobilisés. Ils doivent avoir une compréhension du projet global et être formés. Si ce n’est qu’une affaire d’élus, décidée dans un bureau parce qu’ils y croient… Nous allons avoir une perte de sens et, donc, un problème. Les agents sont des vecteurs très importants de la transition écologique.
2 - La transition démographique
Vous avez des territoires qui gagnent des habitants. L’Ille-et-Vilaine, par exemple, c’est 10 000 habitants supplémentaires chaque année. D’un autre côté, des territoires se vident. Plus globalement, la France a une population qui diminue et qui est vieillissante. C’est un vrai choc pour les élus. À chaque fois que l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) publie des chiffres liés au recensement par commune, les maires attendent les résultats comme si c’était le jour du bac. Une baisse de la population est synonyme dans la presse d’un questionnement. Il y a même des classements, comme si la perte de population était un échec. Cela entraîne une obsession : celle d’augmenter sa population. Nous allons faire des malheureux, car la transition démographique est durable ! Nous devons nous habituer à penser différemment les développements de nos territoires.
Une personne qui quitte une grande ville pour un pavillon individuel va se diriger à côté, dans un petit village. Mais le jour où, étant plus âgé, vous souhaitez vous « libérer de la voiture », vous allez chercher à revenir dans les centres-bourgs. Nous devons prendre conscience de la notion de parcours. La population n’étant plus la même, nous avons des besoins différents. Il faut penser le sujet du vieillissement.
Il y a un problème d’intermédiation. L’époque du « coup de main » est terminée, l’entraide n’est plus ce qu’elle était. Que ce soit dans les quartiers des maisons individuelles ou sur les logements collectifs. Les personnes âgées ont besoin d’aide. La question du lien est donc essentielle. Mais cela n’empêche qu’il faut regarder les politiques publiques avec « des lunettes de vieux ». Quand on pense à nos personnes âgées, il nous vient en tête le repas des aînés et la question des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). On pense aux personnes dépendantes. Mais toutes les personnes âgées ne sont pas dépendantes. De très beaux exemples existent. Par exemple, le label « Villes amies des aînés » est très intéressant. Un regard à 360 degrés est porté pour éviter de regarder les plus âgés sur le prisme de la dépendance. Par exemple, de plus en plus de seniors ont besoin de faire du sport, de marcher. Les habitudes de consommation changent. C’est une révolution. Elle ne s’opère pas encore au niveau national, mais au niveau local, notre agilité doit nous permettre d’aborder la question de manière plus systémique.
Nous devons nous habituer à penser différemment les développements de nos territoires.
Notre service public local n’est pas prêt pour une société plus âgée. Quand on pense aux personnes âgées, on pense tout de suite aux départements. C’est une première difficulté. Au niveau du sport, de la culture et de toutes les actions mises en place par nos caisses centrales des activités sociales (CCAS), nous pouvons faire beaucoup mieux. Nous entendons souvent parler de sociétés inclusives. Dans les communes, on parle d’accessibilité. Il faut sortir du prisme du handicap. Plus on est inclusif, plus la ville s’ouvre à l’ensemble des habitants. Le vieillissement amène des difficultés pour se déplacer. Nous avons, dans les villes, des demandes de bancs phénoménales. Il faut tout repenser en essayant d’être plus inclusifs. Les chiffres liés à la démographie : nous les connaissons. Ce n’est pas un phénomène que nous découvrons.
3 - L’enjeu de la santé sur les territoires
J’observe que la santé est un sujet très souvent mis sur la table par l’ensemble des associations d’élus, et donc, par tous les territoires. C’est le cas depuis plusieurs années. Cela montre que le problème n’est pas réglé. Pourtant, de nombreuses initiatives ont été prises. Les ministres de la Santé ont créé des outils, mais la problématique est encore présente. L’exercice du métier de médecin a changé.
L’ordre national des médecins a communiqué sur le fait qu’il faut 2,6 médecins pour en remplacer un. Les pratiques sont aussi différentes. Et la transition démographique entraîne plus de maladies chroniques… Il y a un besoin de soins plus important. Et cela ne va pas diminuer.
Il y a le sujet de la liberté d’installation, sur la table depuis trop longtemps. Il faut dépasser ce sujet pour aller vers l’obligation de consultation. Nous ne demandons pas à des médecins de venir s’installer dans des petits villages avec leur famille et d’y vivre toute l’année. Nous souhaitons avoir l’assurance que l’ensemble des territoires ne soit pas confronté au nomadisme médical, c’est-à-dire à l’obligation de faire 50 kilomètres pour trouver un généraliste ou un spécialiste. Nous pensons qu’un médecin avec un cabinet bien fourni dans une ville doit pouvoir donner du temps dans un territoire moins bien doté. Dans la Creuse, ce système fonctionne grâce à un lieu très bien pensé qui accueille des médecins en villégiature en échange de consultations.
