Dominique Faure : « Il n’y a pas eu de déferlement massif des urbains vers les campagnes. »

Dominique Faure, ministre déléguée en charge des Collectivités territoriales et de la Ruralité, a débloqué une enveloppe d’un million d’euros pour étudier les travaux de POPSU en ruralité afin nourrir la réflexion du gouvernement.
©Crédit : Ministère des Collectivités territoriales.
Le 12 juin 2023

La ministre déléguée en charge des Collectivités territoriales et de la Ruralité revient pour Horizons publics sur l’étude Exode urbain : un mythe, des réalités1, présentée le 17 février 2023 et conduite entre juin 2021 et fin 2022. Il s’agissait d’objectiver la réalité des évolutions démographiques françaises après la crise du covid-19, alors que deux discours se côtoyaient : le premier, largement relayé par les médias, annonçant le départ massif des urbains vers les campagnes (« exode urbain ») et le second porté par les collectivités locales : « Tout est vendu, on n’a plus de biens sur le marché. » Qu’en a-t-il été ? « La pandémie de covid-19 n’a pas bouleversé de fond en comble les structures territoriales françaises », nous dit en substance la ministre.

Dans quel contexte a été réalisée cette étude sur l’exode urbain et avec quels objectifs ?

Elle a été lancée à l’initiative du réseau plan urbanisme construction architecture (PUCA)2 et du réseau rural français (RRF)3. Fin 2020, ces deux structures ont sollicité l’appui de la plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines4 (POPSU) pour travailler sur la question. POPSU est un programme de recherche-action qui mobilise des chercheurs au plus près des élus dans les territoires ruraux et les petites villes, en lien avec le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Nous travaillons étroitement avec ce programme depuis plusieurs années pour étudier les territoires ruraux : étude sur la vacance des logements en Livradois-Forez en Auvergne, vieillissement de la population à Xertigny dans les Vosges, etc. À mon arrivée au ministère, à l’été 2022, j’ai débloqué une enveloppe d’un million d’euros pour étudier les travaux de POPSU en ruralité, afin de nourrir notre réflexion, tout en développant des laboratoires à ciel ouvert.

Les populations urbaines n’ont pas déferlé massivement vers les campagnes. [...]
Les déplacements à destination des territoires ruraux continuent de représenter une faible part des déménagements.

Quelle méthodologie a-t-elle été employée par l’étude ?

Dans un contexte où les données publiques n’étaient pas encore disponibles, nous avons croisé les données des plateformes Leboncoin.fr, Meilleursagents.com et Seloger.com, ainsi que les contrats de réexpédition de courrier souscrits auprès de La Poste, afin de coupler des recherches d’habitation avec des départs effectifs. Ces données nous permettent de mesurer des intentions de mobilité résidentielle (recherches de biens immobiliers et estimations en ligne) et leur concrétisation (réexpédition de courrier)5. Douze chercheurs en géographie et en sociologie ont conduit une étude qualitative sur six terrains ruraux, semi-ruraux ou périurbains, en interrogeant élus, praticiens locaux, habitants, acteurs du marché de l’immobilier afin de compléter l’analyse de ces données.

Quelles sont vos principales conclusions ?

Les populations urbaines n’ont pas déferlé massivement vers les campagnes et les grandes tendances des dernières années (métropolisation, périurbanisation et littoralisation) continuent de se démontrer, chiffres à l’appui. De petits flux ont néanmoins eu lieu vers les ruralités, avec parfois des efforts importants sur les services publics ou l’activité économique du territoire parce que l’accueil de ces nouvelles populations n’avait pas été anticipé.

Les métropoles conservent donc leur rôle structurant dans le territoire. Les pôles urbains autour de Paris, Marseille, Lyon et les métropoles régionales (Lille, Strasbourg, Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes, Brest et Nice) gardent la même attractivité, captant l’écrasante majorité des flux de recherche immobilière. Les déplacements à destination des territoires ruraux continuent de représenter une faible part des déménagements, passant seulement de 17,2 % en pré-covid à 18,1 % dans la période de l’après-covid-19. Il n’y a pas de réorientation géographique massive des populations ni de recomposition des flux vers des espaces ruraux.

L’étude analyse ensuite sur tout le territoire français les soldes migratoires à la maille habitat6 qui confirment une littoralisation et une périurbanisation.

