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Convention citoyenne de Clermont-Ferrand : des formes inattendues d’échanges et de savoirs

Convention citoyenne pour le climat
©Cahier de la la Convention citoyenne de Clermont-Ferrand
Le 14 février 2023

De novembre 2021 à juin 2022, 70 tiré·es au sort ont travaillé sur des propositions d’orientation et des mesures concrètes pour conduire la transition du territoire, améliorer la vie des habitant·es dans le contexte actuel et préparer l’avenir autour des enjeux de transition écologique, démocratique et sociale. Cet espace démocratique a produit des formes inattendues d’échanges et de savoirs.

Résumé

La convention citoyenne de Clermont-Ferrand, organisée entre novembre 2021 et juin 2022, a permis à 70 habitant·es – représentant·es de la diversité de la population locale – de formuler des propositions en matière de transition écologique, sociale et démocratique. Pensée et mise en œuvre au départ comme un dispositif participatif d’un nouveau genre, la convention citoyenne s’est révélée être aussi un espace d’échange de savoirs entre les citoyen·nes, les technicien·nes, les élu·es, les acteurs de la société civile et les chercheur·ses.

Ils·elles1 partagent leur retour d’expérience sur cette initiative et soulignent la nécessité d’imaginer de nouvelles formes de construction de l’action publique permettant notamment de mêler les savoirs de différents ordres.

Une expérience sociale inédite rendue possible par le tirage au sort et l’attention portée à l’animation

« J’étais curieux de voir comment ça allait se passer, si les gens allaient être motivés. Et puis à la première réunion, j’étais satisfait de voir plein de profils différents, de divers quartiers, d’âge, d’horizons variés : des personnes avec qui on n’aurait pas forcément eu de contact au quotidien. Ça permettait de discuter de plein de sujets et ça c’était quand même très enrichissant. » La première impression de la majorité des citoyen·nes engagé·es dans la convention citoyenne (les conventionné·es), à l’instar de François Gampourou cité ci-dessus, a été la satisfaction de participer à une expérience sociale inédite : celle de se retrouver dans un collectif divers où les parcours de vie, les points de vue et les convictions étaient multiples.

Si la convention citoyenne a été une expérience sociale inédite, c’est notamment par la diversité de ses membres, dont la clé a été la modalité de leur recrutement par tirage au sort sur une diversité de sources.

C’était une volonté de la ville de Clermont-Ferrand de conduire la convention sous cet angle. Usuellement, les espaces de participation citoyenne sont fréquentés par une certaine catégorie de citoyen·nes, sensibles voire engagé·es, ou à l’inverse, réfractaires. Si la convention citoyenne a été une expérience sociale inédite, c’est notamment par la diversité de ses membres, dont la clé a été la modalité de leur recrutement par tirage au sort sur une diversité de sources (liste électorale, bailleurs sociaux, liste de recensement militaire, parents d’élève, demandeurs d’asiles et personnes ayant le statut de réfugiés) : « 2 000 personnes tirées au sort ont reçu un courrier du maire, ou ont été contactées par téléphone, pour intégrer la convention citoyenne pour la transition écologique, sociale et démocratique de leur ville. Pour profiler le panel de 70 conventionné·es, nous avons appliqué plusieurs critères pour assurer une représentativité de la diversité sociale clermontoise parmi les participant·es : parité de genre, 30 % de moins de 30 ans, 10 % de résident·es étranger·ères et répartition équilibrée des quartiers d’habitation. » Comme le précise Roseline Peters, le mode opératoire du tirage au sort a été déterminant pour constituer un panel représentatif de la diversité de la population. C’est un atout pour obtenir une multiplicité de regards sur des objets communs de réflexion.

Mais cette pluralité de points de vue suppose pour chaque personne d’entrer en relation avec l’autre, qui ne lui ressemble pas : « Dès lors, il est de la responsabilité des animateur·rices de la convention, internes et externes à la collectivité, de favoriser et de sécuriser le dialogue entre ces personnes qui ne se connaissent pas, voire qui n’ont pas grand-chose en commun ! » Elsa Bonal insiste sur l’attention qui doit être donnée à l’animation et au soin qui doit être apporté à la dimension sociale de l’expérience d’un tel processus participatif.

Convention citoyenne pour le Clmat Clermond-Ferrand

Porteur d’une méthodologie, les animateur·rices ont créé les conditions pour que les conventionné·es dialoguent ensemble, dans la diversité de leurs origines, de leur maîtrise de la langue et des notions de la transition, de leur sentiment de contribuer au monde qui les entoure, de leur pouvoir d’agir. C’est en créant des paliers intermédiaires de rencontre, en préservant des temps d’échanges conviviaux et en proposant des modalités innovantes de travail collectif que la convention citoyenne a pu également créer des espaces de dialogue entre une diversité de parties prenantes.

