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Dossier

L’intelligence collective pour aider la jeunesse à affronter le monde de demain

CitizenCampus
La démarche de CitizenCampus met les jeunes en situation d'apprentissage horizontal.
©UGA
Le 11 août 2020

C’est en redonnant confiance à la jeunesse, en l’écoutant et en cultivant son autonomie, que nous la préparerons aux tâches qui l’attendent et que nous mettrons son potentiel au service de la société.

Je l’avoue humblement, je ne connais rien aux sciences de l’éducation. Je sais qu’un vaste corpus de recherche scientifique et de réflexions lui est consacré, mais dans ma vie de journaliste scientifique plutôt spécialisé dans les sciences dites « dures », les occasions de s’y confronter sont rares. Et puis la machine éducative paraît si vaste et centralisée qu’il est difficile de s’imaginer pouvoir l’infléchir, fut-ce d’un epsilon : à quoi bon alors chercher à la penser ?

Mais ce dont je peux témoigner, en tant que parent d’enfants qui sont en train de parcourir ses différents échelons, c’est que notre système éducatif n’est pas accueillant pour la jeunesse. En dépit de la créativité et du dévouement d’innombrables enseignant·e·s, à tous niveaux, leurs efforts pour éveiller la curiosité des jeunes sont en bonne partie anéantis par un système qui repose sur la verticalité, la conformité et la menace constante de l’échec.

C’est pourquoi, lorsque j’ai été invité à contribuer à CitizenCampus, j’ai considéré la chose avec intérêt. Une démarche pluridisciplinaire, d’intelligence collective et en prise sur les problèmes de notre temps, voilà qui me semblait prometteur. Je vivais moi-même, par le biais de l’Institut des Hautes études scientifiques et techniques (IHEST), une expérience analogue et la puissance de cette démarche me sautait déjà aux yeux.

En tous cas, me suis-je dit, aller parler de la vraie vie et des problèmes concrets qu’elle pose avec des étudiant·e·s ne pouvait pas faire de tort. Car un autre travers de notre système éducatif est qu’il fonctionne souvent en vase clos, avec une séparation stricte vis-à-vis du reste de la vie sociale, séparation qui incite les jeunes à penser que le savoir qu’ils acquièrent est, dans l’ensemble, dépourvu d’utilité pratique et ne sert qu’à les évaluer. C’est pourquoi je m’efforce toujours de répondre favorablement aux demandes de témoignages et d’interventions des enseignant·e·s, qu’ils soient en collège, en lycée ou dans le supérieur, car ils constituent, pour les jeunes, des moments de respiration précieux.

Mais je l’avoue, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre en débarquant pour ma présentation à l’Institut des neurosciences de Grenoble, par un matin ensoleillé de mars. D’emblée, l’atmosphère m’a séduit : à l’accueil, les étudiant·e·s étaient mélangés aux encadrants, signe qui ne trompe pas d’une alchimie favorable. Les présentations furent simples, rapides et chaleureuses et la journée s’ouvrit par un tour d’horizon de l’actualité telle que les jeunes l’avaient perçue. Une sorte d’inventaire à la Prévert, balayant tout l’éventail de l’information, depuis l’écologie aux faits divers judiciaires, durant lequel tout le monde s’écoutait avec attention et respect. De rapides dialogues s’engageaient, montrant que chacun avait ses convictions et était disposé à les partager ou les garder pour lui, selon la demande. Le ton n’était ni belliqueux, ni indifférent, mais attentif et solidaire. Et l’on se prenait à rêver que nos dirigeants soient capables d’échanger avec le même ton.

Ma présentation portait sur les médias face à l’expertise scientifique, et plutôt que de développer des théories générales, j’ai présenté mes problèmes quotidiens face aux experts : comment les choisir ? Lesquels croire ? Comment gérer leurs inévitables biais (conflits d’intérêts, biais idéologiques, réseaux d’amitiés et professionnels, etc.) ? Tout en faisant profiter mes lecteurs de leur expertise évidemment bien réelle. L’attention était palpable, et je reçus en retour beaucoup de questions montrant de la maturité, de la curiosité, de la clairvoyance, avec aussi bien évidemment la fraîcheur parfois naïve de la jeunesse.

Après ma session, les discussions ont continué de manière plus informelle autour du déjeuner, et je fus frappé du contact facile, direct, respectueux sans déférence, que ces étudiant·e·s étaient capables de nouer avec des adultes bien plus âgés qu’eux-mêmes.

