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Comment la Bretagne fait coïncider la stratégie régionale avec la stratégie numérique ?

Le 29 juin 2020

La région Bretagne a adopté en février 2020 une feuille de route stratégique pour les six prochaines années prenant pleinement en compte l’impact environnemental de la transition numérique. Pour la première fois, une région s’engage en profondeur en faveur des « stratégies numériques responsables », avec quatre axes : la transition numérique au service des transitions environnementales, en promouvant un numérique ouvert, transparent, protecteur et des services et matériels compatibles avec une réduction de l’impact environnemental via la démarche du label Numérique responsable ; un développement « inclusif » pour faciliter l’accès de tous aux services numériques via un soutien à l’éducation et la formation au numérique et par le numérique sur tous les niveaux d’enseignement et une promotion de la place des femmes dans le numérique ; l’accompagnement de la numérisation de l’économie et la transition numérique des acteurs économiques via des outils qui favorisent la souveraineté numérique et la cybersécurité et un accompagnement des TPE et PME vers le numérique responsable ; la valorisation des services publics locaux de l’ensemble du territoire breton pour faciliter les relations des usagers via, notamment, une plateforme regroupant l’offre de services publics locaux, développée avec les autres collectivités.

 

Cet article revient sur les enjeux du développement durable en matière de numérique et détaille le premier axe de la feuille de route de la région Bretagne, intitulé « Promouvoir un numérique responsable », qui a pour objectif de réduire l’impact carbone du numérique à l’échelle de la région grâce à trois actions fortes : s’engager vers un numérique ouvert, transparent et protecteur, investir dans des infrastructures, produits et services numériques et matériels informatiques durables pour réduire son impact environnemental.

Avec la révolution numérique, la place et le rôle de la puissance publique sont mis en débat. Sur de nombreux registres, elle peut être contestée, voire marginalisée par des acteurs privés, doués d’une grande agilité, capables d’innover en permanence en prenant les habits et les attributs des États créant des monopoles qui mettent en danger la démocratie.

La révolution numérique refaçonne la société actuelle. Ses effets sont majeurs, globaux, d’une puissance et d’une rapidité que l’on ne mesure sans doute pas encore pleinement. Elle oblige à faire face à de nombreux défis : démocratiques, éducatifs, sociaux, économiques, culturels, sanitaires, financiers, écologiques, etc., qui impactent tous les secteurs de l’économie par les innovations technologiques, sociales et juridiques que le numérique induit : commerce en ligne, internet des objets, intelligence artificielle, économie de la donnée, droits d’auteurs, participation des citoyens à la gestion des affaires publiques, etc.

L’organisation sociale, l’organisation du travail, les relations usagers-administrations, mais aussi la mobilité, la formation, l’emploi et la compétitivité des entreprises ; tous les domaines sont concernés par la généralisation du numérique. Plus largement, les territoires et leurs écosystèmes tendent à être transformés en profondeur par le numérique, et de multiples façons. D’un point de vue économique, cette nouvelle ère a favorisé l’émergence de nouvelles formes d’entreprenariats entraînant à la fois la disparition et l’émergence de nouveaux marchés et emplois ainsi que de nouveaux modèles économiques. Le numérique, les réseaux sociaux et les plateformes ont révolutionné les modes de communication et de consommation que ce soit de biens matériels, d’informations ou encore de services. Les relations et la perception des distances et du temps ont été métamorphosées en quelques décennies.

Le numérique transforme ainsi les habitudes des usagers, crée de nouveaux besoins, de nouvelles opportunités mais aussi de nouvelles contraintes et de nouveaux risques. Opportunités d’une croissance maîtrisée et raisonnée, de modes d‘organisation apportant des réponses efficaces à des enjeux anciens. Risques et menaces de déstructurations profondes, territoriales et sociales, de ruptures générationnelles, de précarisation généralisée, du développement de la cybercriminalité et de mise en cause des libertés individuelles.

La place et le rôle de la puissance publique est ainsi en débat. Sur de nombreux registres, elle peut être contestée, voire marginalisée par des acteurs privés, doués d’une grande agilité, capables d’innover en permanence en prenant les habits et les attributs des États créant des monopoles qui mettent en danger la démocratie. Répondre à ces enjeux, les anticiper, les réguler relève du rôle de la puissance publique (Europe, États, collectivités territoriales) au regard de leurs compétences et obligations de services publics.