C’est un débat très français. Les uns parlent de « régulation », les autres de « coercition »… En attendant, les Français ne voient pas le bout du tunnel. Il faut utiliser l’expression « déserts médicaux » avec précaution. À l’APVF, j’ai des maires qui accueillent des ingénieurs, des entreprises, etc., mais pas de médecins. Ce n’est pas un désert ! Certaines grandes villes sont d’ailleurs aussi concernées dans certains arrondissements. C’est pour ça que l’idée de consultation est intéressante. Un médecin peut avoir une journée de consultation dans un regroupement ou un lieu imaginé par une collectivité. Nous devons inventer un nouveau système. Les élus doivent faire leur deuil du médecin de campagne venant vivre toute sa vie dans la commune. Et du côté des médecins, il faut peut-être accepter de voir arriver des obligations dans le beau métier qu’ils exercent. Il ne s’agit pas de faire diminuer les vocations. C’est dans l’organisation que nous avons des soucis. Venir consulter une journée par semaine dans nos communes, ce n’est pas le bagne ! Chacun doit faire un pas vers l’autre. Sinon, nos administrés risquent de réagir violemment face à un sentiment d’abandon.
Nous devons nous habituer à penser différemment les développements de nos territoires.
On est souvent sur des obligations de résultats plutôt que sur des obligations de moyens. Je crois qu’il faut fixer des objectifs et puis laisser les collectivités locales à la manœuvre avec un contrôle à la fin. Ce qui est difficile aujourd’hui, c’est que l’État est prescripteur du début à la fin, dans de nombreux domaines. Quand on laisse de la souplesse, on voit apparaître une grande capacité de bien faire. La crise sanitaire a révélé un potentiel d’organisation assez exceptionnel. Les hôpitaux et les collectivités se sont transformés en logisticiens ! Nous avons fait face. Nous serions bien inspirés d’une culture du résultat.
4 - La question du logement
La question du logement est essentielle. Nous voyons qu’il existe encore sur nos territoires des dents creuses. C’est un sujet important pour deux raisons, d’une part, les Français ont besoin d’être logés, d’autre part, nous avons une formidable source d’innovation et d’emploi. Je vois aujourd’hui des maires qui ont libéré des terrains pour accueillir des entreprises, mais n’ont pas de logements pour les futurs salariés. Cela pose un problème. C’est aussi une clé pour une meilleure éducation. La taille d’un logement a une incidence sur la manière de travailler des plus jeunes.
D’un point de vue économique, le secteur du bâtiment pèse lourd. Et il est réparti sur l’ensemble du territoire français. Des entreprises sont présentes partout en France. Des plus grosses aux petits artisans. Certaines ont des carnets de commandes qui sont vides et c’est dramatique. Ce sont des emplois non délocalisables. Ils sont essentiels. Nous appelons à un sursaut. Nous avons fait confiance, de manière dogmatique, au marché. C’est l’idée du choc du logement. Pour l’instant, les chiffres sont plutôt faibles. Et encore, le logement social vient combler le manque de commandes issues du privé. On parle souvent des maires bâtisseurs. C’est vrai pour les équipements, mais aussi pour les logements. On ne peut pas considérer que c’est un sujet anecdotique. La plupart des maires de mon association ont très mal vécu l’augmentation des taux d’intérêt et les conditions fortes imposées pour l’obtention de crédits. L’élan est brisé, nous tirons la sonnette d’alarme. Il y a un an, nous parlions d’une « bombe sociale ». Aujourd’hui, elle a explosé.
Il y a un beau succès des programmes comme Action Cœur de ville ou Petites villes de demain. Dans celui appelé « Villages d’avenir », beaucoup de projets présentés sont liés au logement. Partout, on cherche à repositionner les logements dans les centres-villes et cela me paraît essentiel pour agir sur la dynamisation. Un vrai travail a été mené par les maires sur ce que l’on appelle le « foncier invisible ». Les verrues urbaines. Mais aussi sur les « biens sans maître ». Quand j’ai visité des territoires ces derniers mois, j’ai vu des maires qui pourraient faire des conférences sur la manière dont ils ont repensé la question du logement. Je pense à Château-Thierry (02) ou Épinal (88), par exemple. L’expertise est réelle, y compris chez les bailleurs. Si on casse cette dynamique, nous aurons du mal à faire de la couture urbaine et re-densifier les villages et les petites villes. Je l’ai déjà dit, mais notre vrai problème est celui de la procédure. Nous devons réussir à faire des « villages olympiques » partout en France. Pourquoi est-ce que cela fonctionne ? Il y a un alignement de tous les services instructeurs de l’État pour raccourcir les délais tout en respectant la parole des uns et des autres. Ce n’est pas possible de continuer à mettre six ou sept ans pour monter des projets. L’État doit jouer son rôle. Pas celui d’empêcheur, mais de facilitateur. Le maire est le premier ingénieur de sa ville. Il doit faire remonter les besoins des habitants, puis il faut réaliser des solutions. Il n’est pas que bâtisseur. Il doit mener les réflexions en amont.
