Revue
Anticipations publiquesQuel avenir pour le sport en France après les jeux ?
Le 19 novembre dernier, au Congrès des maires, un forum était consacré à la politique sportive telle qu’elle se dessine quelques semaines après le franc succès des Jeux olympiques et paralympiques parisiens1. Comment « saisir la balle au bond après les Jeux », pour reprendre l’intitulé du forum, à l’heure où les finances publiques, elles, ne présentent pas une forme olympique ? Plusieurs maires ont ainsi pu s’exprimer, explorant les pistes pour confirmer ce bel allant national tout en confiant leurs craintes sur le soutien financier de l’État.
Pour qu’une telle réussite puisse survenir, plusieurs leviers doivent être activés simultanément. L’un de ceux dont on a le moins parlé, focalisés que nous étions tous sur les exploits de nos athlètes, c’est celui de la mobilisation des communes. « Les maires sont convaincus de l’importance du sport dans leur vie communale », a rappelé, comme une évidence, David Lazarus, co-président de la commission du sport de l’Association des maires de France (AMF) et maire de Chambly (Oise). Bien en amont, les communes ont en effet préparé le terreau d’un tel succès. Le label Terre de Jeux 2024, créé par le Comité olympique des Jeux olympiques et paralympiques (COJOP) sous l’impulsion de l’AMF, et ce, dès 2019, a été une véritable réussite puisque 4 800 structures en ont bénéficié, dont 3 849 communes et 402 intercommunalités. Le soutien financier de l’État a été à la hauteur des enjeux puisque le budget consacré aux sports, en dehors des JOP, est passé de 324 millions d’euros en 2019 à 775 en 2024. Dans le même temps, le budget de l’Agence nationale des sports (ANS) est passé de 273 millions d’euros en 2019 au moment de sa création à 460 en 2024, dont près de 43 % ont été fléchés pour le développement des pratiques (notamment le double plan « 5 000 équipements » qui a permis à de nombreuses communes de multiplier la création de petites structures). D’autres chiffres rappellent l’importance du bloc communal dans le financement du sport, à travers la propriété (77 %) et la gestion (70 %) de la majeure partie du parc d’équipements sportifs, et à travers le soutien apporté aux clubs. Une récente estimation de l’Observatoire BPCE de l’économie du sport établissait que les communes financent le sport à hauteur de 8 milliards d’euros par an et les intercommunalités à 3,1 milliards d’euros (pour un financement global des collectivités territoriales de 12,5 Mds €, à comparer avec le financement total de l’État de 6,7 Mds €).
L’Île-Saint-Denis, à fond les JO
David Lazarus, président par intérim de l’ANS lors du forum (Marie-Amélie Le Fur, championne paralympique et présidente du Comité paralympique et sportif français, l’a depuis remplacé à ce poste), s’est réjoui que les moyens financiers de l’agence aient été maintenus pour 2025. Mais il a insisté sur la nécessité, pour les communes, de faire preuve d’inventivité pour financer ou rénover leurs équipements sportifs : 30 % du parc sportif actuel ayant été mis en service avant 1985 et n’ayant pas fait, depuis, l’objet d’une réhabilitation, d’après les données de l’AMF datant de 2020. Pour Noëlle Chenot, maire de Surzur (Morbihan), co-présidente de la commission sport de l’AMF, une des pistes à envisager est « la mutualisation des calendriers sportifs avec les équipements scolaires, car la pratique sportive post-olympique ne cesse de croître et nous aurons du mal à faire face à la demande », assure-t-elle. En effet, 1,5 million de Français supplémentaires ont demandé, à la rentrée de septembre, une licence sportive, mais les clubs n’ont pu suivre le mouvement. Pour le seul tennis de table, dans la foulée de la Lebrunmania, une hausse de 31 % des demandes de licences a été enregistrée. Mohamed Gnabaly, maire de L’Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), a profité à fond des jeux : « Je suis devenu du jour au lendemain le maire dont la ville a le plus haut taux d’équipements sportifs du département », sourit-il. La petite commune de 8 646 habitants a vu, entre autres, émerger une partie du village olympique sur son territoire : « Les jeux ont été une chance extraordinaire, jamais je n’aurais pu transformer la ville comme nous l’avons fait dans ce contexte. » « Reste désormais à les faire fonctionner », poursuit-il. Et le recrutement des agents devient désormais un nouveau défi à relever.
Le label Terre de Jeux 2024, créé par le Comité olympique des Jeux olympiques et paralympiques a été une véritable réussite.
Hausse des licenciés, baisse des financements ?
