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Des outils pour engager les territoires dans une transition

Source : Évaluer les politiques d'adaptation au changement climatique. Guide méthodologique, 2019, ADEME.
Le 28 mars 2025

Comment se projeter dans le futur et prendre les bonnes décisions ? De quelle façon adapter son territoire aux problématiques soulevées par le changement climatique ? Design fiction, diagnostic de vulnérabilité, médiation scientifique, etc. Tour d’horizon des différents outils permettant d’engager territoires et acteurs dans la voie d’une transition.

Printemps 2021. Dans le village de Gresse-en-Vercors, une commune située à 50 kilomètres au sud de Grenoble, en Isère, les 350 habitants sont invités à se prononcer dans le cadre d’un référendum local portant sur l’avenir de leur station. Souhaitent-ils, ou non, que la commune investisse dans neuf canons à neige supplémentaires pour équiper le domaine ? Sur 307 votants, 193 sont favorables au projet, qui remporte ainsi un peu plus de 62 % des suffrages. Une décision qui laisse un goût amer à Jean-Marc Bellot, le maire de la commune, qui s’était exprimé contre ce nouvel aménagement, hérité de la précédente équipe municipale. « Ça a été une déception, expliquait-il quelques mois plus tard. Mais nous nous étions engagés lors de la campagne, dans le fait de développer la démocratie participative. » La décision finale, qui engageait la commune à hauteur de 200 000 € sur un budget global de 500 000 €, a donc été laissée aux habitants, qui se sont prononcés en faveur de nouveaux investissements pour tenter de sauver cette petite station située à 1 200 mètres d’altitude et qui fait face depuis plusieurs années à des difficultés d’exploitation, liées notamment à l’enneigement de plus en plus aléatoire.

Des Alpes au Jura, en passant par le Massif central et les Pyrénées, les territoires de moyenne montagne se retrouvent confrontés aux mêmes questionnements, face aux effets du changement climatique qui impactent leurs villages et leurs stations de ski. Continuer à investir pour sauver l’activité et étendre le réseau de neige de culture, en s’appuyant sur de nouvelles retenues collinaires ou en investissant dans des dameuses dernier cri permettant d’entretenir le manteau neigeux de façon optimale ? Ou réorienter cet argent public en faveur de nouvelles activités, permettant la diversification économique des territoires ? Un dilemme qui se renforce partout en moyenne montagne et qui tend à s’accélérer ces dernières années, plaçant les élus locaux face à des décisions difficiles, qui engageront leur territoire sur plusieurs années, voire plusieurs décennies, et qui soulèvent bien souvent de vifs débats localement.

Pour accompagner les élus dans ces choix de territoire, des outils et méthodes peuvent être aujourd’hui mobilisés pour permettre de se projeter dans l’avenir et d’envisager toutes les facettes d’une même problématique tout en ouvrant un espace de dialogue entre les différents acteurs impliqués. Lancé en 2021, le dispositif Climsnow2 s’est largement installé dans le paysage des stations de moyenne montagne. Issu de recherches menées par Météo France, le projet s’est développé dans un second temps sous la forme d’un consortium, impliquant également l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et le bureau d’études Abest Horizons/Dianeige. L’objectif du dispositif est de permettre une modélisation à une échelle fine de l’évolution de l’enneigement naturel et de la neige de culture, et donc de la capacité d’une station de ski à maintenir son activité à l’avenir. L’innovation de Climsnow tient notamment dans l’intégration de la neige de culture dans sa modélisation, permettant aux décideurs de se projeter dans la pertinence ou non d’étendre leur réseau d’enneigeurs, en fonction des projections climatiques sur leur territoire. « L’objectif de Climsnow est d’apporter un constat neutre et scientifique en modélisant l’enneigement futur d’une station de ski, en fonction des projections climatiques fournies par les données du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), explique Carlo Carmagnola, en charge du projet pour Météo France. C’est un outil d’aide à la décision, qui permet de se baser sur des données objectives. » Et, ainsi, de s’extraire des débats parfois très clivés qui existent sur ces questions touchant à la neige de culture et qui opposent parfois habitants, acteurs socioprofessionnels et élus sur un même territoire.

Cinq ans après son lancement, près de 200 stations de ski ont fait appel aux services de Climsnow, qui est devenu une étape nécessaire, même si pas encore obligatoire, pour porter de nouveaux projets d’aménagements : installation d’une nouvelle remontée mécanique, extension du réseau de neige de culture, etc. « Avant de se lancer dans un nouveau projet, les financeurs publics ont besoin de savoir si l’enneigement sera viable et si les températures permettront encore de faire fonctionner les équipements à l’avenir et donc de les rentabiliser », explique Carlo Carmagnola.

Le design fiction est particulièrement adapté aux problématiques que rencontrent aujourd’hui les territoires de montagne, confrontés à la nécessité d’engager une transition et de prendre des décisions pour l’ensemble des acteurs sur le long terme.

