Revue
DossierDe l’anthropocène à la redirection écologique en passant par l’éducation et la recherche

Entretien avec Alexandre Monnin, directeur du MSc « Stratégie & Design pour l'Anthropocène », qui vient de publier, avec Emmanuel Bonnet et Diego Landivar, Héritage et fermeture. L’écologie du démantèlement (juin 2021, Divergences).
L’acceptation de l’hypothèse anthropocène est en train de bouleverser le champ scientifique. On sait que le mot est au départ censé désigner une nouvelle époque géologique qui succède à l’holocène, laquelle aurait été causée par les activités humaines. Mais, avant même que cette hypothèse géologique soit validée, le terme s’est répandu en particulier dans les sciences humaines et sociales. Comment te positionnes-tu par rapport à cette émergence ? Qu’entends-tu précisément par « anthropocène » et comment ce concept te permet-il d’outiller tes travaux et ta pensée ?
Le mot « anthropocène » est au centre de bien des discussions depuis une vingtaine d'années. En France, la COP 21 a largement permis de le populariser même si la thématique de l'effondrement lui a rapidement emboîté le pas (voire lui a damé le pion). Son usage initial par certains scientifiques a fait l'objet de nombreuses critiques. Le mot est apparu dépolitisant pour plusieurs raisons : la référence à l'espèce humaine dans son ensemble, l'anthropos, semble en effet niveler et donc masquer les responsabilités historiques ; l'absence de mention au capitalisme, aux rapports de genres ou à d'autres causes d'inégalités, paraît également rédhibitoire. Pourtant, force est de constater qu'aucune alternative ne s'est vraiment imposée – et il s'en compte par dizaines[1]. La plus connue est certes le capitalocène, mais le risque existe dans ce cas précis de rabattre la période dans laquelle nous entrons sous des concepts existants, en dépit de travaux par ailleurs intéressants.
Je dirais donc que l'un des intérêts de ce concept est justement de susciter un grand nombre de réflexions, y compris sur ses limites. Par ailleurs, l'autre grand mérite de ce concept est de nous obliger à rompre avec l'imaginaire de la crise.
Alors que les crises sont tout de même censées être ponctuelles, le régime de la crise a été imposé de manière permanente. Ce qui pose évidemment question. Or, entrer dans une nouvelle époque géologique (bien que l'anthropocène ne se réduise pas à cette dimension) ouvre sur un horizon tout autre. Alors que nous distinguions les temporalités humaines et géologiques, voilà qu’elles se synchronisent et que nous ne pouvons plus nous abriter derrière une nature qui serait éternelle. Alors que nous pensions que nos actions n’avaient d’incidence que politiques, voilà qu’elles sont aussi susceptibles de remettre en cause la possibilité de la vie humaine sur terre. La crise est censée ouvrir sur une « sortie ». Y compris en régime de crises permanent : les solutions doivent alors se multiplier. Avec l'anthropocène, il n'est plus question de solutions, mais de réponses, et la différence entre les deux n'est pas mince. Autrement dit, l'anthropocène signe la crise de la crise – mais aussi la crise des solutions et de leur corollaire, l'innovation permanente !
Pour ma part, j'ai rencontré ce concept à la croisée du numérique et des sections de technicien supérieur (STS) : j'ai réalisé une thèse de philosophie sur l'architecture du Web qui m'a permis de me familiariser très tôt avec les travaux consacrés, en SHS, à l'anthropocène. J'ai travaillé comme chercheur chez Inria de 2014 à 2017 et, progressivement, ma réflexion m'a amené à questionner l'avenir du numérique et, corrélativement et de façon réflexive, les conditions de travail dans un organisme de recherche incarnant l'excellence.
La perspective que tu adoptes selon laquelle l’anthropocène signe la crise de la crise – et donc aussi de tous les discours dominants qui sous prétexte de répondre à cette succession de crises disent tout et leur contraire, par exemple un jour la crise justifie l’orthodoxie financière et le tout marché, un autre jour le soutien massif et sans condition à l’économie – me paraît intéressant comme ta critique du solutionnisme et l’innovation permanente. Mais n’est-ce pas aussi l’idéologie du développement durable et ses limites que tu en viens à pointer du doigt ? Tu préfères parler de redirection écologique, je crois, c’est en tout cas ce qui ressort de la lecture de l’essai stimulant Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, co-écrit avec Emmanuel Bonnet et Diego Landivar et publié aux Editions Divergences.