Pour Noëlle Chenot, toutes les communes ne peuvent afficher une telle satisfaction : « Beaucoup d’entre elles vont avoir du mal à garder leurs équipements ouverts et satisfaire l’ensemble des demandes », assure-t-elle. David Lazarus confirme : « Depuis la rentrée de septembre, dans de nombreuses communes, s’élève à peu près la même musique : les demandes de licences augmentent de 20 à 30 %, mais les maires ne peuvent y faire face. »
Le maire de Chambly voit cependant le verre à moitié plein lorsqu’il regarde le budget de l’ANS : « Nous nous en sortons plutôt bien là où, plus globalement, les crédits du sport sont en baisse. On devrait pouvoir faire face cette année à l’ensemble de la seconde phase du plan « 5 000 équipements », qui vise à réaliser des équipements structurants et de proximité. » Frédéric Sanaur, directeur de l’ANS, se félicite en effet de cette stabilisation budgétaire, arrachée de haute lutte, « autour de 400 millions d’euros, à comparer avec les 270 millions à son lancement il y a cinq ans ». Une agence confortée dans son opérativité même par Noëlle Chenot : « La simplicité administrative des dossiers de l’ANS a permis aux petites communes de répondre sans trop de mal aux demandes de subventions. Si le plan “5 000 équipements” est une réussite, il le doit entre autres à cet accès facile à la rédaction des demandes. »
Une gouvernance au plus près des territoires
En sa qualité de présidente de la Conférence des financeurs du sport de Bretagne, instance visant à améliorer une nouvelle gouvernance du sport et du financement des projets, Noëlle Chenot a menacé de jeter l’éponge et le préfet n’est pas resté insensible à ce coup de semonce : « Dans la continuité d’autres ressentis d’autres présidents de conférence des financeurs, j’ai simplement relayé le fait que nous n’étions pas seulement là pour faire nombre et ne donner finalement que des avis consultatifs au préfet qui avait le dernier mot sur le choix des projets. » Il est vrai que ce dernier avait envisagé dans un premier temps, d’après la maire de Surzur, de consacrer l’intégralité de l’enveloppe financière disponible à la seule construction d’une piscine : « J’ai quand même trouvé ça plutôt surréaliste. » Désormais, « la conférence des financeurs propose une répartition financière et le préfet ne fait que valider ce que nous proposons. De plus, nous avons départementalisé les enveloppes, chaque département a ainsi pu cibler ses besoins », conclut-elle.
Des investissements réinterrogés
Le volontarisme des maires risque cependant de se heurter à cette nouvelle donne financière où le sport, comme la culture, risque d’être des variables d’ajustement. « Il y a des dépenses sociales obligatoires, des investissements incontournables. Donc, comme dans le cadre d’une bonne gestion des deniers familiaux, le maire va réduire les dépenses jugées moins nécessaires », explique Alice Morel, maire de Bellefosse (175 hab., Bas-Rhin). Chaumont (21 000 hab., Haute-Marne) dispose, du fait de sa centralité, d’équipements sportifs équivalents à ceux « d’une ville de 70 000 habitants », assure sa maire, Christine Guillemy. « Mais pas mal d’entre eux sont en fin de vie, énergivores. Nous avons donc fait voter en 2023 un plan d’investissements étalé sur dix ans de 25 millions d’euros. Or, lors du vote, nous avions misé sur un taux de subventionnement à hauteur de 60 % par les autres partenaires. Les contraintes budgétaires que ces dernières vont subir vont certainement nous obliger à réviser notre copie », poursuit-elle. Bref, de dix ans, le plan risque de durer un peu plus que prévu… « Mais je souhaite que le sport reste une priorité. Socialement, sanitairement, c’est un évident vecteur de cohésion », conclut-elle. David Lazarus assure qu’il faut peut-être réfléchir à élargir la base des financeurs du mouvement sportif. « Nous souhaitons que la taxe sur les paris sportifs en ligne, aujourd’hui plafonnée, finance un peu plus le sport », explique-t-il. « Nous devons obtenir notre 1 % pour le sport dans le budget national comme la culture », revendique Patrick Apperé, président de l’Association nationale des élus du sport (ANDES).
Le volontarisme des maires risque cependant de se heurter à cette nouvelle donne financière où le sport, comme la culture, risque d’être des variables d’ajustement.
Le sport et les nouveaux défis transitionnels
Il faut donc trouver des solutions et les maires n’en manquent généralement pas. La piste des mutualisations d’équipements est explorée, « et ce, d’autant plus que le zéro artificialisation nette [ZAN] limite la possibilité de construire », assure David Lazarus. On pense aux lycées, aux collèges, mais les accords ne sont pas simples à trouver. Chaumont a trouvé la parade en investissant dans la construction d’un gymnase… installé en dehors de l’établissement et donc disponible à un public non scolaire. Dans l’attente, il va falloir se préparer à un nouvel évènement qui se profile : les jeux d’hiver de 2030 ! Avec les contraintes environnementales que l’on imagine : « Il faut les concevoir comme des jeux de la nature, explique Frédéric Sanaur, pour montrer une nouvelle fois les capacités d’adaptation de notre nation à la transition environnementale, poursuit-il. » Grégory Doucet, maire de Lyon, est plus cash sur le sujet : « Peut-être s’agira-t-il d’un des derniers évènements que l’on sera amené à organiser à l’échelle mondiale, prédit-il ; en hiver comme en été, comment envisager sérieusement de s’adapter à des dérèglements climatiques qui ne cessent de s’accentuer ? ». Lui qui mène une politique ambitieuse en matière inclusive dans le sport, notamment sur les violences sexistes dans le sport, assure que ce monde-là doit s’adapter à une époque traversée de nouvelles revendications sociétales. Le maire de Lyon conditionne désormais les subventions aux clubs et associations à leur degré d’avancement en matière d’égalité femmes-hommes, d’inclusion, de transition écologique : « Et très sincèrement, les clubs jouent le jeu, il n’y a pas de résistance. » Dans la continuité, finalement, du bel été olympique français…
- Voir « Jeux paralympiques et olympiques de Paris 2024 : gagner pour quoi faire ? », Horizons publics janv.-févr. 2024, no 37.