Bertrand Folléa : « La démarche paysagère est la mieux à même de faciliter la transition vers l’après-pétrole »

Bertrand Folléa
Pour Bertrand Folléa, le paysage est au carrefour de toutes les politiques publiques : développement durable, économique, social.
©DR
Le 17 février 2021

Parent pauvre de l’aménagement du territoire, le paysage dispose pourtant d’atouts non-négligeables pour entrer dans une dynamique résiliente. Paysagiste et urbaniste, Bertrand Folléa invite les élus à prendre le taureau par les cornes.

 

Bertrand Folléa est l’un des deux créateurs de l’agence de paysagistes-urbanistes Folléa-Gautier, créée en 1991. Il vient de publier aux éditions Parenthèses, « L’archipel des métamorphoses, la transition par le paysage ». Il a reçu en 2016 le Grand prix national du paysage pour son traitement des lisières urbaines à La Réunion.

En quoi la démarche paysagère peut-elle favoriser la transition écologique à laquelle nous ne pourrons pas échapper pour maintenir un niveau acceptable de vie sur cette planète ?

Cette démarche est pour moi centrale mais il est nécessaire de regarder dans le rétroviseur de l’histoire pour mieux la comprendre. Il y une centaine d’années, le charbon puis le pétrole ont mis à disposition une énergie extraordinaire pour développer nos sociétés. Aujourd’hui, il faut savoir que nous consommons quotidiennement 100 millions de barils de pétrole. Montés les uns sur les autres, ces barils atteignent 76 000 kilomètres de hauteur ! Cette surabondance a été un choix de société. Plus de liberté avec la voiture, plus de confort avec le frigo, le chauffage, l’électricité, etc. Les publicités de l’époque le démontrent de façon éloquente. Cette énergie a transformé nos mentalités, avec des effets fonctionnels sur notre cadre de vie. L’étalement urbain, que l’on pointe du doigt aujourd’hui, était au contraire vécu comme une avancée sociale à l’époque, rendant possible la dissociation physique de son lieu de travail et de son habitation.

Le pétrole est à la base de tout ce qui provoque aujourd’hui notre prise de conscience : le tourisme de masse, la surconsommation des espaces, l’agro-industrie, etc. Il a même donné lieu à des guerres pour garder la maîtrise de ce bien si précieux à l’organisation de nos sociétés modernes.

Repenser le paysage, c’est donc être de plain-pied dans l’après-pétrole ?

La transition écologique, qui nous ouvre vers l’après-pétrole, suppose de changer nos modes de vie. C’est un sacré défi ! Et c’est là que la démarche paysagère s’avère précieuse. Et ce pour plusieurs raisons : à la place des discours anxiogènes, culpabilisants et paralysants, elle ouvre un imaginaire et propose des perspectives concrètes pour des paysages de la transition désirables ; à l’opposé des démarches aménagistes du siècle dernier, elle mobilise et implique les populations et leurs perceptions sensibles. Et elle se fonde sur le vivant, les ressources naturelles et humaines en place pour un développement local et sobre. Autres points sur lesquels je souhaite insister : à l’inverse des approches sectorielles et segmentées, la démarche paysagère rassemble les acteurs et transcende les intérêts particuliers au bénéfice du bien commun qu’est le paysage à façonner. Et elle est opératoire à toutes les échelles, depuis l’échelle stratégique et territoriale jusqu’à l’échelle opérationnelle de détail ; contrairement aux actions décoratives de greenwashing, elle fait évoluer les modes de vie par le cadre de vie, c’est une approche gagnant-gagnant.

La démarche paysagère ouvre un imaginaire et propose des perspectives concrètes pour des paysages de la transition désirables.

Enfin, à la différence des approches protectionnistes, elle envisage le paysage comme un patrimoine vivant et évolutif, à façonner et faire évoluer pour des milieux de vie plus sobres, décarbonés et résilients. Pour toutes ces raisons, il y a un rendez-vous à ne pas rater entre la transition et le paysage. J’exerce ce métier depuis trente ans. L’affirmation de la qualité et du sens des espaces dans lesquels nous vivons relève toujours d’un travail de militant. C’est d’ailleurs la raison qui m’a poussé à écrire mon dernier livre (Ndlr, « L’archipel des métamorphoses, la transition par le paysage »). Quand on parle de paysage aux élus ou aux décideurs, ils ne savent pas très bien de quoi il retourne. C’est dommage parce que cette notion devrait être au cœur des opérations d’aménagement du territoire.