Oui. Il me semble que le développement durable, quand il n'est pas dévoyé au titre de la croissance verte et autres oxymores du même genre, prétend offrir une solution pour construire un avenir viable. Le problème est que depuis 30 ans, précisément, cette solution peine (c'est le moins que l'on puisse dire) à s'imposer. Comme si la solution miracle (le respect des limites planétaires pour le dire dans les termes contemporains) ne se préoccupait pas de tous les facteurs extérieurs qui empêchent son adoption. Or, le sujet majeur de l'écologie aujourd'hui, ce sont justement ces facteurs ! Il ne s'agit pas de les cantonner à la politique, à la société ou à d'autres abstractions de ce type.
La redirection écologique place au contraire la question des attachements, voulue ou non, aux infrastructures, aux organisations, au pétrole, à la voiture, au salariat, etc., au cœur de ses préoccupations.
Tous ces éléments ne sont donc pas considérés comme « extérieurs » ou hors du champ des préoccupations de nos étudiantes et de nos étudiants. Au contraire. Bruno Latour explique que l'environnement est un espace que nous avons inventé pour absorber nos « externalité » sans broncher. Avec la notion d'anthropocène l’environnement désormais réagit. Il n'est plus ce cadre immuable bien pratique pour accueillir tout ce que le développement moderne, y compris durable, rejette à l'extérieur afin de pouvoir se présenter comme une solution. La question que je pose est alors la suivante : une potion magique que personne ne prend est-elle encore une potion magique ?
On peut effectivement se poser la question. D’autant plus si l’on considère que ce n’est pas seulement l’absence de magie d’une potion que l’on dénonce, mais l’absence de potion tout court, autrement dit de solution prête à l’emploi qui permettrait de nous sauver sans plus d’effort que celui de consommer un remède disponible dans les rayons des supermarchés, pardon, dans les besaces des décideurs et experts. Cette absence de solution magique implique en revanche d’investir dans un travail énorme de réorientation politique en même temps que de recherche et d’éducation pour se doter de nouvelles compétences habitantes. Tu diriges un master consacré au « design anthropocène » à l’ESC de Clermont. Partages-tu l’idée selon laquelle l’éducation est une des clés du basculement dans l’anthropocène et de la redirection écologique. Comment évalues-tu aujourd’hui la manière dont ces sujets sont inscrits dans les programmes et transmis, en particulier dans l’enseignement supérieur ?
Force est de constater que ces sujets ne sont pas encore assez enseignés. La plupart des programmes nourrissent des modèles qui sont aujourd'hui caducs. Qu'il s'agisse de disciplines que Herbet A. Simon appelait les disciplines de l'artificiel, comme l'ingénierie, le design ou le management, qui contribuent de manière assez directe aux problèmes actuels, ou de disciplines plus académiques qui n'ont pas toujours pris la mesure des changements de perspectives qui s'imposent à nous (les humanités notamment, mais ce sont loin d'être les seules). Évidemment, ne parlons pas de l'économie où ces questions n'ont quasiment pas droit de cité ou alors d'une manière compatible avec les paradigmes dominants qui sont plus que problématiques comme le montre les travaux de Steve Keen.
J'établirais une comparaison avec le constat dressé par le politiste Stefan Aykut dans son livre Climatiser le monde. Il constate notamment un divorce très net entre les institutions chargées d'orienter les politiques économiques sur le plan international, le FMI, la Banque mondiale, etc., et les organismes chargés des questions environnementales. Pour le dire simplement, les options stratégiques étant fixées par les premières, ce cadrage ne laisse aux secondes comme seul loisir que de s'occuper d'enjeux annexes, autrement dit des externalités du système. Ce cadrage se retrouve à d'autres échelles : au niveau des entreprises, la responsabilité sociale et environnementale atteste de ce divorce fréquent entre la stratégie et les mesures prises pour « gérer » de simples « externalités » sans cibler leurs causes réelles. La stratégie demeure très largement du côté du « business as usual » alors que les mesures d'atténuation sont censées répondre aux conséquences des stratégies mises en place – dans le passé comme au présent. L'angle retenu favorise également le solutionnisme technologique, l'innovation ayant pour vocation de rendre crédibles des outils compatibles avec les trajectoires économiques actuelles sans remise en cause profonde : découplage, compensation, etc.