Vers un numérique responsable, ouvert et transparent

Pour faire face à ces enjeux majeurs, la région Bretagne promeut un numérique responsable, ouvert et transparent, respectueux des principes de la vie publique et des libertés individuelles, susceptible d’apporter des réponses aux grands problèmes sociaux, sociétaux, économiques et environnementaux actuels, mais aussi aux attentes légitimes de nos concitoyens.

L’engagement que nous avons pris en faveur de stratégies numériques responsables pour le territoire breton s’inscrit dans la droite ligne de l’engagement pris par la Bretagne, dans le cadre de la BreizhCop, pour son développement durable, incluant le défi du changement climatique et de la préservation de la biodiversité, celui de la fracture territoriale et les questions de cohésion sociale.

Le label Numérique responsable, un dispositif opérationnel et innovant

Orienté sur les moyens que se donne l’organisation pour atteindre ses engagements, le label Numérique responsable s’appuie sur un dispositif innovant et qui repose sur :

  • un engagement public de l’organisation candidate via la signature de la charte Numérique responsable ;
  • un référentiel construit par l’Institut du numérique responsable en partenariat avec le ministère de la Transition écologique et solidaire, l’ADEME et WWF qui s’appuie sur cinq axes : stratégie et gouvernance, formation et communication, démarches transversales, démarches centrées usages, démarche centrées organisations ;
  • la gestion du processus de labélisation confiée à l’agence Lucie ;
  • une revue d’audit par Société générale de surveillance ou bureau Veritas ;
  • un comité de labellisation piloté par l’Institut du numérique responsable – composé d’acteurs privés, publics, institutionnels et associatifs – qui se réunit deux fois par an pour délivrer ce label.

S’il s’agit, à l’échelle régionale, de décliner la stratégie de la commission européenne pour atteindre la neutralité climatique en investissant, par exemple, dans des solutions technologiques réalistes ou encore en renforçant le pouvoir d’agir des citoyens, il s’agit d’abord de l’engagement d’une administration responsable qui se veut exemplaire.

Pratiquement, cela se traduit par une politique d’achats responsables privilégiant les produits et services numériques et matériels informatiques durables pour réduire notre impact environnemental, par la promotion de l’utilisation de matériel informatique issu du réemploi au sein de l’administration et des lycées en lien avec les pratiques et les usages identifiés. Nous souhaitons également donner une deuxième vie aux matériels informatiques de la région au sein de tiers-lieux numériques en s’appuyant sur le savoir-faire des professionnels du reconditionnement des matériels. Par ailleurs, nous souhaitons définir, et adopter, une charte déontologique pour les concepteurs, développeurs et intégrateurs de produits et services numériques (internes ou externes) en intégrant des règles éthiques (dès la conception et par défaut). Pour cela nous sommes engagés dans la démarche de labellisation du label Numérique responsable (voir encadré, p. 46). Ce label exige des organismes publics ou privés de multiples actions parmi lesquelles : intégrer la démarche à l’ensemble des services et activités, communiquer sur les objectifs et résultats des actions en interne et externe, évaluer son empreinte environnementale afin d’identifier les principaux leviers d’actions, favoriser l’achat de matériel reconditionné ou la location, généraliser les clauses environnementales et sociales dans les marchés publics, mettre en œuvre l’accessibilité numérique ou encore intégrer l’écoconception dans son offre de services numériques. Il s’agit d’une démarche structurante d’amélioration continue.

L’engagement que nous avons pris en faveur de stratégies numériques responsables pour le territoire breton s’inscrit dans la droite ligne de l’engagement pris par la Bretagne, dans le cadre de la BreizhCop, pour son développement durable, incluant le défi du changement climatique et de la préservation de la biodiversité, celui de la fracture territoriale et les questions de cohésion sociale.

Porter les questions d’éthique numérique de manière prospective

Aussi, nous souhaitons contribuer au programme #Reset 2019-2022 de la Fondation Internet nouvelle génération (Fing) pour explorer, au-delà du territoire breton, à travers la constitution de « coalitions », « le numérique souhaité et souhaitable ». Nous souhaitons porter les questions d’éthique numérique de manière prospective pour anticiper les défis de la société de demain et outiller la mise en œuvre opérationnelle des feuilles de route BreizhCop (transition énergétique, transformation des territoires, responsabilité environnementale, etc.). Cela nous permettra également de promouvoir une culture de l’éthique numérique auprès des acteurs de la médiation numérique, au sein des lycées, à destination des entreprises, etc.

