Chronique : Rentrée masquée, ohé, ohé !

Le 19 novembre 2020

Et une chronique plus tard, on ne peut toujours pas éviter le sujet incontournable. Pire encore, selon les éléments de langage désormais bien ancrés dans nos esprits : on doit apprendre à vivre avec le virus.

Mais que doit-on entendre par « apprendre à vivre avec le virus » ?

Dans un premier temps, peut-être faudrait-il déjà savoir dire où en est la pandémie. Et si ça peut paraître simple de prime abord (tant l’information est relayée partout et tout le temps), la vraie compréhension des nombreux chiffres relatifs à la propagation du virus, au nombre de cas positifs, au nombre de patients hospitalisés, etc., semble relever du génie. Oui, parce qu’en plus de s’attaquer à notre santé, ce coronavirus nous oblige également à replonger (non sans douleur) dans les méandres des mathématiques et de la statistique. Si vous frissonnez déjà, voici mon tuyau pour une formation express : allez écouter les huit petites minutes de « Nouvelles contaminations, hospitalisations, mortalité : comment lire les chiffres de l’épidémie de coronavirus ? » 1, épisode de La question du jour sur France Culture.

Dans un second temps, vivre avec le virus, c’est aussi, bien sûr, adopter au quotidien les gestes préventifs qui en ralentissent la propagation. En effet, désormais, on connaît tous les fameux gestes barrières (du moins les principaux) : la distanciation (qui n’est plus sociale, mais) physique, le lavage régulier des mains et le port du masque.

S’agissant du masque justement, on félicite les décideurs publics qui sont enfin tombés d’accord sur son utilité qui ne fait plus de doute (quand bien même elle ne serait pas absolue, selon les plus ou moins bonnes pratiques). Enfin… « qui ne fait plus de doute », ça dépend pour qui !

D’abord très visibles aux États-Unis, des communautés anti-masques se sont également constituées un peu partout en Europe. Leur réunion a été largement facilitée par les réseaux sociaux (ce qui n’est pas sans rappeler les débuts de la crise des Gilets jaunes). D’ailleurs, c’est notamment par ce biais des réseaux sociaux qu’un chercheur a mené une enquête sur le profil des anti-masques2.

On y apprend, que ces communautés sont avant tout motivées par une forte défiance envers les institutions politiques et médiatiques et un rejet global des contraintes et des élites. De plus, ces communautés présentent une forte perméabilité aux thèses complotistes. L’auteur note, par ailleurs, qu’il est « largement nécessaire de sortir d’une vision assez naïve, consistant à penser que les périodes de crise créent ex nihilo des individus défiants : les crises ne les créent pas, elles les mobilisent. Mais les prédispositions existent bien en amont ». Enfin, l’auteur dresse le portrait-robot des anti-masques français, qui peut sembler surprenant à plusieurs égards : il s’agit majoritairement de femmes (63 %), de 50 ans en moyenne, dont plus d’un tiers sont issus des CSP+ avec un niveau d’éducation moyen à bac +2.

La majorité des Français aurait tendance à blâmer les anti-masques. Mais pour le journaliste et auteur, Thomas Huchon, il faut les excuser, car ils seraient victimes du mystérieux effet Dunning-Kruger. Dans une interview vidéo donnée à Konbini techno3, Thomas Huchon nous explique que l’effet Dunning-Kruger implique que lorsqu’on commence à s’intéresser à un sujet, notre impression de connaissance dépasse très largement notre connaissance réelle.

Dans le même ordre d’idées (à croire que le sujet est à la mode), dans une interview vidéo pour Brut.4, le philosophe et physicien Étienne Klein nous explique ce qu’est l’ultracrépidarianisme, qu’il définit comme l’art de parler avec assurance de choses que nous ne connaissons pas.

Je ne suis pas psychologue, mais… je vous assure que c’est intéressant !