Au-delà de la nécessité de diffuser plus largement ces contenus, œuvrer au changement de paradigme que tu décris – en particulier avec la rentrée dans le rang de l’économie – n’oblige-t-il pas aussi à revoir l’organisation de l’enseignement et les choix pédagogiques qui ont cours actuellement en France ?
Bien sûr, ce sont avant tout les finalités de l'éducation, mais aussi de la recherche qui sont à revoir. Il faut surtout éviter de traiter l'anthropocène comme un simple thème, comme le dit très justement Joëlle Le Marec. Or, les questions dont nous parlons, pour être prises au sérieux, exigent un minimum de réflexivité de la part des enseignantes et des enseignants, des chercheuses et des chercheurs, mais aussi des institutions elles-mêmes. Sans cela, on aboutit au mieux à une forme d'alarmisme totalement décorrélé de l'action, au pire à du pur et simple greenwashing. Cela peut donner une bonne conscience individuelle ou institutionnelle, mais même cela ne durera qu'un temps. Et le réveil risque d'être rapide et difficile. Je constate notamment, car ce sont des questions que je connais bien, que l'organisation actuelle de la recherche, son mode de financement, ses finalités affichées de soutien à l'innovation, etc., rendent très difficiles de travailler sérieusement à des alternatives. En particulier, nous parlons dans le livre que tu as mentionné, Héritage et Fermeture, d'un « art de la fermeture ». Or, ces savoirs de la fermeture (au plan juridique, ingénieriale, industriel, etc.) passent largement sous les radars alors que l'on insiste par ailleurs de plus en plus sur l'importance de la maintenance. Il convient donc d'y remédier, et la recherche comme l'enseignement ont leur part à jouer.
Tu attribues à l’anthropocène une dimension critique, en particulier vis-à-vis de toutes les institutions qui ont porté, voire se sont fait les propagandistes du projet moderne et de l’idéologie qui l’accompagne ces dernières années – créer de la valeur à tout prix et par tous les moyens pour les actionnaires, au détriment des autres parties prenantes et évidemment de la planète vue comme une simple ressource privatisable –. Il me semble que les écoles de commerce et de management constituent de ce point de vue un parangon de cette modernité malade. N’est-ce pas là que le management au service de l’actionnaire, le culte de l’innovation, la quête de l’optimisation financière, le règne de la privatisation trouvent leurs plus zélés chantres ? Comment concilies-tu tes idées critiques avec la direction de ce master ?
C'est une très bonne question. Les écoles de commerce ou de management sont légitimement questionnées par l'anthropocène du fait des modèles managériaux qu'elles contribuent à propager. Au même titre que l'ingénierie ou le design que je mentionnais, le management a participé à l'advenue de l'anthropocène. D'autres que moi, y compris en sciences de gestion, en font d'ailleurs le constat au sein de ces écoles. Dans une perspective de redirection, ces lieux ont vocation à servir de terrains d'enquête pour comprendre les rouages du management et opérer la redirection vers d'autres modèles. Dans un monde où les organisations sont devenues centrales, le « monde organisé » dont parle mon collègue Emmanuel Bonnet ou « l'entreprise-monde » d'Yves-Marie Abraham, on ne peut simplement ignorer cette dimension devenue ubiquitaire.
Les écoles de commerce ou de management sont légitimement questionnées par l'anthropocène du fait des modèles managériaux qu'elles contribuent à propager. Au même titre que l'ingénierie ou le design que je mentionnais, le management a participé à l'advenue de l'anthropocène.
