Designer intégré en collectivité : un métier qui se structure

Dessein Public compte une trentaine de designers intégrés en collectivité. Créé il y a un an pour fédérer les designers qui œuvrent dans le secteur public, une première rencontre en présentiel a été organisée au Lieu de la transformation publique à Paris à la fin de l'année 2021 grâce au soutien de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP).
©DR
Le 9 février 2022

Comment le design est-il mobilisé dans les collectivités territoriales ? Quels sont les effets et les trajectoires du design dans les collectivités ? Quelles sont les perspectives d’évolution sur le plus long terme des designers publics ? Premier état des lieux non exhaustif et éléments de réponse avec Dessein Public, le réseau des designers en collectivités.

Depuis plus de dix ans, les pratiques du design se diffusent au sein des administrations publiques. Les projets mobilisant cette discipline se multiplient sur des thématiques variées. Les termes « immersion », « co-conception » ou « prototypage » intègrent le vocabulaire de certains agents et le nombre de designers dans les effectifs de la fonction publique augmente, notamment au sein des collectivités. Débuté durant l’été 2020, le réseau Dessein Public rassemble ces designers intégrés afin de favoriser les échanges entre pairs et la mise en commun des pratiques et des projets. Il compte aujourd’hui plus de trente designers en poste et une vingtaine d’apprentis ou stagiaires travaillant pour des régions, départements, communes ou établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Ce réseau témoigne d’un métier qui se structure au sein de la fonction publique et vise à lui donner plus de visibilité1.

Tout d’abord, rappelons que le design de politiques publiques c’est « l’application des principes du design – ou de la “conception orientée utilisateur” – à la fabrique des politiques publiques » 2. Concrètement, « il s’agit d’élaborer à l’aide d’outils de partage et de représentation (le dessin) des propositions collectives pour de nouvelles actions publiques (le dessein). Cette démarche vise à créer des politiques, des dispositifs, des programmes ou des services publics cohérents avec les besoins et les attentes des utilisateurs, des usagers, des habitants, des citoyens et des agents publics » 3.

À quel moment un intérêt commun est-il né entre design et administration ? D’un côté, l’évolution des enjeux sociétaux, les problématiques de plus en plus transverses, les technologies qui se développent et évoluent, ou encore le besoin d’optimisation des ressources ont amené les administrations à s’adapter. De l’autre, le métier de designer s’est transformé pour répondre aux enjeux d’innovation sociale, servicielle et environnementale. Le design de service se développe et s’adapte à tous les sujets dans le but de repenser l’expérience des personnes, des usagers ou des citoyens de manière globale.

Le réseau Dessein Public témoigne d’un métier qui se structure au sein de la fonction publique et vise à lui donner plus de visibilité.

En France, le design appliqué aux politiques publiques est aujourd’hui présent au sein des trois versants de la fonction publique. Au niveau territorial, le programme « La Transfo » 4 de La 27Région a contribué à partir de 2012 à l’introduction du design dans les collectivités. En embarquant des équipes pluridisciplinaires de « résidents » (designers, sociologues, urbanistes, etc.) dans les administrations, ce programme a préfiguré les premiers labos d’innovation intégrés. La dynamique s’est ensuite diffusée à plus grande échelle dans les collectivités territoriales. Des élus et des agents convaincus ont initié les premiers recrutements de designers et favorisé la prestation en design. Certains designers indépendants « résidents » des transfos ont décidé de consacrer leur pratique aux secteurs publics et ont formé les premières agences de design des politiques publiques. Des départements et régions ont recruté leurs premiers designers. Les écoles de design ont complété le mouvement en enseignant les approches de design centré utilisateurs dans le secteur public et en collaborant avec de nombreuses collectivités pour des partenariats, des stages ou des contrats d’apprentissage5. Les jeunes diplômés de ces établissements constituent aujourd’hui la majorité des membres de Dessein Public aux côtés de quelques profils plus expérimentés qui ont évolué dans différents secteurs et spécialités du design avant de rejoindre le secteur public.

 

Un premier état des lieux non-exhaustif des pratiques des designers publics

Les profils et parcours au sein de Dessein Public sont variés et le métier de designer intégré se construit en évoluant au sein de contextes spécifiques à chaque collectivité. Plusieurs conditions influent sur le rôle des designers au sein des collectivités : le profil du ou des designers intégrés, le positionnement hiérarchique de leurs services, la place du design dans les projets, l’appui stratégique donné, la taille de l’équipe, les métiers qui l’entourent et les moyens alloués. Nous proposons ci-dessous un état des lieux non exhaustif des façons dont les designers sont intégrés au sein de nos collectivités.