Garantir la qualité du dialogue entre les parties prenantes grâce à un mandat explicite et des règles communes

Comment ce dialogue d’intérêt général est-il orchestré et finalement… qui décide de quoi et à quel moment ? Où la convention citoyenne place-t-elle le curseur entre co-construction et codécision ?

Le mandat donné à la convention citoyenne, délibéré par le conseil municipal de Clermont-Ferrand en juin 2021, affirmait un principe clair : les conventionné·es ont autorité sur la production du contenu. Ils·elles sont décisionnaires des sujets qu’ils·elles travaillent comme des actions proposées. Pour leur part, les élu·es et les services contribuent à l’analyse, appuient la réflexion des conventionné·es, mais n’interviennent pas sur les décisions de la convention citoyenne. Cependant, la règle du jeu est clairement établie : la décision de mise en œuvre appartient aux élu·es, réunis au sein du conseil municipal, en aval des propositions la convention. En cela, la convention citoyenne est un outil de codécision et contribue à un des principes fondateurs du service public : son adaptabilité à la demande sociale.

Au-delà de la dimension décisionnaire de la démarche, c’est bien en tant que pratique délibérative que la convention incarne une force d’innovation. En offrant aux citoyen·nes un cadre sécurisé et étayé grâce au partage de différentes expertises, cette convention permet un dialogue d’un nouveau type contribuant à la production de l’intérêt général et permettant de mieux prendre en compte les expertises scientifiques dans la définition des réponses en termes d’action publique. C’est d’ailleurs la qualité de ce cadre qui a été remarqué par plusieurs intervenant·es, comme Armel Prieur : « J’ai été impressionnée par la précision de l’organisation, minutage, textes d’explications, organisation dans l’espace, toutes conditions qui ont mis chacun en confiance pour ouvrir largement les discussions. »

Ainsi, un mandat et des règles du jeu clairement établis permettent de poser le décor, d’offrir une scène propice à l’expression et au partage des expertises.

La place des expertises dans la délibération

La convention citoyenne a mobilisé une grande diversité d’expert·es dans l’optique de renforcer les connaissances des conventionné·es sur les transitions. Cette mobilisation d’expertise a été l’occasion d’impliquer les chercheur·ses les de la collectivité et des acteurs de la société civile locale. On retient cette originalité d’une convention à l’échelle communale : reconnaître des compétences à des acteurs locaux et ainsi favoriser un dialogue local, précieux dans les sociétés contemporaines confrontées à la déliaison.

La convention citoyenne répond à l’impératif de transition, dans ses dimensions écologiques, sociales et démocratiques : « L’horizon n’est pas de faire tabula rasa, mais de construire à partir d’initiatives qui existent déjà, de faire avancer la prise de conscience des uns en s’appuyant sur celle de ceux qui sont déjà acteurs. Prêter l’oreille à une diversité de savoirs implique de reconnaître l’expression de la société civile locale et d’une constellation de professionnels. » Louis-Marie Blanchard souligne cet enjeu de faire dialoguer les savoirs pour construire de nouveaux imaginaires, mieux à même de penser et conduire les transitions écologiques.

Cet enjeu dessine d’ailleurs de nouvelles exigences pour la recherche et sa place dans le débat public ; une exigence partagée par Sonia Schwartz, économiste de l’environnement ayant participé à la convention en tant qu’experte : « L’exercice d’une convention citoyenne n’est pas aisé pour le·la scientifique qui doit, dans un temps limité et devant un public non spécialisé, exposer l’état de la recherche. Pourtant, c’est certainement lors de ce type d’événements qu’il·elle va se sentir utile. La connaissance n’a d’intérêt que lorsqu’elle peut être partagée avec le plus grand nombre. Son rôle doit être repensé. Au lieu de se retirer du débat public, il lui faut trouver les moyens de diffuser la connaissance, que ce soient dans les médias ou à l’occasion de telles assemblées citoyennes. » L’apport de la recherche dans le débat public est chose complexe, pour les raisons évoquées par Sonia Schwartz, mais aussi car elle se croise avec d’autres types d’expertises, plus militantes, orientées vers des solutions immédiates.