Toujours est-il que le port du masque est désormais obligatoire quasiment partout et quasiment pour tout le monde. Enfin… ce « quasiment » fait quand même un peu débat. D’une part, il y a la question du « où ? » et d’autre part la question du « quand ? ».

À l’heure où de nombreux recours viennent contester la légalité des arrêtés préfectoraux imposant le port du masque dans certaines zones géographiques, ce tout petit « quasiment » donne du fil à retordre aux juridictions administratives. Faisons rapidement le point.

Pour le Gouvernement, « on ne peut pas faire de la dentelle en période de pandémie » 5.

Ainsi, en premier lieu, la circulation du virus ne s’arrête pas au coin d’une rue et concrètement, il semble très difficile de faire respecter l’obligation du port du masque selon un découpage parfois tiré par les cheveux. L’exemple de Paris a été assez criant : en très peu de temps, le port du masque était obligatoire dans certaines rues, puis dans certains quartiers, et enfin dans toutes les rues de la ville.

Aussi, bien que plutôt générales et plutôt absolues6, les obligations de port du masque édictées par les arrêtés préfectoraux sont proportionnées au but d’intérêt général poursuivi (et donc légales) eu égard notamment à la plus grande lisibilité de la mesure si elle est prise dans « des zones suffisamment larges pour englober de façon cohérente les points du territoire caractérisés par une forte densité de personnes ou une difficulté à assurer le respect de la distance physique […] » 7. Cette fameuse zone suffisamment large et cohérente peut correspondre au territoire d’une ou plusieurs communes toutes entières ou simplement à un centre-ville quand celui-ci est particulièrement dense et facilement identifiable « […] de sorte que les personnes qui s’y rendent puissent avoir aisément connaissance de la règle applicable et ne soient pas incitées à enlever puis remettre leur masque à plusieurs reprises au cours d’une même sortie » 8.

En second lieu, sommes-nous obligés de porter le masque tout le temps ? Un fumeur peut-il ne pas porter son masque dans la rue ? Et si je grignote un paquet de biscuits en marchant ? Si je discute avec une personne malentendante ? Et quand je fais de la marche sportive ?

Dans tous les cas, certaines catégories de personnes ne sont pas tenues au port du masque. Par exemple, les personnes pratiquant une activité sportive9. Cela concerne donc, entre autres, les coureurs et les cyclistes.

En parlant de vélo, c’est officiel, dans le cadre du plan France relance, le ministère de la Transition écologique et solidaire encourage la pérennisation des « coronapistes » 10 lorsque le bilan le justifie11 bien que tout le monde ne soit pas aussi emballé par l’idée12.

Pour en revenir à la liste des dérogations à l’obligation de port du masque, là encore, saisi d’un recours relatif à un arrêté préfectoral, le Conseil d’État a été amené à dresser la liste des tolérances13. En résumé, même si l’arrêté préfectoral ne l’a pas spécifiquement prévu :

  • NON, il n’appartient pas au préfet de distribuer gratuitement des masques à la population concernée par l’arrêté au motif que les personnes aux revenus modestes, voire insuffisants, seraient privées de leur liberté de circuler sous peine d’amende en cas de non-port d’un masque homologue14 ;
  • OUI, on peut ne pas porter de masque lors de la pratique d’une activité sportive15 ;
  • OUI, on peut retirer son masque pour boire ou manger sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public (tout en précisant qu’il « appartient en outre aux agents verbalisateurs d’apprécier, le cas échant, dans un contexte donné, si l’infraction d’absence de port du masque est constituée » ; on suppose qu’il en est de même pour une personne qui fumerait une cigarette en marchant) ;
  • OUI, on peut enlever le masque temporairement pour s’adresser à une personne sourde ou malentendante pour qu’elle puisse lire sur les lèvres16.

Rebondissons sur ce dernier point. Les difficultés rencontrées par les personnes sourdes ou malentendantes sont réelles et cela a d’ailleurs poussé la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, à faciliter, notamment pour les travailleurs, la commande de « masques inclusifs ».

