Les EPL pourront-elles continuer à jouer leur rôle de leviers de la transformation écologique ?

Le 17 janvier 2025

La Fédération des élus des entreprises publiques locales (FedEpl) organise chaque année son congrès. C’est à Nantes que les élus et les dirigeants des sociétés d’économie mixte (SEM), des sociétés publiques locales (SPL) et des sociétés d’économie mixte à opération unique (SEMOP) se sont retrouvés (8-10 octobre 2024). L’occasion, entre autres, de s’interroger sur les leviers locaux mobilisables pour aller dans le sens d’une transformation et d’une planification écologiques. Les entreprises publiques locales (EPL) disposent d’un savoir-faire qui peut s’avérer précieux pour adapter notre cadre de vie aux nouvelles exigences imposées par le réchauffement climatique. Mais l’état des finances locales pourrait porter un coup d’arrêt à cette ambition.

C’est le propre d’un congrès. Il doit répondre à plusieurs attentes. Celle d’abord d’un cadre, d’une urgence, d’une modalité pour agir. Puis, celle de retours d’expériences, permettant de confirmer que la philosophie adoptée engendre sur le terrain des effets bénéfiques. Pour ce faire, La FedEpl a sollicité le point de vue du philosophe Gaspard Koenig, dans le cadre d’une première plénière à visée prospective. La lutte contre le réchauffement climatique impose de hisser le niveau d’acceptabilité sociale. Pour le philosophe, « permettre aux collectivités locales et à leurs bras armés comme les EPL de disposer d’une plus grande autonomie favorise de fait l’efficience de l’action publique, elle-même mieux perçue par les citoyens, ce qui a pour conséquence de les réconcilier avec la politique ». Pour lui, plus le pouvoir est ramené à l’échelle micro-locale, mieux il est accepté par des citoyens à qui l’on peut montrer concrètement à quoi servent leurs impôts. Il faut tenter en tout cas le coup et ne pas faire croire aux habitants qu’ils peuvent avoir une influence sur leur cadre de vie alors que le bras public tendu manque de répondant musculaire. L’organisation centralisée de la France est aujourd’hui en crise. Pour autant, l’État continue à croire qu’il est ce qu’il n’est plus, contrariant plus les désirs d’expérimentations locales que les encourageant : « Or, ajoute Gaspard Koening, l’Histoire est pleine d’exemples où les territoires se débrouillent seuls, sans l’intervention d’une quelconque autorité supérieure. »

Des intérêts particuliers à l’affirmation de l’intérêt général

À ses yeux, « le principe de subsidiarité ascendante devrait présider à l’organisation du pouvoir ». Il s’inscrit ainsi dans les pas d’Alexis de Tocqueville, se disant favorable à « l’organisation d’une démocratie locale où les intérêts particuliers initiaux finissent par s’étendre par le jeu des délibérations pour atteindre le statut de l’intérêt général ». La question environnementale entre parfaitement en résonance avec ce principe du bottom up : l’autonomie locale permet ainsi d’activer la mobilisation citoyenne. Pour Grégory Berkovicz, avocat associé et président du cabinet d’avocats GB2A, auteur du livre Pour une France fédérale1 publié en 2022, « le principe de subsidiarité ne peut être en effet qu’ascendant ». Il considère même qu’une telle mise en place aurait pour effet positif de simplifier le fonctionnement administratif puisqu’elle « ferait disparaître les doublons actuels qui prévalent dans notre organisation actuelle ». Christophe Jerretie, président du comité d’orientation des finances locales de La Banque Postale, ancien maire de Naves et ancien député de Corrèze, apporte cependant une nuance, considérant qu’il ne sera pas simple de sortir de la logique de déconcentration de l’État et des liens qui sont tissés avec les collectivités territoriales.

La lutte contre le réchauffement climatique impose de hisser le niveau d’acceptabilité sociale.

Services publics jusqu’au dernier kilomètre

Hélène Guillet, présidente du Syndicat national des directeurs généraux de collectivités territoriales (SNDGCT), a fustigé les délimitations administratives lacunaires. Elle estime que « les politiques publiques doivent être en mesure de s’adapter aux bassins de vie et de proposer des services jusqu’au dernier kilomètre ». Cette volonté se heurte au fait que les maires ne disposent plus du levier fiscal, ce qui entraîne une « perte de responsabilité et donc d’autonomie » pour Philippe Laurent, président de la FedEpl et maire de Sceaux (Hauts-de-Seine). C’est en cela que l’économie mixte locale offre des solutions pratiques aux élus, confortant leurs marges de manœuvre : « Elles optimisent la réalisation des projets, dans un contexte où il est nécessaire d’agir vite », prolonge Christophe Jerretie.

Une réponse structurelle à l’urgence climatique

La plénière d’ouverture du congrès était de son côté plus axée sur l’urgence climatique et la pertinence des réponses territoriales. François Gemenne, expert de la gouvernance du climat et des migrations, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège, a insisté sur « l’aspect structurel de l’urgence climatique et moins son caractère exceptionnel ». Alors que l’Observatoire européen Copernicus a confirmé la mauvaise nouvelle selon laquelle l’année 2024 avait été l’année la plus chaude jamais enregistrée, l’expert rappelle que « le changement climatique relève plus d’un problème de stock et non un problème de flux. Ce qui implique qu’il ne s’agit pas d’y apporter des réponses temporaires, mais d’œuvrer dans le sens d’une transformation structurelle de l’économie et de la société ». Point de vue partagé par Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente de Nantes métropole, parlant de la « bifurcation écologique » qu’elle a décidé d’engager à l’échelle de son territoire : « La question qui se pose n’est pas anecdotique puisqu’il s’agit de l’habitabilité de notre environnement, rien que ça, explique Johanna Rolland. L’avenir se prépare donc à travers des projets qui rendent cette bifurcation sociale, écologique et heureuse pour les habitants. »