Comment définiriez-vous ce travail de militant ?

Le paysage reste aujourd’hui à la marge. Une marge qui peut se retrouver au centre mais c’est plutôt rare. A ce jour, l’ignorance et la méconnaissance des enjeux du paysage dominent dans cette perception du paysage. Il y a trois manières de regarder l’intervention du paysagiste-urbaniste. La première consiste à croire que le paysage se construit fortuitement ; donc, on n’y pense pas. La deuxième relève d’un positionnement réactif ; on ne touche pas au paysage. La troisième consiste enfin à faire la confusion entre paysage et paysagement, le fait de « fleurir » en fin de parcours un projet. Or, pour être efficace, la science paysagère doit être intégrée très en amont des projets.

À ce jour, dans les documents d’urbanisme comme dans les projets d’aménagement, le paysage est ramené à la portion congrue. Il faut donc se battre pour lui faire plus de place, comme le ferait un militant.

De quelle manière essayez-vous de convaincre vos interlocuteurs ? 

Ils doivent prendre conscience que le paysage est au carrefour de toutes les politiques publiques : développement durable, économique, social… L’économie parce qu’elle ne peut décoller sans un territoire attractif, où le cadre de vie est primordial. La dimension sociale parce que le paysage favorise le bien-être de l’ensemble des habitants. L’objectif d’une neutralité carbone à 2050 implique que nos paysages et nos modes de vie évoluent au même rythme. À nous de nous projeter dans un paysage désiré, l’opinion publique est prête à se mobiliser pour atteindre cet objectif.

Beaucoup d’élus se mobilisent, avec des citoyens et le réseau associatif, pour planter des arbres. Est-ce une démarche à encourager ?

On peut regarder le verre de deux manières. À moitié vide parce que les arbres, que l’on plante massivement, ne doivent pas cacher la forêt de notre responsabilité individuelle ainsi que la nécessité d’aller vigoureusement vers les énergies renouvelables afin d’entrer de plain-pied dans l’après-pétrole. À moitié plein parce que le climat d’une ville comme Lyon en 2050 ressemblera à celui de Madrid aujourd’hui et que les arbres, plantés à même la terre, atténueront clairement les épisodes caniculaires.

Le message scientifique n’est-il pas trop anxiogène ? Si tout est foutu, à quoi sert-il de se mobiliser…

Les messages d’alerte sont passés, il faut désormais se mettre en marche, agir. C’est que je dis à mes étudiants. L’histoire de l’humanité montre à quel point elle a été en mesure de s’adapter à toutes les menaces. Nous devons créer des territoires plus agréables à vivre, nous savons comment atteindre cet objectif. L’après-pétrole est déjà là. Le pétrole a créé l’étalement urbain, la pollution automobile, etc. Il faut aujourd’hui passer à autre chose et, bonne nouvelle, il s’agit d’un scénario que nous savons mettre en œuvre.

Malgré la crise, la filière « paysage » se prépare à des jours meilleurs

Le paysage est certes une notion très vague. Mais elle a « sa » filière. En début d’année, l’Union nationale des entreprises du paysage (Unep) a dévoilé les derniers résultats de ladite filière, qui regroupe à la fois commerçants et artisans intervenant auprès des particuliers mais aussi des entreprises œuvrant dans le secteur public. Grâce à un rebond de 3 % de l’activité enregistrée au second semestre, le bilan 2020 de la filière est moins morose que ce qu’il aurait pu être, la baisse du chiffre d’affaires se stabilisant à -1,5 %. Un coup d’arrêt clairement identifié par l’Unep, après « une dynamique haussière depuis plusieurs années (+3,5 % en 2019 et +15 % sur la période 2017 et 2018) avec laquelle les entreprises du paysage espèrent renouer rapidement », découvre-t-on dans un communiqué. Ce sont les particuliers qui ont surtout sollicité les entreprises, notamment au cours du second semestre 2020, avec une croissance record de plus de 6 % sur le semestre. « La vivacité du marché des particuliers traduit une attente renforcée pour le vert et la nature : à la sortie du confinement, la demande d’aménagements des jardins privés a été très forte », explique ainsi Laurent Bizot, président de l’Unep.

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