Emmanuelle Mœsch : « L’économie circulaire doit trouver des applications sur le terrain »

Le 28 novembre 2019

Une chaire Économie circulaire et métabolisme urbain a vu le jour en septembre 2019. Elle a été créée par l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar) et la métropole du Grand Paris (MGP). La chaire veut permettre à la MGP d’atteindre ses objectifs dans le domaine de l’économie circulaire, notamment grâce à des échanges avec le milieu académique, des travaux de recherche dédiés, et des retours d’expériences internationaux. Entretien avec Emmanuelle Mœsch, ingénieure de recherche (Ifsttar-Ame).

Pourquoi avoir créé une telle chaire ?

J’entends d’abord lever une éventuelle confusion. Il s’agit, dans ce cadre, de conduire un programme de recherche, et non de proposer une formation à des étudiants. Un des objectifs principaux de la chaire est de mener des travaux de recherche en soutien à la stratégie « Grand Paris circulaire ». Sur une durée de trois ans, nous allons chercher à comprendre les flux entrants et sortants de la métropole et envisager les moyens de les réduire ou d’en diminuer les impacts. Les grands chantiers offrent des terrains pour analyser les flux de BTP. Notre travail va s’appliquer, par exemple, sur le projet de la ZAC de la plaine Saulnier où va se construire le futur centre aquatique olympique. Nous évaluerons le flux extrait, à savoir les gravats liés à la destruction des bâtiments existants, mais aussi les flux entrants des futures constructions, pour établir ceux qui peuvent être recyclés sur place, ceux qui doivent en sortir, comment le transport de ces matériaux peut être amélioré, etc. L’Ifsttar ne part pas d’une feuille blanche, nous avons déjà travaillé sur le sujet, avec nos collègues du groupe Métabolisme du Labex Futurs urbains. Le travail de recherche doit prendre appui sur des cas réels et se confronter à l’expertise de la métropole et, qu’en retour, la métropole alimente sa réflexion à partir des résultats des recherches.

L’enjeu est déterminant pour le Grand Paris, qui est aujourd’hui un immense chantier à ciel ouvert.

La stratégie du Grand Paris, en matière d’économie circulaire, est transversale. L’un de ses axes concerne le BTP, en articulation avec les grandes politiques de planification : les grands projets d’aménagement actuels sont un enjeu crucial pour la métropole. D’autres objectifs de cette stratégie sont d’optimiser la logistique des marchandises et des déchets, et de faire de la métropole un territoire résilient en travaillant sur les circuits courts, l’eau, l’énergie, etc. Cette chaire a été créée pour accompagner cette stratégie, en apportant le point de vue des chercheurs et des experts. Nous sommes au début d’un processus où l’économie circulaire doit concrètement trouver des applications sur le terrain, prolongées par les techniciens des collectivités mais aussi les entreprises qui interviennent sur les chantiers.

Vos conseils trouveront leur pertinence si les élus s’en emparent.

Je suppose qu’en créant avec nous cette chaire, le Grand Paris est intimement convaincu de la nécessité de la démarche. Certains de nos travaux porteront sur des cas précis, comme la ZAC Saulnier. Mais nous étudierons aussi la gouvernance de l’économie circulaire. Quel sera le bon niveau de gouvernance ? Comment articuler l’action du privé et du public ? Nous proposerons aussi une vision prospective : quels seront les impacts de l’économie circulaire, en termes, bien sûr, environnementaux, mais aussi en matière d’emplois locaux ? Pour accompagner la diffusion et la mise en œuvre de l’économie circulaire, la chaire prévoit également des workshops en direction des élus et des acteurs privés, car ce sont eux qui, in fine, seront amenés à agir. Nous avons aussi créé l’École internationale d’été, avec des étudiants, des chercheurs, des témoignages venus de territoires où la démarche est plus avancée.

Vous parlez de gouvernance : le Grand Paris peut-il imposer aux entreprises d’entrer dans le cercle vertueux de l’économie circulaire ?

Les acteurs publics peuvent inciter les entreprises à aller vers l’économie circulaire, par exemple, avec la commande publique. Mais il y a, en effet, des limites dans ce que les élus peuvent imposer aux entreprises, notamment celles qui interviennent pour déconstruire l’existant, dont les entreprises du BTP. Celles-ci rencontrent beaucoup de freins, tel que récupérer des gravats pour refaire sur place du béton, se heurter à des limitations techniques et mais aussi de normalisation. Il faut aussi prendre en compte la logistique du transport des matériaux vers les centres pouvant les recycler Certaines unités de transformation sont créées près des gros chantiers, comme c’est le cas sur l’écoquartier de la vallée de Châtenay-Malabry. Nous avons décidé de nous concentrer sur le BTP parce que 70 % de nos déchets viennent de là. Dans ce secteur, certaines entreprises s’engagent sur le sujet et se sont réunies en association. Il y a une vraie prise de conscience. In fine, la chaire intervient à plusieurs niveaux. Dès cette année, nos recherches permettront de fournir des premières pistes sur le chantier de la ZAC de Saulnier. Mais notre rôle consiste également à fournir une grille d’analyse et des indicateurs à la collectivité pour évaluer son action et piloter une transition vers l’économie circulaire.

Une énorme chantier

Les chiffres de la Fédération française du bâtiment (FFB, 2016) donnent une idée du défi à relever : 40 millions de tonnes de déchets sont générés en France chaque année par le secteur du bâtiment ; près de 75 % des déchets générés par le bâtiment sont des déchets inertes (béton, verre, briques, tuiles, etc.) ; en décembre 2015, la Commission européenne a adopté de nouvelles mesures limitant à 10 % la mise en décharge de l’ensemble des déchets d’ici 2030 ; 40 à 50 % c’est le taux de recyclage estimé des déchets du bâtiment selon les régions.

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