5 - L’importance du lien avec les habitants
C’est dans les communes que nous avons pu vivre les premières expérimentations de démocratie participative. La démarche de Grenoble date de plus de cinquante ans, par exemple. Mais il est vrai que c’est une dynamique qui s’essouffle un peu. Il existe des quantités de manières de faire participer les citoyens : les visites de quartier, les conseils participatifs, etc. Malgré tout ça, on voit qu’il y a de plus en plus de contestations sur tous les projets. On peut comprendre parfois. Par exemple, sur des projets industriels très lourds. Aujourd’hui, vous effectuez des travaux dans une rue et vous créez de la contestation. Nous sommes face à des problèmes de voisinage. Les administrés n’acceptent plus qu’il y ait quoi que ce soit à côté de chez eux. Pourquoi ? Il y a un enjeu autour de la définition de l’intérêt général. C’est compliqué. Même les maires qui s’y prennent très tôt dans la concertation rencontrent ce type de difficulté. Cela rend très compliqué le développement des territoires. Le maire est l’élu de proximité. Il absorbe donc directement ce type de comportement. La question de la démocratie représentative doit interpeller l’échelon local. On la convoque souvent pour les élus des strates départementales, régionales ou nationales, mais nous ne devons pas nous endormir sur nos lauriers. Je ne crois pas du tout que nous, les maires, soyons épargnés, au contraire, nous sommes les prochains sur la liste. Il faut regarder ça de très près ! La preuve, c’est que de nombreux maires sont menacés dans l’exercice de leur fonction. C’est un signe fort. On voit des comportements d’ayant droit. On demande aux élus la même chose que ce que l’on demanderait à un fournisseur de services privés classique. Nous nous sommes longtemps imaginés comme un dernier rempart, comme tiers de confiance entre le monde politique et citoyen. Ce n’est pas faux, heureusement, mais cela se délite.
Le maire est le premier ingénieur de sa ville. Il doit faire remonter les besoins des habitants. Il n’est pas que bâtisseur.
C’est vrai que nous avons des difficultés avec l’engagement. Nous ne sommes pas les seuls. De nombreuses associations, par exemple sportives, ont beaucoup de mal à trouver leurs dirigeants. Il y a un manque de temps. Nous le voyons, avant nous puisions dans le monde associatif pour monter les listes électorales. C’est un vivier qui s’épuise. Ce que j’observe, c’est qu’il y a encore beaucoup de participations ponctuelles. Je ne pense pas que les Français soient égoïstes. Il y a une capacité de mobilisation mais au cas par cas.
La difficulté d’un mandat c’est qu’il demande de la durée. C’est compliqué. Avec des collègues maires, nous observons que six ans, c’est court quand vous êtes à la manœuvre, mais c’est long pour certains élus. Nous sommes confrontés à des abandons. Le maire est un amortisseur social. Dans toutes les crises récentes, nous l’avons vu : des Gilets jaunes au covid-19. Attention à encore être en état d’amortir dans les prochaines années.
Les demandes sont parfois contradictoires. Nous cherchons en permanence l’équilibre en dégageant l’intérêt général. Aujourd’hui, cette fonction n’est parfois plus comprise et l’intérêt particulier prime par moment. Je prends souvent l’exemple des rues à sens unique. La première question sera de savoir si tout le monde est d’accord. Mais ensuite, dans quel sens irons-nous ? Il y aura rapidement des injonctions contradictoires ! Et si vous posez des questions aux habitants, prendront-ils en compte l’avis des gens de la rue d’à côté ? J’appelle cela « la démocratie du petit bout de la lorgnette ». Les gens regardent devant leur porte. Il faut réussir à trouver celles et ceux capables de dire : « Votre point de vue est important et, en même temps, avec celui des autres nous allons faire autrement. » Sans cette capacité, cela devient impossible et génère de la colère.