Oui, il y a un processus de concentration des populations et des activités humaines le long ou à proximité des littoraux, à la fois dans les aspirations des Français et dans les mobilités effectives (déménagements). Ainsi, les soldes migratoires rapportés au nombre d’habitants depuis mars 2020 montrent la forte attractivité des littoraux notamment atlantiques, y compris les zones rétro-littorales.

De leur côté, les espaces périurbains enregistrent presque tous un effet positif sur leur solde migratoire depuis la crise sanitaire. C’est le phénomène de desserrement urbain, désignant le départ des populations des centres urbains au profit de leurs périphéries, particulièrement sensible à Paris intra-muros et plus ou moins dans les autres grandes villes françaises. Les variations les plus importantes concernent les départs des centres vers les couronnes, avec des hausses allant de 14 à 23,5 % entre mars 2020 et mars 2021 selon les aires d’attraction des villes. Les grandes aires poursuivent leur déprise, avec une augmentation de 27 % des flux nets sortants sur cette période, en direction des petites aires et du rural, alors que les villes petites et moyennes confirment ce rebond, avec une augmentation de 24 % des flux nets en provenance des grandes aires et du rural.

Dominique Faure, ministre déléguée en charge des Collectivités territoriales et de la Ruralité, a débloqué une enveloppe d’un million d’euros pour étudier les travaux de POPSU en ruralité afin nourrir la réflexion du gouvernement.

N’y a-t-il pas aussi toutefois une amorce d’exode urbain ?

Les espaces ruraux ont vu leur solde migratoire augmenter après le début de la crise sanitaire. Toutefois, ce solde était déjà positif, du fait de la renaissance rurale largement documentée depuis la fin des années 1970. Cette renaissance est géographiquement sélective, puisqu’elle touche surtout les territoires proches des centres urbains (« campagne urbaine ») et ceux bénéficiant d’aménités spécifiques : accessibilité, climat, dynamique économique locale favorable, etc.

Les déménagements effectifs montrent que les ménages quittant un centre urbain ont tendance, s’ils ne s’installent pas dans une couronne périurbaine, à aller dans une ville un peu plus petite que celle qu’ils quittent.

Les mouvements résidentiels actuels accentuent en effet les différences entre des territoires attractifs (parfois en surchauffe) et d’autres qui le sont moins. Ce sont les territoires situés au sud d’une ligne Saint-Malo-Genève, qui attirent le plus depuis le début de la crise sanitaire.

La situation de ces territoires sur le plan du logement permanent est un enjeu bien identifié par le Gouvernement, c’est pourquoi nous avons lancé, à l’automne 2020, un groupe de travail sur l’attrition du logement permanent en zone touristique (notamment de littoral ou de montagne).

Où se projettent les Français qui quittent la ville ? Pas seulement vers la campagne…

Les flux de départ des villes vers la campagne ne représentent en effet que 14 % de l’ensemble des flux et surtout ils n’ont pas augmenté avec la pandémie. Les Franciliens qui ont choisi de déménager après la crise sanitaire (mars 2020-mars 2021) restent à 70 % dans l’agglomération parisienne, partent à 8,5 % vers des grandes villes, à 7 % vers des villes moyennes, à 7,5 % vers des petites villes et à 7 % seulement vers des communes rurales.

Les déménagements effectifs montrent que les ménages quittant un centre urbain ont tendance, s’ils ne s’installent pas dans une couronne périurbaine, à aller dans une ville un peu plus petite que celle qu’ils quittent : un Parisien s’installera, par exemple, à Nantes, Marseille ou Lyon ; un Rennais à Quimper ou Vannes ; un Toulousain à Albi ou Foix, etc.

Si les départs des centres urbains vers la campagne ne sont pas massifs, ils existent bel et bien. Qui sont ceux qui partent ?