Ainsi, tant pour le secteur privé17 que pour le secteur public18, le Gouvernement met en place une prise en charge du financement des masques inclusifs pour « soutenir le recrutement et le maintien en emploi des personnes en situation de handicap » 19.

Concrètement, un masque inclusif est un masque présentant une partie transparente permettant ainsi à toute personne de voir les expressions du visage et de lire sur les lèvres de son interlocuteur.

Outre la nécessité de prévoir des masques inclusifs pour les individus en contact de personnes sourdes ou malentendantes, le Gouvernement a également annoncé la fourniture de ces masques transparents aux enseignants dans les classes maternelles, car le port du masque risquerait de perturber l’apprentissage du langage et de la lecture par les enfants. Affaire à suivre.

En parlant handicap et inclusion, où en est-on de l’accessibilité des sites web publics ?

Pour le petit topo, dans un premier temps, c’est la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées20 qui prévoyait l’obligation de rendre les sites Internet publics accessibles aux personnes handicapées. La première date butoir était fixée à mai 201221. Force est de constater que cette obligation n’a été que très (trop) peu respectée.

En 2016, rebelote ! En effet, la loi pour une république numérique22 a modifié la loi de 2005 (notamment en prenant en compte la directive de l’Union européenne relative à l’accessibilité des sites Internet et des applications mobiles des organismes du secteur public23) et a ainsi renforcé cette obligation qui est désormais assortie de sanctions en cas de non-respect.

La question est en fait d’actualité puisque la nouvelle date butoir prévue pour la potentielle mise en œuvre de ces sanctions a été fixée au 23 septembre 2020 pour tous les services de communication au public en ligne (et au 23 septembre 2021 pour les applications mobiles, progiciels et mobiliers urbains numériques).

À partir de cette date, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées pourra (après mise en garde) prononcer une sanction administrative à l’encontre de toute collectivité (ou administration d’État) dont le site Internet ne serait pas accessible. Pour la petite info, l’amende en question s’élève à 2 000 € pour les communes de moins de 5 000 habitants et à 20 000 € pour les autres ! Des sommes d’argent qui ne crèvent pas le plafond, mais qui seraient surement mieux utilisées à justement parfaire les sites Internet… Cela dit, beaucoup diront que c’est chose plus facile à dire qu’à faire sans disposer (généralement) des compétences techniques en interne pour ouvrir ce chantier.

Enfin, comment parler de service de communication au public en ligne sans aborder le service public de la diffusion du droit par l’Internet qui vient de faire peau neuve : notre bon (plus si vieux) Légifrance.

Disponible en version bêta depuis plusieurs mois, la nouvelle version de Légifrance en est désormais l’unique24.

Au fond, un peu de changement. On trouve des contenus nouveaux : accords de groupe, interentreprises d’entreprise et d’établissement, ainsi que les débats parlementaires, et les documents administratifs.

Par ailleurs, la petite révolution, c’est la compatibilité facilitée de Légifrance avec l’usage d’interfaces de programmation. Concrètement, cela veut dire qu’on va progressivement voir un passage de l’open data au sens de données brutes mises à disposition du public, à une mise à disposition de données dynamiques directement exploitables par d’autres applicatifs. Un nouveau pas vers l’État plateforme. Assurément un pas en avant pour le développement de legaltech innovantes. Mais au total, ce qui a retenu l’attention des usagers, surtout des professionnels du droit dans un premier temps, c’est le changement d’interface. Pas facile de changer ses petites habitudes. Si difficile même qu’une pétition a très vite vu le jour pour demander le retour à l’ancienne version. Ah… cet esprit bien français qu’on adore !

Pour retrouver un climat de paix, finissions avec humour25 : nul n’est censé ignorer la loi, sauf depuis la nouvelle version de Légifrance !

