Citoyens à vos cahiers de doléances !

Le 29 août 2023

Ris-Orangis a organisé, avec l’aide de Bruno Latour et de Medialab – laboratoire des doléances destiné à créer un nouvel espace d’expression citoyenne dans la ville –, l’élaboration d’un cahier de doléances. Parmi les 34 doléances retenues, les deux principales sont les relations avec le tissu associatif et la lutte contre la pression foncière.

La Révolution française inspire décidément nos édiles, notamment dans leurs tentatives d’enrayer l’inquiétante défiance – et parfois la violence – qui s’est installée entre eux et les citoyens, mais aussi entre ces derniers et les agents territoriaux et, globalement, avec tous ceux qui, du pompier au policier en passant par l’agent d’accueil, sont titulaires de l’autorité publique. Après l’assemblée citoyenne de Nancy1, voici le cahier des doléances, consolidé lors des états généraux de Ris-Orangis – ville d’environ 30 000 habitants de la deuxième couronne de la métropole parisienne : « La démocratie participative est une démarche de longue date chez nous, car nous soumettons à la concertation de nombreux projets. Mais “recoudre” la relation avec les citoyens est un processus délicat qui s’inscrit dans le temps long. Nous sommes donc toujours à la recherche de nouveaux outils qui favorisent cette reconstruction, ce fluide démocratique, explique Stéphane Raffalli, maire de Ris-Orangis. Durant la crise sanitaire, nous avons souhaité rentrer en contact avec les habitants qui demandaient action et protection de la part de leurs élus. À la suite de l’article de Bruno Latour2, qui proposait aux citoyens de s’interroger sur leur situation, nous sommes entrés en contact avec lui, car nous partagions un fond de doctrine sur la question écologique, afin d’élaborer un cahier de doléances qui est, à l’image de ceux de 1789, une construction de la volonté générale et non l’expression et la défense d’opinions et d’intérêts individuels. »

Un laboratoire des doléances, une première en France

C’est ainsi que le philosophe Bruno Latour et Medialab ont apporté à ce chantier, qui aura duré près de deux ans, crédibilité scientifique, tant en termes de sciences sociales que de sciences dures, et méthodologie. Rappelons qu’un cahier de doléances permet aux citoyens de décrire avec force détails leurs conditions de vie en faisant ressortir les injustices qui les marquent pour, ensuite, formuler des doléances afin de résorber ces injustices.

Il a tout d’abord fallu constituer un panel de 35 citoyens volontaires qui devaient être investis sur le long terme et représenter la société civile dans ses diverses dimensions (politique, religieuse, économique, etc.). Un autre cercle a été constitué pour impliquer les jeunes des quartiers. Durant les séances de travail, il y a eu des moments de tension, des controverses se sont télescopées avec la vie municipale, certaines personnes ont abandonné : la vie normale d’un laboratoire qui constitue désormais l’un des espaces d’expression citoyenne de la ville. À ce titre, le « laboratoire des doléances », qui serait le premier du genre en France selon ses initiateurs, a été doté d’une adresse e-mail et physique différentes de celles de la mairie.

« Medialab a été la cheville ouvrière de ce projet. Une équipe de jeunes chercheurs a accompagné les citoyens pour la phase de rédaction qui a nécessité dans un premier temps une analyse des débats puis le recensement de 34 doléances, dont 2 dominantes. Il s’agit de la relation entre la municipalité et le tissu associatif avec la question suivante : comment la ville aide-t-elle le tissu associatif à se régénérer ? L’autre doléance porte sur le foncier, car Ris-Orangis est sur l’ancien périmètre de la ville nouvelle d’Évry et, à ce titre, possède, au niveau urbain entre 300 et 400 hectares libres de toute occupation auxquels il faut ajouter 5 000 hectares de forêts et 5 000 hectares de terres agricoles dont une partie est déjà prévue pour de l’urbanisation, ce qui soulève la question suivante : comment protège-t-on nos terres de la pression foncière ? », détaille Stéphane Raffalli.

S’agissant du tissu associatif de Ris-Orangis, il compte 150 entités qui reçoivent 2 millions d’euros d’aides de fonctionnement basées sur des contrats pluriannuels. Toutefois, les associations craignent de voir leurs activités péricliter par manque de moyens humains et de compétences techniques, notamment en comptabilité, en animation politique d’un groupe ou encore en communication. Stéphane Raffalli, qui rappelle que les associations sont le prolongement des services publics locaux, assure que cette doléance sera « baguée » et fera donc l’objet d’un suivi particulier.

La municipalité de Ris-Orangis (Essonne) a lancé en mai 2023 le premier « laboratoire des doléances » de France pour « renforcer les passerelles entre les citoyens et les politiques publiques ».

La deuxième doléance est encore au stade du questionnement, mais elle est remontée « très fort » dans les débats et interpelle la ville – titulaire des droits sur les sols et donc pleinement responsable – qui va devoir se pencher sur les actions à mettre en place pour valoriser les sols dans leurs dimensions hydrique, agricole et de biodiversité : « Ris-Orangis a été lauréat d’un appel à projets de l’Agence de la transition écologique (ADEME) sur la zéro artificialisation nette (ZAN). Nous sommes en plein processus d’analyse scientifique des sols avec 200 sondages réalisés sur la commune. Nous allons donc avoir accès à de la donnée, ce qui va avoir un impact sur l’urbanisme », précise Stéphane Raffalli. Reste à savoir ce que l’équipe municipale fera de ces données : suivra-t-elle les inquiétudes exprimées par les citoyens dans le laboratoire des doléances et contiendra-t-elle la pression foncière au profit du maraîchage et de la biodiversité ? Si oui, dans quelles proportions ?

  1. Guichardaz S., « Démocratie participative : la voie et les vertus ? », horizonspublics.fr 13 janv. 2023.
  2. Latour B., « Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise », AOC 30 mars 2020.
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