Par ailleurs, au-delà des clichés, ces écoles rendent à mes yeux un service spécifique. Je pense notamment au fait de poser des ponts avec le milieu de l'entreprise en passant au-dessus des recruteurs et en permettant aux étudiantes et aux étudiants racisé·es de mettre un pied dans le monde professionnel très tôt. Évidemment, pour des critiques du salariat ou de l’entreprise, ce n’est pas audible. Mais dans un monde où la dépendance aux organisations est attestée, passer outre les effets du racisme systémique constitue un enjeu vital. Je ne nie pas qu’il pourrait être traité autrement, mais c'est un point à ne pas négliger pour comprendre le rôle réellement joué par certaines de ces écoles. On peut évidemment déplorer que d'autres institutions ne le jouent pas, ou pas autant du moins, mais il faut au préalable prendre ce point en considération.
Cet enseignement te permet de fréquenter les jeunes à qui nous allons confier une planète en piètre état. On suppose souvent que le facteur générationnel va jouer un rôle dans l’accélération de la bifurcation écologique et que les jeunes ne veulent plus du monde et des valeurs de leurs parents. Peut-on dire qu’il rejette cet héritage d’une économie zombie et de communs négatifs – pour reprendre d’autres concepts que tu convoques dans ton essai déjà cité – que nous leur léguons ?
J'aurais de la peine à parler pour (c'est-à-dire à la place de) la jeune génération ! On voit évidemment des jeunes très engagés, pour autant, le danger est grand de surestimer leur rôle, quitte à les laisser seuls assumer un avenir pour le moins incertain. D'autant que les jeunes ont grandi dans un monde déjà numérisé, leurs attachements à ces technologies, en termes de sociabilité professionnelle, amoureuse ou autre, les met dans une situation paradoxale, dépendant de ce que la modernité, sous un certain angle, a produit de plus avancé techniquement et qui incarne de ce fait ce qu'il y aura potentiellement demain de plus obsolète. Ces communs négatifs sont aussi les leurs et, à ce titre, les générations qui ont connus une époque qui en était dépourvue doivent partager leur expérience, même si, évidemment, tout retour en arrière, pur et simple, est évidemment impossible.
Une polémique sur l’engagement des scientifiques mine le débat universitaire actuellement. Un scientifique ne saurait être militant au risque de perdre les qualités indispensables à la scientificité de son travail. Difficile pourtant quand on travaille sur l’anthropocène de rester « neutre ». Il me semble même que c’est un faux débat et une instrumentalisation de la recherche par le politique. Qu’en penses -tu ? Comment vois-tu le rôle et la responsabilité du chercheur par rapport à l’enjeu anthropocène ?
En effet, la polémique actuelle est davantage politique voire politicienne qu'autre chose. Bien des appels à l'objectivité que l'on entend actuellement ne respectent d'ailleurs pas les critères dont ils se réclament pourtant. Ces questions d'objectivités et la manière pour le moins cavalière dont Max Weber est par exemple convoqué dans ce débat frisent la tarte à la crème.
De fait la question de la responsabilité engage chercheuses et chercheurs à bien des égards. Je pense notamment à la façon dont les enjeux environnementaux semblent parfois remettre en cause la liberté des académiques. À l'instar de la polémique qui a suivi les propos de Léonore Moncond'huy, la maire de Poitiers, affirmant que « l'aérien ne doit plus faire partie des rêves d'enfants aujourd'hui », certain·es peuvent se sentir menacé dans l'exercice même de leur travail. Après tout, un grand nombre de recherches ne tient aucun compte des critères de viabilité, pas plus qu'elles n'interrogent leurs conséquences. De ce point de vue, plus que la liberté, règne aujourd'hui en maître une forme caractérisée d'irresponsabilité, signe de la prolétarisation avancée de la profession.
Ce défaut de responsabilité est d'ailleurs parfaitement compatible avec une défense de l'autonomie qui renvoie moins au fait de se fixer ses propres lois que de se recroqueviller sur la défense de marges de liberté réduites, au fil des années, à la portion congrue.
