Revue

Cartoscopie

Déconstruire la fracture entre territoires urbains et ruraux

Le 22 février 2018

Les représentations cartographiques de la fracture urbain-rural ont un effet d’évidence et de vérité, préjudiciable à la compréhension de la situation territoriale française et de sa complexité. Illustration avec le niveau de vie.

La fracture entre villes et campagnes, espaces urbains et ruraux, ou encore métropoles et territoires périphériques, est un motif récurrent du débat public français. Paradoxalement, il structure autant le discours des pouvoirs publics qui mettent en œuvre des politiques pour agir contre cette fracture que celui des analystes radicaux qui dénoncent une situation inique en promettant de futurs grands soirs.

Situer ce front de la lutte des places et cartographier la fracture qui la cristallise est moins consensuel. En un demi-siècle, l’urbanisation de la société et des espaces français a largement brouillé les repères territoriaux. Les limites morphologiques de la ville se sont étiolées et il est aujourd’hui moins question de séparations entre les espaces urbains et ruraux que d’hybridation, d’imbrication, de flux, d’échanges et d’interdépendances.

Cette spatialité n’épuise évidemment pas la question des écarts territoriaux de développement socio-économique. C’est d’ailleurs ce dernier registre qui est maintenant privilégié pour objectiver la fracture urbain-rural. À ce titre, le niveau de vie figure parmi les indicateurs souvent retenus qui cartographiés montrent ces dissimilitudes.

Les campagnes semblent moins bien loties que les pôles urbains, le niveau de vie y baisse proportionnellement à leur éloignement, mais ce sont les premières couronnes périurbaines qui paraissent plus favorisées. Inversement des centres-villes, des banlieues, partagent avec les campagnes un moindre niveau de revenu. En affichant les masses démographiques concernées, le cartogramme souligne combien la faiblesse de niveau de vie touche autant les villes que les campagnes.

Plus fondamentalement, la carte dénote aussi la distribution en gradients de ces écarts dont la traduction en fracture n’est possible qu’à condition de fixer plus au moins arbitrairement un seuil à partir duquel la bipartition peut s’effectuer. Changer d’échelle d’observation révélerait l’existence d’écarts de revenu aussi considérables dans ces espaces qu’entre ceux-ci, démontrant encore le rôle de l’artefact dans la construction de cette scission.

Se dessine ainsi une géographie bien plus complexe et subtile que celle duale suggérée par les discours de la fracture urbain-rural. Déconstruire cette représentation ne vise pas à nier l’existence d’inégalités socio-spatiales injustes, mais à esquisser un pas de côté pour tenter de sortir de l’ornière simpliste et clivante dans laquelle ce discours nous enferme.

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