Il faut alors prévenir le risque d’une surcharge d’informations et d’une confusion dans l’analyse des sources ; enjeu éminemment actuel à l’heure de l’infobésité et des fake-news. Probable que le risque de surcharge d’informations n’ait pas été totalement évité lors de la convention citoyenne, comme l’évoque François Gampourou : « Il y a plein de données qui sont arrivées et donc c’est vrai que pouvoir assimiler tout cela d’un coup a été une vraie difficulté. » Le facteur temps est déterminant en la matière, nombre de conventionné·es auraient souhaité disposer d’un plus long délai sur la première phase de la convention dédiée à la compréhension des problèmes. Pour autant, la convention a réussi, sur certains sujets particulièrement complexes, à construire une vision collective des enjeux et produire des propositions opérationnelles.

L’exemple du travail de la convention sur le sujet des émissions de gaz à effet de serre

Le sujet des émissions de gaz à effet de serre (GES) est certainement le plus complexe et systémique que la convention citoyenne ait eu à traiter. En conséquence, la place des expert·es a été déterminante pour amener le groupe de citoyen·nes à une bonne compréhension du phénomène et de ses ressorts.

Il faut noter aussi que l’appétence du groupe sur le sujet a été facilitante. Comme l’indique François Gampourou : « J’avais déjà un intérêt personnel pour ce sujet et je connaissais déjà l’importance de l’isolation des logements, des habitudes de consommation pour les émissions carbone. La rencontre avec les expert·es a permis d’appuyer des choses que l’on connaissait déjà mais aussi d’en découvrir d’autres. Par exemple, grâce aux échanges, je me suis rendu compte de l’importance des transports et des actions que nous pouvions conduire au quotidien pour réduire les émissions de GES dans ce domaine. »

Les expert·es ont pour leur part noté la disponibilité des participant·es à travailler le sujet sans a priori et leur souhait d’approfondir leur compréhension des mécanismes des émissions de GES avant de définir des pistes de solution. Selon Sonia Schwartz, c’est un enjeu plus général qui concerne l’élaboration des politiques environnementales, qui doivent s’établir sur des bases scientifiques claires, et sortir d’une « confusion qui s’est aujourd’hui installée entre les résultats scientifiques et les croyances concernant les moyens de lutter contre le changement climatique, confusion entretenue parfois par les médias ».

Aussi, les expertises plus militantes, orientées vers des recommandations, voire des solutions construites, ont joué un rôle complémentaire à la parole scientifique. Armel Prieur a présenté aux membres de la convention les propositions de l’Institut du compte carbone pour réduire de 6 % par an les émissions de GES des particuliers et des entreprises, de manière égalitaire : « Les citoyen·nes ont tout de suite été motivé·es à comprendre et questionner le mécanisme de comptage limitatif du carbone que j’ai présenté sur ses deux piliers : dotation carbone égalitaire à tous les Français·es, et registre carbone de toutes entreprises pour étiqueter les produits et services. C’est l’étiquetage qui fait prendre conscience et surtout qui amène les entreprises à s’aligner sur les concurrents et décarboner leurs activités, une quasi-obligation émanant des consommateur·rices. » Les membres de la convention se sont largement reconnus dans cette proposition opérationnelle et ont d’ailleurs proposé l’expérimentation d’un tel système à l’échelle de cinquante familles à Clermont-Ferrand. À la suite de ces échanges, un collectif citoyen·ne s’est constitué pour demander une convention citoyenne nationale sur le compte carbone2.

Le dialogue de plusieurs expertises pour transformer l’action publique

Comme espace démocratique, la convention citoyenne vise à réconcilier le citoyen·ne et l’institution, en réaction à la désaffection de l’électeur·rice pour les urnes et du citoyen·ne pour la vie publique. S’appuyer sur l’expertise d’usage des habitant·es, c’est les reconnaître dans un dialogue au sein de la construction de l’action publique. Il ne s’agit plus seulement de consulter ou de concerter les habitant·es sur des sujets abstraits, voire mineurs : les citoyen·nes, dans leur diversité, ont un rôle à jouer dans la définition et la gestion des biens communs.

À ce sujet, Charles-André Dubreuil rappelle que « la ville de Clermont-Ferrand voulait pleinement intégrer la convention citoyenne dans sa gouvernance et que la municipalité souhaitait une méthode et une gouvernance innovante, comme des gages du sérieux et de la crédibilité de la démarche ». Pour que cette vision politique devienne effective, elle devait s’accompagner de la mobilisation des services qui assurent quotidiennement la production du service public et la relation aux usager·ères.

Sur ce point, il faut noter l’intervention de plus de trente professionnel·les des services dans le processus. Grâce à l’implication des services, les conventionné·es ont pu prendre la mesure de ce qui était déjà réalisé ou en cours de réalisation par la collectivité en faveur des transitions écologiques, sociales et démocratiques. Ils·elles ont pu également mieux appréhender quelles étaient les limites et les contraintes qui rythment le quotidien des services, et entrevoir les aspirations, l’engagement des professionnel·les au service de l’intérêt général.