Or, ce ne sont pas les environnementalistes qui, tout au long des décennies passées, ont diminué les marges de manœuvre des chercheurs et des chercheuses ; ce sont les politiques qui se sont succédé, dont le financement par projet ou la diminution constante des postes ne sont que la résultante.
Celles et ceux qui se pensent autonomes se raccrochent en fait à la fiction d'une appartenance aux classes supérieures de la société. Ce qui est évidemment faux. Une fois déconstruite cette illusion de l'autonomie, les revendications liées à l'environnement peuvent tout à fait accompagner un mouvement de ressaisie des finalités de la recherche et de l'outil de travail des chercheurs·euses qui, avec l'accroissement de la part administrativo-managériale, leur échappe en grande partie, si ce n'est totalement. Les perspectives ouvertes par l'anthropocène n'affectent ainsi pas moins les entreprises que les institutions de l'enseignement et de la recherche.
Concrètement qu’est-ce que cela nous dit sur la manière de faire de la recherche aujourd’hui ? Vers quoi faut-il aller ? Avec qui et comment travailler ?
La manière de faire de la recherche doit aussi changer à son tour. De nombreux penseurs et penseuses autochtones, à l'instar de l'anthropologue Zoe Todd, ont déploré qu'il faille attendre une prise de parole de la part des scientifiques du système-Terre pour valider des alertes que des peuples et communautés autochtones avaient de longue date contribué à lancer.
En ce sens, les acteurs et les terrains enquêtés sont déjà en mouvement, et la question est de leur apporter une aide et un appui qui transcende les barrières entre chercheurs et non-chercheurs, académiques et non- académiques, enquêteurs et enquêtés. L’actuel règne administrativo-managérial articulé avec le diktat des politiques néolibérales érige des obstacles à ce libre (mais responsable) exercice de la recherche et rend très difficile, par exemple, de réaliser des enquêtes, obligeant les chercheurs et les chercheuses à repenser non seulement leur posture[2] mais aussi l’économie qui la rend possible. À rebours des querelles actuelles qui interviennent dans un climat médiatique pour le moins vicié, il convient donc d'assumer cette part politique, au sens le plus noble du terme.
[1] Hallé C. et Millon A.-S., "The Infinity of the Anthropocene: A [Hi]Story with a Thousand Names", in Latour B et Weibel P., Critical Zones: The Science and Politics of Landing on Earth, 2020, Cambridge, The MIT Press.
[2] Avec Antoine Hennion, nous avons tenté de caractériser cette posture au titre d'un « méliorisme radical » : « Peut-on […] caractériser de façon plus précise une posture pragmatiste, au sens radical que nous essayons de redonner à ce terme ? Surtout, qu’est-ce que cela peut et doit changer dans la recherche au quotidien ? Comment traduire sur le terrain en termes d’attitudes et d’attentions la conception que nous défendons ? Par rapport au recours à une méthodologie, la différence ainsi suggérée tient à l’effort fait pour rapprocher – et non pour autonomiser – les mille façons hétérogènes qu’ont les réalités d’émerger : par l’expression ou l’analyse, par des moyens techniques et des agencements économiques et juridiques, par des mobilisations sociales et des décisions politiques. Non pas en remontant vers les grandes institutions entre lesquelles les disciplines se sont chargées de distribuer ces formes d’action – l’art et la science, la pratique et le droit, l’économie et la politique, etc. : au contraire, en inversant ce geste pour chercher à faire se répondre et s’appuyer les uns contre les autres dans les mêmes actions collectives, même de façon cahoteuse, les opérations, les techniques et les savoir-faire de chacun. Pour cela, l’organisation même de l’enquête doit radicalement changer : elle ne peut se faire que sur un mode associatif, en réinventant des formes d’intervention entre partenaires ayant des positions, des rôles, des engagements et des compétences le plus divers possible, pour que chaque enquête s’oblige à entretenir sur la durée l’équilibre entre des types d’attention différents » (Hennion, A. et Monnin A., « Du pragmatisme au méliorisme radical : enquêter dans un monde ouvert, prendre acte de ses fragilités, considérer la possibilité des catastrophes. Introduction au Dossier ». SociologieS 20 mai 2020, ).