Les chercheurs ont identifié cinq profils différents de ménages ayant quitté un centre urbain depuis le début de la crise sanitaire. Les retraités et pré-retraités sont très présents au titre de ces mobilités, avec un accroissement de la bi-résidentialité et de l’offre locative touristique dans les espaces traditionnels de villégiature. C’est la recherche d’un cadre de vie de qualité, souvent connu pour y avoir passé des vacances. Les professions intermédiaires et classes populaires sont également concernées, allongeant leurs navettes grâce au télétravail, souvent chassées des villes où les prix de l’acquisition d’un pavillon sont devenus trop élevés. C’est la « méga-périurbanisation ». La crise sanitaire a accéléré ces déménagements, parfois aussi liés à des crises familiales ou professionnelles. Des cadres supérieurs et professionnels qualifiés alliant grande mobilité et télétravail ont aussi gagné les campagnes. Au sein du ménage, l’un conserve son poste en ville, alternant télétravail et navettes longue distance, l’autre travaille à domicile. Des ménages de même profil sociologique pratiquent la bi-résidentialité : résidence principale en métropole et résidence secondaire à la campagne. Cela concerne les territoires ruraux desservis par le train et des espaces à haute qualité paysagère, déjà attractifs avant la pandémie. Des ménages généralement diplômés alliant télétravail et projets de reconversion professionnelle alternatifs, écologiques et souvent collectifs, complètent ces populations mobiles. Enfin, des ménages en situation de précarité fuyant la cherté des coûts urbains, les difficultés d’accès au logement et à l’emploi des métropoles migrent également.

La renaissance rurale s’est accentuée avec la crise sanitaire : cela va-t-il se poursuivre ? Continuerez-vous à travailler sur ce sujet ?

Il y a un véritable phénomène de retour à la ruralité heureuse. Les Français redécouvrent la campagne à travers sa qualité de vie, ses solidarités et sa culture puissante. La campagne, c’est un mode de vie et le confinement a encouragé les Français à retrouver ce socle de pratiques et de valeurs traditionnelles.

Le Gouvernement avait mis sur la table des moyens importants sous le précédent quinquennat avec l’Agenda rural : 181 mesures, 10 milliards d’euros. Je travaille à renforcer cette copie avec un nouveau plan pour les ruralités, qui prendra le nom de « France ruralités » et comportera des mesures de fond, un nouveau zonage en termes d’exonérations sociales et fiscales, mais aussi des moyens d’ingénierie pour accompagner les territoires dans leur transformation.

Il y a un véritable phénomène de retour à la ruralité heureuse. Les Français redécouvrent la campagne à travers sa qualité de vie, ses solidarités et sa culture puissante. La campagne, c’est un mode de vie et le confinement a encouragé les Français à retrouver ce socle de pratiques et de valeurs traditionnelles.

Faut-il, dans un contexte où 81 % des Français considèrent la vie à la campagne comme le mode de vie idéal7, rendre les politiques d’aménagement du territoire (accès aux soins, transports, services publics, numérique, etc.) plus attractives ?

Les ruralités sont des territoires où il fait bon vivre et l’État a un rôle important à jouer dans leur aménagement : accès aux services publics, au logement, aux mobilités, au travail. Nous allons continuer à soutenir ces territoires si importants pour la République, notamment avec des moyens humains et financiers dédiés à l’ouverture de maisons de santé, au maintien ou à la réouverture de petites lignes ferroviaires ou encore à la réhabilitation du logement ou à son adaptation au vieillissement de ses habitants.

Cette étude s’inscrit dans les travaux de prospective pour une meilleure connaissance des ruralités et les évolutions relatives aux mobilités résidentielles qui impacteront les politiques publiques des territoires ruraux.

Pour aller plus loin

Retrouvez l’intégralité de l’étude Exode urbain. Un mythe, des réalités, étude, févr. 2022, Ministère des Collectivités territoriales et de la Ruralité.

  1. Exode urbain. Un mythe, des réalités, étude, févr. 2022, Ministère des Collectivités territoriales et de la Ruralité.
  2. Le PUCA est un service interministériel (Logement, Culture et Enseignement supérieur).
  3. Financé par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), le RRF est chargé de mutualiser les activités adaptées aux besoins des territoires, d’assurer l’articulation et la coordination des initiatives locales et la diffusion des réalisations.
  4. Le programme POPSU est opéré par un groupement d’intérêt public (GIP), nommé « L’Europe des projets architecturaux et urbains » (EPAU), sous tutelle de différents acteurs publics, dont le ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires et la Cité de l’architecture et du patrimoine.
  5. Les chercheurs parlent de nowcasting ou d’exploitation des données disponibles à haute fréquence pour connaître quasiment en temps réel les intentions des échantillons.
  6. La maille habitat résulte d’un découpage de la France construit par le commissariat général au développement durable (service de données et études statistiques) en 2019 : les mailles rassemblent des communes ayant des marchés du logement aux fonctionnements similaires, des moins aux plus tendues.
  7. IFOP, Territoires ruraux : perceptions et réalités de vie, rapport, 2018, Familles rurales.
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