Ce travail conjoint a nourri la réflexion des membres, certes, mais il a aussi modifié la représentation que les fonctionnaires territoriaux se faisaient des démarches participatives et des propositions portées par les habitant·es. Les services ont su s’adapter aux besoins exprimés et prendre la pleine mesure de l’intérêt de la participation habitante. Ainsi, par le dialogue, la convention a eu des effets notables sur l’engagement des services sur la question démocratique et a permis un changement des représentations mutuelles entre les habitant·es et les services. Roseline Peters insiste sur ce point : « De nombreux conventionné·es ont été impressionné·es par la complexité des sujets et la difficulté d’apporter des solutions. Cela les a amenés a relativiser leur point de vue sur l’action de la collectivité qu’ils pouvaient juger insuffisante. De leur côté, les services ont découvert des citoyen·nes volontaires, productifs, à l’écoute et prêts à dialoguer. Dans leur ensemble, les directions mobilisées ont été agréablement surprises et ont apprécié les échanges. »

En ce sens, la convention citoyenne a permis des formes de « re-connaissance » mutuelle entre technicien·nes et habitant·es, mais aussi avec les élu·es et des expert·es porteur·ses de propos scientifiques ou militants. Elle ne l’a pas réussi sur tous les sujets et à toutes ses étapes, mais elle a contribué à des avancées méthodologiques intéressantes qui augurent des changements de représentations et de pratiques pour chacune de ces parties. Cela suppose de construire différents espaces d’échanges de savoir avec les expert·es, les professionnel·les de la collectivité, les élu·es, les corps intermédiaires de la société civile et du milieu socio-économique. En cela, la convention citoyenne conduite à Clermont-Ferrand aura été une expérience démocratique d’un nouveau genre, mais aussi un espace inédit d’échange de savoirs entre une diversité d’acteurs habituellement éloignés dans la sphère du débat public. C’est ici une piste inspirante pour transformer l’action publique face à la complexité des enjeux sociaux et écologiques qui s’imposent aux territoires.

Mode d’emploi de la convention citoyenne de Clermont-Ferrand

Qui a participé ?

Les 70 membres de cette convention ont constitué un panel représentatif de la population clermontoise, avec :

  • le respect de la parité femmes-hommes ;
  • l’égale représentation des quartiers de la ville (avec 20 % d’habitant·es de chaque quartier) ;
  • 30 % de jeunes de 16 à 30 ans (1/3 de la population clermontoise a moins de 33 ans) ;
  • 10 % de résident·es étranger·ères.

Les sujets débattus ?

Au sein des 3 champs de transition soumis par le conseil municipal, les 70 conventionné·es ont déterminé 9 sujets précis à explorer :

Transition écologique

  • installer un système de budget/quota carbone ;
  • l’impact environnemental du transport routier à l’échelle clermontoise et la mobilité du quotidien (douce et transport en commun) ;
  • renaturation de la ville : pourquoi ? Pour qui ? Comment ?

Transition sociale

  • lutter contre la discrimination envers les personnes en situation de précarité/pauvreté ;
  • apprentissage (alternance) et formation dans les quartiers populaires ;
  • lutter contre la fracture numérique et maintenir un lien humain avec les services publics.

Transition démocratique

  • développer la participation citoyenne des Clermontois·es ;
  • repenser les systèmes décisionnels de la ville avec les habitant·es ;
  • développer l’exemplarité de la ville dans la démocratie au travail.
  1. Roseline Peters, cheffe de projet innovation et participation à la ville de Clermont-Ferrand ; Elsa Bonal, cabinet Déjà-là, assistante à maîtrise d’ouvrage (AMO) et co-animatrice de la convention citoyenne de Clermont-Ferrand ; Louis-Marie Blanchard, président des citoyennes et citoyens pour le renouvellement de la démocratie, AMO et co-animaeur de la convention citoyenne de Clermont-Ferrand ; François Gampourou, membre de la convention citoyenne, commission transition écologique ; Charles-André Dubreuil, adjoint au maire à l’innovation démocratique de la ville de Clermont-Ferrand ; Armel Prieur, co-animateur de l’Institut du compte carbone et Sonia Schwartz, professeure des universités en économie de l’environnement, laboratoire d’économie d’Orléans-équipe de l’université Clermont-Auvergne (LEO-UCA).
  2. https://lesdecarbonautes.fr
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