Concernant le positionnement hiérarchique, une partie d’entre nous se trouve dans des structures transversales (laboratoires, délégations, missions, etc.) qui ont pour vocation de porter des transformations organisationnelles (innovation, transformation, modernisation et relations usagers). Ces services transverses ont souvent un haut rattachement hiérarchique, et ont été historiquement impulsés par une volonté stratégique et/ou politique. D’autre fois, le recrutement d’un designer est à l’initiative d’un service ou d’une direction métier. Ces designers accompagnent des projets sur des thématiques plus précises (le tourisme, l’autonomie, le numérique ou l’immobilier), ou des projets de lieux (par exemple, une maison citoyenne).

En ce qui concerne les moyens, nos équipes sont constituées de deux personnes à une trentaine. Elles sont souvent composées de chefs de projet spécialisés : fonctions relatives à la relation usager, à la concertation citoyenne ou aux méthodes collaboratives, chefs de projet numériques, conseillers en organisation, profils issus des sciences humaines et sociales, etc. Certaines entités recrutent plusieurs designers dans la même équipe, mais il est plus courant que les designers intégrés soient soutenus par des alternants ou des stagiaires en design. Enfin, certaines équipes s’appuient sur des lieux physiques et des outils innovants pour porter leurs démarches quand d’autres exercent dans des cadres plus bureaucratiques.

L’arrivée du designer dans l’équipe, au moment où il prend ses marques, après plusieurs années d’intégration du design, les missions s’ajoutent où se transforment. Ainsi, il y a autant de pratiques du design en collectivité qu’il y a de designers.

Au sein des projets, nos positionnements sont également variables. Certains sont designers et chefs de projet : ils sont responsables de la conduite d’un ou plusieurs projets de A à Z. D’autres apportent leur expertise au sein d’équipes pluridisciplinaires. En fonction des organisations, les projets sont divers : conception de lieux, d’interfaces, ou de services publics, réorganisation d’une équipe, refonte d’une démarche administrative, etc. En complément des projets, nous portons souvent d’autres missions liées à la transformation des administrations. Par exemple, nous pouvons acculturer ou former les agents aux approches centrées utilisateur, animer une communauté ou organiser un sprint créatif. Enfin, dans quelques collectivités, le design émerge sur des fonctions managériales plus stratégiques et décisionnelles, en responsabilité de laboratoires d’innovation, par exemple.

Cet état de l’art est avant tout une simplification. Dans chacune de nos expériences, nos modèles se transforment dans le temps : de l’arrivée du designer dans l’équipe, au moment où il prend ses marques, après plusieurs années d’intégration du design, les missions s’ajoutent où se transforment. Ainsi, il y a autant de pratiques du design en collectivité qu’il y a de designers. Mais quels sont les communs du design intégré qui incitent les administrations à recruter et surtout à renouveler l’expérience dans le temps ?

Effets et limites du design au sein des collectivités françaises

Concrètement, nous accompagnons des projets du cadrage à l’atterrissage et capitalisons sur les enseignements de ceux-ci sur la durée. Ce temps long du design intégré est favorable et nécessaire à l’acculturation entre designers, administrations et citoyens. Les projets sont de bons terrains d’apprentissage notamment via les temps forts des démarches de design (immersions sur le terrain, ateliers de co-conception, prototypage) et le travail commun autour de maquettes ou de visuels. La compréhension mutuelle se construit avec le temps et des « offres de services » sur mesure émergent pour diversifier les modes de mobilisation du design : « mode projet », conseil, formations, pilotage de prestations, collaboration avec des écoles, constitution de réseau, organisation d’événements, etc. Des relations se tissent entre les acteurs de la collectivité et les designers : confiance, réflexes communs, (re)connaissance des compétences de chacun et simplicité dans les contacts.

Le design transforme progressivement la culture des collectivités vers plus de collaboration et de transversalité. Les agents acculturés à la démarche de design prennent plus en compte l’expérience des usagers-citoyens.

Au sein de Dessein Public, nous remarquons que le design transforme progressivement la culture des collectivités vers plus de collaboration et de transversalité. Les agents acculturés à la démarche de design prennent plus en compte l’expérience des usagers-citoyens. Nous remarquons que des réunions traditionnelles se transforment en ateliers participatifs, la culture de l’expérimentation et de l’essai-erreur se diffuse, des collectifs se créent ou se renforcent et durent dans le temps, la culture de l’écrit laisse de la place au visuel. Pour de nombreux agents, ces expériences renforcent le sens de leur métier en les recentrant sur le service rendu aux personnes et en garantissant la prise en compte de leur propre expérience. Si l’objectif du design est avant tout de proposer la meilleure expérience possible aux usagers-citoyens des services publics, il apparaît également comme un levier de transformation de la collectivité.