Affiche diffusée au public et réutilisable pour indiquer que le port du masque est obligatoire
©Crédit : Santé publique France
Capture d’écran du site Légifrance
  1. Erner G., « Nouvelles contaminations, hospitalisations, mortalité : comment lire les chiffres de l’épidémie de coronavirus ? », La question du jour 11 sept. 2020, France Culture, https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/radiographie-du-coronavirus-comment-lire-les-chiffres-de-lepidemie
  2. Bristielle A., « “Bas les masques !” : sociologie des militants anti-masques », Fondation Jean-Jaurès 2020, https://jean-jaures.org/nos-productions/bas-les-masques-sociologie-des-militants-anti-masques
  3. Huchon T., « Tout comprendre à l’effet Dunning-Kruger », Konbini techno 2020, https://www.dailymotion.com/video/x7w2g1m
  4. Klein E., « L’ultracrépidarianisme, l’art de parler de ce qu’on ne connaît pas », Brut. sept. 2020, https://www.youtube.com/watch?v=f89WV
  5. Propos tenus par le directeur des affaires juridiques au Secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales lorsqu’il a défendu des arrêtés préfectoraux contestés devant le Conseil d’État.
  6. D’après les juges du fond, voir, par exemple, TA Strasbourg, 2 sept. 2020, n20055349.
  7. D’après le Conseil d’État, voir notamment CE, ord., 6 sept. 2020, nos 443750 et 443751.
  8. Ibid.
  9. Dixit de Conseil d’État dans les ordonnances du 6 septembre 2020 susmentionnées.
  10. Mot-valise composé de « coronavirus » et « piste cyclable ». Ce mot fait référence à des pistes cyclables, à l’origine temporaires, aménagées principalement dans les grandes et moyennes villes pour faciliter les déplacements à vélo de plus en plus préférés (les beaux jours aidant) aux transports en commun, notamment du fait de leur engorgement aux heures de pointe.
  11. Boëdec B., « Continuités cyclables et coronapistes : le ministère fait d’une pierre deux coups », Banque des territoires pour Localtis 14 sept. 2020, https://www.banquedesterritoires.fr/continuites-cyclables-et-coronapistes-des
  12. « Ces coronapistes à peine tracées, déjà effacées à la demande de certains maires », France Inter 6 août 2020, https://www.franceinter.fr/ces-coronapistes-a-peine-tracees-deja-effacees-a-la-demande-de-certains-maires
  13. CE, 14 sept. 2020, n443904.
  14. Cela étant, les personnes testées positives à la covid-19 peuvent se voir délivrer gratuitement des masques en pharmacie.
  15. Et ça, on le savait déjà.
  16. Pour en savoir plus sur l’art de lire sur les lèvres : Ropert P., « Lecture labiale : le port du masque du bout des lèvres », France Culture 6 août 2020, https://www.franceculture.fr/sciences-du-langage/lecture-labiale-le-port-du-masque-du-bout-des-levres
  17. Via l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).
  18. Via le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).
  19. Voir le communiqué de presse d’Élisabeth Borne, ministre du Travail et Sophie Cluzel, secrétaire d’État en charge des personnes handicapées, sept. 2020, https://handicap.gouv.fr/presse/communiques-de-presse/article/mesures-exceptionnelles-prise-en-charge-masques-inclusifs
  20. L. n2005-102, 11 févr. 2005, art. 47.
  21. D. nº 2009-546, 14 mai 2009, art. 3.
  22. L. n2016-1321, 7 oct. 2016, art. 106.
  23. Dir. (UE) 2016/2102, Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2016 relative à l’accessibilité des sites Internet et des applications mobiles des organismes du secteur public.
  24. D. n2020-1119, 8 sept. 2020.
  25. Avec une phrase reprise un peu partout sur les réseaux sociaux, par des internautes différents, à tel point que je ne me risquerais pas à essayer de trouver/citer l’auteur originel…
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