L’expérience de cette journée est restée avec moi comme un moment fort. Elle m’a fait réfléchir, par-delà les questions éducatives, à la façon dont collectivement nous nous adressons à notre jeunesse, à ce que nous développons en elle et à la façon dont nous pourrions mieux l’aider à grandir et affronter le monde que nous lui léguons.

Il m’apparaît que le principal message que la société délivre aux jeunes, c’est qu’elle n’a pas besoin d’eux, et que s’ils veulent y trouver (on dit souvent « s’y faire ») une place, ils devront se battre avec acharnement pour la conquérir. Comment une société majoritairement peuplée de parents, dont le principal souci est le bonheur de leurs enfants, a-t-elle pu générer pareille situation ? Je l’ignore. Mais en tous cas il est difficile d’imaginer message plus décourageant et démobilisant pour des jeunes que le système scolaire a déjà souvent dévalorisés. Comment s’étonner que beaucoup abandonnent, renoncent, se réfugient dans le divertissement au point de s’y abrutir ? Surtout que l’autre message, implicite, que les décideurs et les « sachants » délivrent aux jeunes, c’est que ces derniers doivent écouter ceux qui sont en place de manière disciplinée, sans avoir la prétention de les critiquer, afin d’apprendre à gérer le monde.

Pourtant, c’est l’exact inverse qui est vrai.

Nous, les décideurs et les « sachants », n’avons pas su gérer le monde. Certes, nous avons amélioré l’espérance de vie, l’éducation et le confort, mais au prix d’une dette écologique vertigineuse dont nous nous sommes défaussés sur nos enfants. Alors au nom de quel bilan, nous, les « sachants », instaurerions-nous un système d’éducation vertical, comme si nous avions trouvé toutes les réponses et que nos enfants n’auraient qu’à les assimiler ?

Sans démagogie aucune, il me semble que nous devrions davantage nous tourner vers les jeunes et les inviter à prendre la parole, pour tenter de trouver le chemin qui nous sortira de l’impasse.

La démarche de CitizenCampus, qui met les jeunes en situation d’apprentissage horizontal, c’est-à-dire qui leur donne la possibilité d’interroger des experts, puis les invite à en débattre entre eux et se faire leur propre opinion, sans s’encombrer d’évaluation et de hiérarchie, est infiniment plus juste et féconde.

Leur génération, qui a grandi dans ce monde, en maîtrise mieux que la nôtre les outils, notamment numériques, et elle en ressent plus clairement les problèmes fondamentaux, notamment celui de l’épuisement des ressources. Il est essentiel de donner à cette jeunesse la possibilité de contribuer par des idées, des propositions, des critiques, des expériences, à son pilotage et son devenir. Nous avons besoin des qualités de ces jeunes, qui en ont beaucoup. Ils ont un humour magnifique, parfois teinté d’une touche de désespoir, mais fondamentalement plein de gaîté et d’amour de la vie. Et ils sont ouverts sur le monde, révoltés par l’injustice et l’inégalité, écologiquement conscients, indépendants, curieux des autres, etc. Leur principal défaut est sans doute que nous les avons rendus trop modestes (à l’exception bien sûr d’une infime minorité d’enfants de cadres dirigeants, persuadés à l’inverse que tout leur est dû).

Et traiter ces jeunes comme des adultes, leur indiquer que leur parole compte, qu’elle est aussi légitime qu’une autre (à condition que l’effort de la documenter ait été fait), que les adultes désirent l’entendre et en sont curieux, c’est les aider à grandir, à reprendre la confiance en eux dont nous les avons, malgré nous, privés, c’est les armer dans ce qu’ils ont de plus intime pour les tâches qui seront celles de leur génération. C’est pourquoi j’espère que la démarche de CitizenCampus va prospérer, essaimer, proliférer, et s’inscrire dans ce fourmillement social protéiforme et pour l’essentiel invisible qui prépare le monde de demain.

  1. Chercheur au centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI), université de Strasbourg, auditeur de l’IHEST.
  2. Conseillère honoraire du Comité économique et social européen et du Conseil économique, social et environnemental de France, auditrice de l’IHEST.
  3. Journaliste scientifique, réalisatrice et auditrice de l’IHEST.
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Par

Yves

Sciama

journaliste scientifique indépendant, président de l'AJSPI (Association des Journalistes Scientifiques de la Presse d'Information)

11 rue Auguste Pailherey, 26100 Romans-sur-Isère

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