Revue

Dossier

CitizenCampus 2020 virtuel : en attendant le retour de la vraie vie

Le 18 août 2020

Une formation comme CitizenCampus est adaptée à la gestion de situations critiques comme celles générées par la pandémie du covid-19, car elle offre une vision systémique indispensable pour préparer les futures crises.

Dans mon agenda, le 9 avril 2020 était bien inscrit et je me réjouissais à l’avance de prendre connaissance, une nouvelle fois, de la diversité et de la richesse des travaux menés par les étudiant·e·s primé·e·s à l’issue de la session 2019 de CitizenCampus à l’université Grenoble Alpes (UGA). J’ai donc bien conscience que cette contribution écrite ne remplacera pas ce moment précieux d’écoute et d’échanges avec ceux·elles qui contribueront à construire le monde de demain.

Au-delà de la frustration que nous éprouvons tous, cette période de confinement forcé renvoie justement aux enjeux d’une crise dont l’ampleur est liée à la mondialisation et à ses effets, à notre relation à l’environnement et au monde du vivant, à la mobilité croissante d’une planète toujours plus peuplée, à notre faculté ou non à nous organiser de façon harmonieuse et solidaire dans cette période (quid de l’Europe ?), au rôle de la science, de la recherche, de l’expertise (conseil scientifique, académie de médecine, organismes de recherche, universités, etc.), des institutions, des corps intermédiaires (médias, syndicats, associations, etc.), aux différentes politiques publiques de santé et politiques industrielles, sociales qui ont beaucoup pesé dans la gestion de cette crise par nos gouvernants.

Au sujet de cette gestion, beaucoup de questions se sont posées et se posent encore, avec des réponses et des situations différentes selon les pays, les cultures et les politiques menées. Pour ne citer que quelques exemples : la disponibilité de masques et de tests, le ciblage des moyens dévolus à la santé publique (par exemple : un investissement public par habitant en France supérieur à l’Allemagne, mais cinq fois moins de lits et d’équipements associés en réanimation, un nombre de décès beaucoup plus important, notre pays en mauvaise position pour le niveau de rémunération de ses infirmier·ère·s hospitaliers, etc.), le rôle de nos administrations centrales (DGS, HAS, ANSM, etc.) ou de leurs déclinaisons régionales (ARS, etc.) en charge de la santé publique, le poids grandissant des administratifs par rapport aux soignants dans les hôpitaux depuis la loi Bachelot HPST1 et la mise en place de sa tarification à l’acte T2A, des expériences préalables de pandémies ou non, de la préexistence ou non d’une politique et d’une culture efficaces de prévention, de l’acceptation ou de la défiance vis-à-vis du traçage numérique individuel des personnes en regard du bénéfice apporté à la réduction de la propagation du virus, de l’autonomie ou de la dépendance industrielle sur des sujets aussi stratégiques que les masques, les réactifs pour les tests, les respirateurs, les sur-blouses pour les soignants, mais aussi les molécules pour des médicaments indispensables aux patients atteints de maladies chroniques telles que le diabète, certains cancers, etc. En résumé, une expérience dont nous nous serions bien passés mais un terrain d’analyses croisées extraordinaire et passionnant, tout à fait en phase justement avec la démarche de formation et d’études de l’initiative CitizenCampus.

Car tous ces sujets, on le voit, sont systémiques et multidisciplinaires : vision mondiale et déclinaison régionale, appel à des disciplines aussi diverses que la médecine, la biologie, l’économie, la sociologie, l’éthique, les sciences politiques, l’anthropologie, l’histoire, le management de crise, la psychologie, etc. Une formation pluridisciplinaire, comme celle imaginée et conçue initialement par Isabelle Forget-Allégret et ses collègues dans le cadre de CitizenCampus, est tout à fait adaptée à la compréhension et donc à la gestion de situations critiques comme celles générées par la pandémie du covid-19. D’autant que, sans vouloir jouer les Cassandre ou les prévisionnistes de malheurs à venir, voire les complotistes de toute nature – ils sont déjà bien assez nombreux et bénéficient d’une écoute complaisante et démesurée, à des fins souvent purement commerciales dans les médias comme dans les réseaux sociaux – il n’est pas irréaliste de penser que le réchauffement climatique, la fonte du permafrost associée, la dégradation de l’environnement, la mobilité mondiale et la démographie croissante, tout comme l’accroissement des inégalités entre les populations, vont favoriser et accélérer de telles crises.

Pour s’y préparer, les anticiper et les gérer ensuite de façon plus sereine et plus cohérente, la formation des futurs décideurs aux échanges pluridisciplinaires, à l’acquisition d’une vision systémique des phénomènes complexes, à la prise de décisions dans un contexte d’injonctions et d’enjeux souvent contradictoires, s’avère indispensable et à mettre en œuvre rapidement et plus largement.

En tant que ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de 2012 à 2015, j’ai toujours défendu ces formations qui font se rencontrer et travailler ensemble, sur des thématiques concrètes, des jeunes issus de cultures, de pays et de disciplines différentes, en intégrant bien entendu la parité indispensable. Elles sont trop rares dans notre pays et se heurtent souvent, tout à fait injustement, à une vision purement disciplinaire de l’expertise qui engendre une formation « en silo », totalement inadaptée aux enjeux nouveaux et vitaux auxquels notre planète est de plus en plus confrontée.

Voilà pourquoi j’apporte tout mon soutien à l’initiative originale et exemplaire CitizenCampus, initiée dans l’écosystème innovant de l’UGA. Elle propose une formation transversale à des étudiant·e·s venant d’horizons divers, se formant de façon à la fois théorique et pratique, grâce à un enseignement académique et à des rencontres et visites de laboratoires publics et d’entreprises industrielles et de services, aux enjeux de la science, de la technologie et aux relations entre science et société. J’ai un seul regret, c’est que ce type de formation, qui est une formidable opportunité de s’informer, de croiser des points de vue, de mieux comprendre le monde et son évolution, ne soit pas davantage développé et connu. Mais j’ai confiance dans la faculté de ses fondateurs à essaimer sur l’ensemble du territoire national et, pourquoi pas, européen. Je serai heureuse d’y contribuer à mon niveau.

1. L. no 2009-879, 21 juill. 2009, portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, plus connue sous l’expression « Hôpital, patients, santé et territoire » (HPST).

×

A lire aussi