La bifurcation écologique de Nantes face au mur de la réalité financière

Michel Ménard, président du conseil départemental de Loire-Atlantique, mais aussi de la SEM et SPL Loire-Atlantique développement, a mis en avant la sobriété foncière, énergétique et hydrique qui guide l’action départementale, notamment dans l’aménagement des réseaux routiers ou encore dans les subventions accordées pour densifier les centres-bourgs dans les villes moyennes et les secteurs ruraux. C’est cette dynamique territoriale qu’entend soutenir Gisèle Rossat-Mignod, directrice du réseau de la Banque des territoires, à travers un plan de 100 milliards d’euros mobilisés sur cinq ans. Il faudra bien trouver des solutions financières pour poursuivre les projets engagés, et la présidente de France urbaine qu’est Johanna Rolland a rappelé à quel point le risque était élevé de prendre du retard au plus mauvais : « Avec une baisse de 2 % sur la dotation globale de fonctionnement, l’amputation du fonds vert, les investissements vont, de fait, reculer et nous prendrons encore du retard sur la bifurcation écologique. » « Les projets les plus volontaristes risquent d’être amputés, notamment en matière environnementale », renchérit Michel Ménard.

L’initiative locale, pour évaluer la planification écologique

Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique auprès du Premier ministre, a présenté le dispositif territorial visant à faire baisser les émissions de gaz à effet de serre en France : « Cette répartition de l’effort suppose une planification. La moitié du chemin se fera grâce aux entreprises, un quart sera le fait des collectivités territoriales, le dernier quart relevant de la mobilisation citoyenne. » Des conférences des parties (COP) régionales ont déjà eu lieu pour aller dans le sens de cette territorialisation. François Gemenne, Johanna Rolland et Michel Ménard approuvent le principe d’une « trajectoire planifiée », avec des bilans rapprochés permettant aux citoyens de mesurer les résultats tangibles. Cependant, ils craignent que les finances locales ne permettent pas de s’appuyer sur le seul baromètre des COP régionales. La pertinence de la planification passe par l’adaptation aux réalités du territoire, dans un juste équilibre à trouver entre l’urbain, le périurbain et le rural : « Le local est le meilleur échelon pour donner corps à la transformation écologique, et les EPL apparaissent comme des leviers indispensables pour agir et montrer les bénéfices aux habitants », a plaidé François Gemenne. Michel Ménard, en sa qualité de président de la SEM et de la SPL Loire-Atlantique développement, a rappelé que les deux structures « disposaient d’une direction de la transition écologique avec la présence d’écologues à disposition des collectivités pour faire diagnostiquer leurs projets ».

Philippe Laurent, président de la FedEpl, s’inquiète des restrictions budgétaires à venir, craignant qu’elles aient des conséquences sur la vitalité des projets portés par les EPL.

Permettre aux EPL de s’inscrire sur le temps long

Johanna Rolland entend elle aussi s’appuyer sur les EPL nantaises – parmi lesquelles la société d’économie mixte des transports en commun de l’agglomération nantaise (Semitan), Loire Océan Développement ou la Société d’aménagement de la métropole ouest-atlantique (Samoa) qu’elle préside – pour renforcer le travail engagé. François Gemenne a invité les élus à éviter de faire de la transformation écologique « un débat binaire entre ceux qui y croient et les autres ». Philippe Laurent, président de la FedEpl, s’inquiète des restrictions budgétaires à venir, craignant qu’elles aient des conséquences sur la vitalité des projets portés par les EPL. Il souhaite que « l’on ne change pas de règles du jeu au milieu de la partie, car les EPL n’ont pas de baguette magique à leur disposition, elles doivent agir à partir d’un socle stable, car les projets qu’elles portent ne sont ni de droite ni de gauche, ils s’inscrivent dans la durée ».

EplScope opus 2024

Comme chaque année, la FedEpl profite de son congrès pour publier son EplScope. Véritable baromètre des EPL, il permet de mesurer l’état d’avancement de l’économie mixte locale en France. Cette dernière « atteint un nouveau point culminant. 1 442 entreprises publiques locales sont recensées au 1er juin 2024, générant un chiffre d’affaires estimé à 19,36 milliards d’euros sur le dernier exercice », peut-on directement lire sur le site de la FedEpl. Dans le détail, on compte « 542 SPL, 50 SEMOP et 850 SEM », sans oublier « les 554 filiales, et les 860 sociétés dans lesquelles les SEM détiennent des participations minoritaires pour appréhender l’économie mixte dans sa complétude et sa complexité ». Les collectivités locales s’appuient donc sur un ensemble de 2 850 entreprises « agissant, dans le souci de leur responsabilité sociale et environnementale, au cœur du développement des territoires et dans un objectif de satisfaction de d’intérêt général ».

Les dirigeants sont aussi sondés sur leur état d’esprit. 52 % d’entre eux s’attendent à une hausse de leur chiffre d’affaires en 2024. Un chiffre optimiste à contre-courant de la morosité ambiante liée à la restriction annoncée des ressources financières pour les collectivités.

  1. Berkovicz G., Pour une France fédérale. Plaidoyer pour une VIe République des territoires, 2022, L’Archipel.
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