Comment engager la sobriété des administrations ?

sobriété environnement planète
©Photo prise par Guillaume de Germain (Unsplash)
Le 29 septembre 2022

Entre le « quoi qu’il en coûte » et « la fin de l’abondance », il y a eu deux guerres, celle contre le coronavirus et celle opposant la Russie à l’Ukraine. Ce changement de paradigme s’est concrétisé avec l'apparition de l’expression de « sobriété énergétique ». Comment les administrations vont-elles se préparer à être sobres énergétiquement ?

Un collectif de hauts-fonctionnaires, réuni en un think tank, dénommé le Sens du service public, appelle les administrations à adopter un plan de sobriété. Lancé le 5 octobre 2021 à l’occasion de l’élection présidentielle, le think tank regroupe les trois fonctions publiques (d’État, hospitalière et territoriale), délaissant les fonctions publiques faisant l’objet d’un statut particulier. Les hauts-fonctionnaires du think tank ne sont ni des activistes d’Extinction Rebellion, ni des fanatiques de Pierre Rabhi, auteur de l’ouvrage Vers la sobriété heureuse, mais des « agents publics soucieux de moderniser l'administration pour rendre le meilleur service aux usagers sans laisser personne au bord de la route ». S’ils n’envisagent pas de se couper du reste de la société, en revanche les hauts-fonctionnaires prônent l'exemplarité de l’administration en matière de sobriété énergétique.

En effet, le paradigme du « quoi qu’il en coûte » érigé durant la période sanitaire est détrôné par un autre, plus en phase avec la situation actuelle, qu’est la sobriété.

La raison ? Plutôt les raisons car elles sont nombreuses. La plus évidente est la guerre en Ukraine. La seconde est celle d’un parc nucléaire vieillissant, avec de nombreuses centrales à l’arrêt. Finalement, la dernière est, selon le think tank, « le retard pris par la France en matière d'énergies renouvelables ». Ce dernier point est - étrangement - oublié dans le communiqué de presse de la Première ministre, en date du 25 juillet, qui présente la circulaire enjoignant aux ministres « de demander aux administrations […] qu’elles soient exemplaires en matière de sobriété énergétique ».

Du « quoi qu’il en coûte » à « la fin de l’abondance », un changement de paradigme

Ce changement de paradigme s’inscrit dans la maxime du Président de la République, Emmanuel Macron, prononcée en ouverture du Conseil des ministres, le 24 août dernier, selon laquelle « nous vivons la fin de l’abondance ». Cette maxime vient externaliser la pensée du Chef de l’État qui s’est illustrée, antérieurement, par la circulaire de la Première ministre qui indique aux ministres « d'engager sans délai des mesures d'ampleur visant à réduire la consommation d'énergie et d’accélérer la sortie des énergies fossiles ».

Dans la circulaire, la Première ministre rappelle des mesures de bon sens aux ministres comme « ne pas laisser les appareils en veille et […] éteindre les lumières lorsqu’elles ne sont pas nécessaires ». Dans les deux pages, de nombreuses autres mesures sont listées, notamment veiller « à ce que tous les évènements que vous organisez ou que vous parrainez soient exemplaires en matière de sobriété énergétique ».

Dans cette perspective, Bercy a présenté son plan d’action le 1er août. Comme le rapporte le média spécialisé actu-environnement.com, le ministère de l’Économie fixe « ​​une limitation du chauffage à 19 °C et autorise la climatisation seulement lorsque la température intérieure dépasse les 26 °C ». En outre, le ministère entend poursuivre les « opérations de rénovation thermique des bâtiments ». Finalement, Bercy remplace progressivement les véhicules de fonction par des véhicules hybrides ou électriques.

Insuffisants pour le Sens du service public qui souhaite aller plus loin. En effet, Johan Theuret, Directeur général adjoint de la métropole de Rennes et cofondateur du think tank à l’origine de la contribution, plaide pour une mesure radicale : la suppression des véhicules de fonction. 

Le Président de la Métropole Rouen Normandie et maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, est plus mesuré et pragmatique. Selon lui, « on doit […] privilégier des déplacements décarbonés », c’est-à-dire utiliser le vélo ou les transports publics quand cela s’y prête. Il précise qu’ « il faut tout faire pour décarboner [sans] faire d’idéologie », en particulier concernant « la voiture autosoliste ». « À chaque fois que l'on peut supprimer, réduire la part d’utilisation de la voiture, il faut le faire » assure Nicolas Mayer-Rossignol.

Former les agents à la sobriété énergétique

Pour accompagner ce changement de paradigme dans l’Administration, encore faut-il que les hauts-fonctionnaires soient formés à ces enjeux. 

En effet, s’« il existe des formations, elles sont insuffisantes » juge Johan Theuret. Selon lui, « c’est un des enjeux forts de former le maximum d’agents publics à la question de la transition écologique » du moins les agents « qui peuvent agir ».

