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ActualitésCongrès des maires 2024 : une protestation inédite contre les coupes budgétaires et le ZAN
Des maires revêtus d'une écharpe noire à la place de leur ruban tricolore pour exprimer leur colère contre les coupes budgétaires à hauteur de 5 milliards d’euros prévues par le gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2025 (PLF 2025). C'est l'image que l'on retiendra du 106ème Congrès des maires et présidents d'intercommunalité de France, qui a eu lieu au parc des expositions de la porte de Versailles à Paris du 19 au 21 novembre 2024.
Avec pour thème "Les communes...Heureusement!", une manière de réaffirmer le rôle central joué par les communes et intercommunalités dans la vie quotidienne des Français, ce Congrès a été l'occasion de mener la fronde contre l'effort budgétaire qui leur est demandé dans le PLF 2025, évalué par l'Association des maires de France (AMF) entre 10 et 11 milliards d'euros.
Le « zéro artificialisation nette » (ZAN) imposé aux communes à l'horizon 2050 par la loi climat et résilience a aussi été dans le collimateur des premiers édiles. La conférence d'ouverture du Congrès, intitulée "ZAN : des objectifs à préserver, une méthode à revoir", n'a pas été choisie par hasard. Les maires ont clairement exprimé leur opposition à cette loi, reprochant une méthode trop descendante et un dispositif trop complexe à mettre en place.
Michel Barnier, le Premier ministre, lors de son intervention le 21 novembre en clôture du Congrès, a rappelé que le PLF 2025 était perfectible mais n'a pas infléchi sa position. Pour apaiser la colère des maires, il a annoncé l'allègement du cadre réglementaire du ZAN via un nouveau texte de loi avec « des dispositions opérationnelles dès le premier semestre 2025 ». Il a aussi réaffirmé sa volonté de lutter contre l'inflation normative, de poursuivre la simplification administrative avec France Simplification et de "remettre en chantier le statut de l'élu qui sera proposé à l'Assemblée nationale au début de l'année 2025". Une manière de répondre à l’augmentation des démissions de maires et d'éviter un manque de candidats pour les municipales de 2026.
Mouvements des "Bonnets rouges", "Gilets jaunes", "Blouses blanches"... À l'ère des médias d'information continue, des technologies numériques et des réseaux sociaux, «La Société du spectacle» réclame des symboles forts pour marquer les esprits. L'Association des maires de France (AMF), qui organise chaque année son Congrès au parc des Expositions porte de Versailles à Paris, a eu recours aux "écharpes noires" à la place des écharpes habituellement tricolores, signes distinctifs de l'autorité des maires, pour exprimer et montrer la colère des élus locaux face aux ponctions budgétaires imposées par le Gouvernement. David Lisnard, le président de l'Association des maires de France (AMF) et maire LR de Cannes, a prévenu que les prochains Gilets jaunes pourraient bien être les maires et que « la mort des communes serait également la fin de l'État et la fin de la nation ». Pour André Laignel, maire d’Issoudun et vice-président de l'AMF, « la mobilisation ne va pas retomber avec le rideau du Congrès (...) nous ne laisserons pas affaiblir les communes ». Ces propos, tenus avant l'intervention du Premier ministre, risquent de résonner encore dans les oreilles des élus locaux malgré la tenue de ce 106ème Congrès. Lors de son grand oral jeudi 21 novembre 2024 devant les maires de France, Michel Barnier est resté inflexible sur les coupes budgétaires prévues dans le PLF 2025. "Jamais un Premier ministre depuis 65 ans n'a eu 15 jours à peine pour préparer le budget. Ce budget n'est pas parfait, il comporte des injustices, des points à revoir », a-t-il précisé, alors que les discussions se poursuivent au Sénat.
Le ZAN en guise de consolation
Alors que la lutte contre l'artificialisation des sols représente un enjeu majeur pour limiter le réchauffement climatique, un sol artificialisé n'absorbant plus de dioxyde de carbone, le ZAN a fait l’objet de larges critiques de la part des élus locaux. Le ZAN survivra-t-il au Congrès des maires ? Les maires critiquent la logique descendante de la loi ZAN, qu'ils jugent imposée d'en haut sans suffisamment de concertation avec les élus locaux. Ils plaident pour une approche plus territoriale, tenant compte des spécificités de chaque commune. Le ZAN est perçu comme un sujet "très technique" et "mouvant", manquant de clarté dans sa mise en œuvre. André Laignel n’a pas manqué de qualifier le ZAN de « caricature de la technocratie, illustratif d'un dispositif descendant », lors de son discours de clôture, avant l’intervention du Premier ministre.