Le numérique doit aussi être inclusif

Au-delà de promouvoir un numérique responsable dans sa dimension éthique et environnemental, notre feuille de route promeut un numérique inclusif afin de réduire le risque d’exclusion du fait de l’utilisation du numérique. Cela renvoie aux moyens à mobiliser pour l’éducation et la formation au numérique et par le numérique sur tous les niveaux d’enseignement. La promotion de la place des femmes dans le numérique et de leurs compétences est aussi un enjeu majeur qui suppose, notamment, d’agir sur les modalités de leur recrutement et de leur intégration dans les entreprises. L’accompagnement de la numérisation de l’économie et la transition numérique des acteurs économiques sont également au cœur de notre stratégie, comme la territorialisation de notre action publique et à la valorisation des services publics locaux.

Il apparaît aussi clairement en cette période de crise que le rôle des acteurs publics comme tiers de confiance est essentiel. 

Loïg Chesnais-Girard
« La crise liée au covid-19 va accélérer la transformation numérique du territoire »

Président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, revient sur l’impact de la crise liée à la pandémie de covid-19 sur la stratégie numérique de la région Bretagne adoptée en février 2020.

Loïg Chesnais-Girard
Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne
©Thomas Crabot - Région Bretagne

Propos recueillis par Julien Nessi, rédacteur en chef d’Horizons publics

Quel va être l’impact de la crise liée à la pandémie de covid-19 sur votre stratégie numérique ?

Il est encore tôt pour tirer toutes les conséquences de ce nous vivons en ce moment, mais nous constatons que nos vies quotidienne et professionnelle se sont retrouvées très dépendantes des outils numériques et de la qualité de notre connexion. Imaginons un instant la même période de confinement sans le numérique, sans Internet et sans nos smartphones ? En complémentarité du déploiement de la fibre pour tous en Bretagne, projet d’intérêt régional, notre stratégie numérique a posé un certain nombre de constats et proposé un plan d’action qui restent particulièrement pertinent, je pense aux enjeux relatifs à la souveraineté numérique, à la gouvernance des données et bien sûr aux enjeux d’inclusion, d’éducation de formation au numérique. Autre sujet, celui de la modernisation de l’action publique, du management, de l’organisation pyramidale de la hiérarchie. Les crises ont tendance à accélérer les transformations (management, organisation du travail, numérique, etc.). Agir sous contrainte peut être positif pour développer les initiatives, accélérer l’innovation ou encore faire plus simple, plus rapidement. C’est ce que nous a montré cette crise sanitaire. Les contraintes budgétaires et environnementales qui se profilent peuvent aussi être une chance pour mieux agir.

Un modèle numérique de confiance, résilient et durable est-il possible après la crise liée au covid-19 ?

Oui, c’est un modèle possible mais à condition de continuer à le promouvoir et de réussir à le mettre en œuvre. En matière de numérique responsable, nous avons pris des engagements que nous tiendrons : nous nous inscrivons dans un process de labellisation promu par l’Institut du numérique responsable qui vise à réduire l’empreinte écologique, économique et sociale du numériques. Nous menons aussi une réflexion sur le réemploi de nos matériels informatiques afin de l’organiser sur le territoire régional et de mobiliser les acteurs de cette filière. Il apparaît aussi clairement en cette période de crise que le rôle des acteurs publics comme tiers de confiance est essentiel. Nous devrons être collectivement exemplaires pour répondre à ces nombreux enjeux.

Selon vous, les territoires, les villes et les régions sont-elles les mieux placés pour s’organiser face aux chocs socio-économiques et environnementaux ?

Au cours de cette crise, j’ai fait le choix de travailler en étroite collaboration avec l’État en région et avec l’ensemble des collectivités bretonnes. Les citoyens n’auraient pas compris que chacun travaille dans son coin. Pour autant, s’il faut toujours un État qui fixe des orientations, il faut aussi des collectivités en capacités d’agir. Je continue donc de porter le sujet de la décentralisation et de la différenciation car dans cette crise il faut pouvoir agir massivement tout en agissant au plus proche du terrain.

Agir sous contrainte peut être positif pour développer les initiatives, accélérer l’innovation ou encore faire plus simple, plus rapidement. C’est ce que nous a montré cette crise sanitaire.

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