Le Président de la Métropole Rouen Normandie et maire de Rouen estime qu’ « on voit bien quand même […] que le dialogue entre […] la communauté scientifique mais aussi la jeunesse avec le monde politique, n’est pas toujours simple, c’est parfois un dialogue de sourds ». S'il reconnaît qu’il existe des formations, il plaide pour « plus d’échanges directs entre […] le monde scientifique et les décideurs publics ». C’est la raison pour laquelle, ils ont mis en place un « GIEC local, […] une plateforme qui permet aux décideurs publics et à la communauté scientifique de plus et mieux se rencontrer »

La sobriété ne doit pas se transformer en une austérité : « ne plus confondre austérité et sobriété »

C’est en ces termes, que Jade Lindgaard, journaliste à Mediapart, explique la différence fondamentale entre austérité et sobriété (voir Mediapart, Ne plus confondre sobriété et austérité, 15 septembre 2022). Derrière ce qui est appelé sobriété, se cache en vérité l’austérité. Il ne faut plus les confondre.

À ce propos, Nicolas Mayer-Rossignol définit l’austérité comme « l’austérité budgétaire, c’est-à-dire de considérer pour des raisons strictement comptables […] que l'on doit réduire un certain nombre de dépenses. La finalité de l’austérité […], c’est d'abord une finalité budgétaire et comptable ». Alors que « la finalité de la sobriété, c’est la soutenabilité, c'est-à-dire avoir un mode de vie soutenable durable qui préserve les ressources, à la fois les ressources de la planète puis aussi les ressources financières compte tenu des prix de l’énergie ». « La sobriété est un projet de société social-écologique » soutient Nicolas Mayer-Rossignol.

C’est sur cette nuance entre sobriété et austérité que s’appuie le think tank. En effet, le « Sens du Service Public ne privilégie pas les mesures radicales  visant  à  fermer  des  services  publics  aux  usagers ». 

À cette « contribution », le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini, a réagi (indirectement), dans une vidéo postée sur le réseau social Twitter, le 16 septembre 2022, à l’occasion des Rencontres du Développement Durable 2022. Ainsi, selon lui, il ne faut « non pas des plans portés par le haut, on a besoin d’impulsion, mais […] des plans nourris par les initiatives de terrain ». Dans le même message vidéo, le ministre annonce la présentation prochaine du « Plan Sobriété de l’État  ».

Concernant le déploiement du télétravail, « l’idée c’est de déployer le télétravail à tous les métiers qui peuvent le faire » confirme Johan Theuret. Il ajoute que « s’il y a un accroissement de la part du télétravail de manière significative, ça soulève la question du versement ou de l’octroi de l’indemnité de télétravail ».

S’il constate un accroissement de la part du télétravail dans les entreprises et les administrations, de son côté Nicolas Mayer-Rossignol estime qu’« il ne faut pas considérer que le télétravail serait la panacée ». « D’abord, il faut quand même rappeler que le télétravail […] n’est pas pour tous les travaux ou tous les métiers. Il y a des métiers qui - par définition - ne sont pas télétravaillables », ce qui peut engendrer un « mépris de classe », précise-t-il. De plus, il appelle à la prudence « sur les économies d’énergie […] et bien mesurer les choses ». « C’est clairement une des solutions, mais ce n'est pas la solution » indique-t-il à Horizons publics.

Pour une administration exemplaire, vers une nouvelle idéologie des relations administration-administrés

Pendant longtemps, a prévalu la conception de Maurice Hauriou - Professeur de droit public à Toulouse - de la puissance publique comme critère du droit administratif, justifiant l’exorbitance de ce droit administratif, et conférant donc des privilèges à l’Administration. Les relations qu’entretiennent les administrés avec l'Administration ont depuis évoluées. En effet, depuis plusieurs décennies, ces relations se sont basées progressivement sur la transparence, la confiance, l’exemplarité ainsi que, plus récemment, sur l'indulgence avec l'introduction du droit à l’erreur.

Dans son plan, le think tank indique qu' « avant de réduire le service rendu ou de fermer un équipement public il est du devoir de toutes les administrations d’apporter aux citoyens la démonstration que toutes les autres options d’économies d'énergie ont été mises en œuvre ». 

Interrogé par Horizons publics, Johan Theuret assure que la suppression des véhicules de fonction, « c’est aussi une question d’exemplarité [car] les véhicules de fonction ne sont pas utilisés que pour les déplacements professionnels, ils sont aussi utilisés pour des déplacements personnels, le week-end ou pendant les vacances ».

L’objectif est, selon le think tank, « de faire évoluer les pratiques dans le temps », l’Administration étant une immense machine complexe, hétéroclite, les évolutions prendront donc du temps à se mettre en place.

Finalement pour Nicolas Mayer-Rossignol, « on ne peut pas demander à nos concitoyens de faire un effort, si ceux qui ont le plus le moyen de faire des efforts ne le font pas », c’est la raison pour laquelle « on a besoin d’exemplarité ».

×

A lire aussi