Les maires s'interrogent sur la faisabilité du ZAN sur le terrain et sur la compatibilité du modèle économique actuel avec les objectifs de réduction de l'artificialisation des sols. La loi Climat et résilience du 22 août 2021 a en effet posé un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) à l'horizon de 2050. Elle a également établi un premier objectif intermédiaire de réduction par deux de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030. Ils craignent que le ZAN ne limite leur capacité à mener des projets d'aménagement et de développement dans leurs communes et insistent sur la nécessité de préserver le "droit au projet" et de garantir un développement harmonieux des territoires. De nombreuses communes, les petites et moyennes, manquent aussi de l'ingénierie nécessaire pour mettre en œuvre le ZAN et s'inquiètent du coût financier que cela représente. Les maires demandent un soutien financier de l'État pour accompagner la transition vers le ZAN.
Autre reproche : la loi climat et résilience, dans laquelle s'inscrit le ZAN, est perçue comme créant une "France à deux vitesses", avec des disparités importantes entre les territoires urbains et ruraux. Et les maires déplorent le manque de stabilité législative en matière d'urbanisme, avec des lois successives qui complexifient la planification et la gestion des territoires. Ils demandent une simplification et une harmonisation des normes pour faciliter la mise en œuvre du ZAN. Durant ce Congrès, notamment la conférence d’ouverture sur le ZAN, les maires français ont rappelé leur attachement à l'objectif de sobriété foncière du ZAN, mais avec une mise en œuvre plus concertée, plus souple et mieux adaptée aux réalités des territoires. Ces préoccupations ont été entendus par le Gouvernement, le Premier ministre confirmant qu'il allait soutenir la proposition de loi sénatoriale, déposée début novembre au Sénat par Guislain Cambier (centriste) et Jean-Baptiste Blanc (Les Républicains), visant à assouplir la mise en œuvre du ZAN et que "ces nouvelles dispositions soient opérationnelles dès le premier semestre 2025". La proposition de loi des sénateurs « Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux » (« TRACE ») a pour objectif d'instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation des sols concertée avec les élus locaux et prévoit notamment la suppression de l’objectif intermédiaire de 2031 visant à réduire de moitié l’artificialisation des sols, sans renoncer à l’objectif final de « zéro artificialisation nette » en 2050… Les sénateurs proposent même d’abandonner le terme de « ZAN ».
« Nous n'allons pas abandonner l'objectif du ZAN. Nous allons adapter le ZAN quand c'est nécessaire que ce soit pour la construction de logements ou de l'économie (construction d'usines...) (…) Nous allons faire tout ce qui est possible par voie réglementaire pour vous donner de la souplesse, pour par exemple que les jardins pavillonnaires ne soient plus considérés comme des surfaces artificialisées. Nous avons besoin de logements et de constructions. (...) Nous allons réfléchir en termes de trajectoires plutôt que de dates couperets (...) », a précisé Michel Barnier le 21 novembre lors de son grand oral devant les maires de France.
Un plan d’actions de 50 mesures début 2025
« Nous allons proposer en début d'année prochaine une cinquantaine d'actions pour trois ans afin d’améliorer les services publics qui formeront une feuille de route pour le Gouvernement », a poursuivi le Premier ministre. La simplification administrative et la sobriété normative, au cœur des préoccupations des maires de France, sont également au menu. Création d’un « guichet unique » pour les demandes des maires dans les territoires, lancement d’un nouveau dispositif de simplification qui part du terrain baptisé « France Simplification » - piloté par la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), ou encore évolution du rôle du Conseil national de l’évaluation des normes font notamment partie des annonces.
À l'occasion du Salon des maires et des collectivités locales, Catherine Vautrin, la ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, a dévoilé la carte des 34 nouvelles maisons France services, dont la labellisation avait été retardée par la dissolution. Selon le gouvernement, le maillage comportera 2 800 maisons labellisées "d'ici fin 2024".
Les grandes villes et les intercommunalités en première ligne de l’effort budgétaire
France urbaine estime l’effort budgétaire demandé aux 450 plus grandes collectivités à 8,5 milliards d’euros. « Le Gouvernement choisit de faire porter la plus grande partie de l’effort sur un nombre limité de collectivités, les 450 « plus grosses » (450 des 600 régions, départements, villes et EPCI dont les dépenses de fonctionnement dépassent 40 M€), ce qui risque d’aboutir à l’asphyxie financière des communes et intercommunalités, et de porter un coup fatal à l’autonomie locale, fondement de la décentralisation, ainsi qu’à l’action publique locale au bénéfice des habitants des territoires », a alerté Johanna Rolland, présidente de France urbaine, maire de Nantes, présidente de Nantes Métropole, à l’occasion d’une conférence de presse durant le Congrès des maires.
En effet, les collectivités portent, à elles seuls, près de 70 % de l’investissement public du pays. Jean-Luc Moudenc, 1er vice-président de France urbaine, maire de Toulouse, président de Toulouse Métropole, redoute un arrêt brutal des investissements dans le domaine de la transition écologique alors que les grandes villes et intercommunalités émettent près de 2/3 des émissions à effet de serre.