Ce premier bilan est positif, mais établir la fonction design au sein d’une collectivité amène son lot de limites et de défis. Intervenir sur des projets à fort impact est souvent long et sinueux. Nous constatons qu’il faut trouver le bon format pour faire ses preuves, entre projets très stratégiques et plus opérationnels. Pour ce faire, sensibiliser sur son métier au quotidien, définir son cadre de travail et trouver un vocabulaire commun sont des étapes souvent incontournables. Faire vivre l’expérience de design à tous les étages de l’organigramme est un levier puissant et un réel défi. Pour certains d’entre nous, la mobilisation des outils du design (logiciels, matériels, outils collaboratifs) n’est pas facilitée par la commande publique. Enfin, même si quelques designers du réseau sont devenus fonctionnaires, la majorité des postes que nous occupons sont des postes de contractuels, souvent précaires et fragiles face aux aléas des réorganisations ou des financements internes ou externes.

Designer en collectivité est un métier nouveau, qui s’est défini et structuré de manière isolée au fil des années, des réussites et des échecs au sein de chaque collectivité. Partager et apprendre entre pairs à partir de cette diversité d’expériences est l’une des raisons d’être de Dessein Public. Pour les collectivités les plus matures, la diffusion plus ambitieuse du design peut se confronter au manque de portage hiérarchique ou de moyens humains quand le ou les designers n’ont plus la capacité de répondre à toutes les demandes. Les agents sensibilisés aux démarches de design se substituent difficilement à des designers formés et expérimentés. Certains ne se sentent pas légitimes ou ne sont pas perçus comme tels, d’autres n’arrivent pas à dégager du temps ou des moyens pour intégrer ces approches à leurs missions. Le choc des cultures après la parenthèse d’une formation ou d’un projet en design présente d’ailleurs un fort risque de démobilisation de ces ambassadeurs du design. La question se pose donc aujourd’hui : quels seraient les modèles et les effets d’une administration qui mobilise le design à tous les niveaux et à travers le plus grand nombre (designers, agents toutes catégories, élus et citoyens) ?

La pérennité de ce réseau repose sur notre mobilisation, celle de notre métier dépend d’une action conjointe entre designers et acteurs publics.

Malgré la multiplicité des pratiques, le métier de designer en collectivité se développe. Nous en avons montré les effets et les limites et nous continuons à faire avancer les réflexions au sein de Dessein Public. Dans ce réseau animé par et pour les designers en collectivités, nous abordons de nombreuses thématiques et mettons en œuvre des actions pour répondre aux défis identifiés. Nous retraçons les expériences de recrutement et d’intégration des designers pour favoriser les futures embauches et nous souhaitons faciliter l’accès, pour les designers en collectivité, à une offre de formation continue adaptée. Nous constituons des communs (annuaire des membres et de leurs projets, vocabulaire partagé et illustré, partage de connaissance sur le fonctionnement des collectivités) pour s’inspirer, comprendre et faciliter nos missions au quotidien. Enfin, le réseau est l’occasion de témoigner d’expériences professionnelles variées et d’aborder les difficultés liées à nos positionnements de designers intégrés. En plus des actions internes au réseau, nous valorisons nos pratiques lors d’événements et d’échanges avec des acteurs du design et de l’innovation publique, des agents de collectivités, des étudiants ou des curieux.

En effet, bien que la pérennité de ce réseau repose sur notre mobilisation, celle de notre métier dépend d’une action conjointe entre designers et acteurs publics.

  1. Lors de la France Design Week de septembre 2021, Dessein Public a organisé trois tables-rondes autour du design intégré dans les administrations publiques.
  2. www.la27eregion.fr/design-politiques-publiques/
  3. Scherer P., Chantier ouvert au public, 2015, La Documentation française.
  4. https://transfocodesource.la27eregion.fr/about.html
  5. Le master de l’université de Nîmes, créé en 2011, et l’InSituLab en 2014, centrés sur le design dans le secteur public, font office de précurseurs. Ces organismes de formations, auxquels s’ajoutent le pôle design de Villefontaine et l’école de design Nantes Atlantique (entre autres), organisent des partenariats avec de nombreuses collectivités pour des projets, des stages ou des contrats d’apprentissage.
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