Pour continuer d’accompagner les territoires dans leurs prises de décision, les équipes de Climsnow travaillent désormais à un dispositif similaire qui s’intéresserait désormais à la ressource en eau. Ce « Clim’eau », pour lequel EDF a également rejoint le consortium, qui est aujourd’hui encore en phase de développement, a pour objectif de simuler l’évolution de la ressource en eau sur un territoire pour envisager d’éventuelles problématiques futures de répartition entre les usages, les besoins en eau potable, la production hydroélectrique, l’agriculture et la production de neige de culture. Une vingtaine de stations seraient aujourd’hui intéressées par cette modélisation, dont les enjeux risquent de devenir de plus en plus centraux dans les territoires de montagne.

Design fiction

Explorer les futurs d’un territoire, se projeter dans l’avenir, libérer la parole de toutes les parties prenantes, etc. : le design fiction constitue également un outil adapté aux problématiques rencontrées aujourd’hui dans les territoires de montagne. Ce concept, à mi-chemin entre le design et la science-fiction, est basé sur l’utilisation d’objets permettant de se projeter dans le futur pour faire émerger les problématiques et les questionnements. « À partir d’une question, nous construisons, sur la base d’études prospectives, des scénarios et des objets qui pourraient exister dans le futur. Ces scénarios et ces objets ont pour objectif de susciter des réactions, parfois fortes, pour ouvrir la discussion et s’interroger sur le fait que ce futur dans lequel on se projette soit désirable ou non », explique Bastien Kerspern3, qui intervient au sein du studio Design Friction, spécialisé dans les questions d’innovation publique par l’approche du design fiction.

Cette approche, qui se déploie sur le temps long en menant un travail de plusieurs mois sur une problématique définie, est particulièrement adaptée aux administrations et collectivités, qui sont confrontées à des décisions de long terme. « Le design fiction permet de se projeter dans le temps long, au-delà du mandat, en réfléchissant sur les éventuelles zones d’ombre et sur les impensés qui peuvent entourer certaines décisions et qui pourraient se révéler dans 10 ou 20 ans », poursuit Bastien Kerspern. Il peut intervenir à différents stades du processus de réflexion : en défrichage d’un sujet, pour se préparer à certains chocs du futur et réfléchir de façon anticipée à la résilience du territoire, ou en « crash test », pour « lancer dans le mur des futurs » une idée et envisager toutes ses répercussions et les éventuels détournements d’usage. « L’objectif est de pouvoir éclairer ce qui est possible, au-delà du probable », explique Bastien Kerspern, pour qui le design fiction est particulièrement adapté aux problématiques que rencontrent aujourd’hui les territoires de montagne, confrontés à la nécessité d’engager une transition et de prendre des décisions pour l’ensemble des acteurs sur le long terme. « L’objectif est de pouvoir créer la discussion et d’avoir une vision collective en organisant le débat, autour d’un objet qui puisse être un symbole du futur qu’on invente », poursuit-il. Dans les faits, un village engagé dans une réflexion sur l’avenir de sa station de ski pourrait s’appuyer sur un plan du domaine skiable en 2050, réalisé selon différents scénarios de renoncement au ski ou, à l’inverse, de croissance. « Ces deux plans témoignent d’une vision différente du territoire, issue de décisions qui ont été prises. Le fait de pouvoir observer concrètement un objet qui témoigne de ces choix est une base de débat et permet de se projeter différemment dans l’avenir », explique-t-il.

« Psychothérapie de territoire »

Dans une autre approche, mais dont l’objectif est également de créer le dialogue, la médiation scientifique permet d’envisager certaines problématiques qui se posent aux territoires de montagne dans toutes leurs dimensions. En 2021, le collectif Perce-Neige, rassemblant de jeunes chercheurs issus du Labex ITTEM, un laboratoire de recherche spécialisé sur les innovations et les transitions territoriales en montagne, a mené une résidence de plusieurs jours à Gresse-en-Vercors, alors que la commune faisait face à différentes interrogations concernant l’avenir de son domaine skiable, dans un contexte tendu. « Notre travail avait pour objectif de refaire naître une forme de dialogue entre les acteurs. Il ne s’agissait pas de leur dire ce qu’ils devaient faire, car cette approche serait plutôt celle d’un bureau d’études, mais de poser certains sujets sur la table et d’inviter à une prise de recul, explique Jean-Baptiste Grison, géographe spécialisé sur les questions de développement territorial. Il s’agit en quelque sorte d’une “psychothérapie de territoire”, qui s’envisage comme une aide à la réflexion, plus qu’à la décision. » Faisant face à une demande accrue d’accompagnement des collectivités locales confrontées à ces enjeux croissants de transition, les chercheurs travaillent aujourd’hui à une formalisation de cet accompagnement, pour répondre au cas par cas à ces besoins des territoires, qui traversent des dynamiques similaires, mais également des disparités locales très fortes.

Au-delà de la nécessité de renouer le dialogue et d’exposer clairement les enjeux, les collectivités publiques peuvent également s’appuyer sur la démarche Trajectoires d’adaptation au changement climatique des territoires (TACCT)4, initiée par l’ADEME, pour construire des politiques d’adaptation au changement climatique. Déployée actuellement dans près de 800 collectivités, la démarche propose une méthodologie accessible en ligne gratuitement pour structurer ces politiques d’adaptation. Elle débute avec un diagnostic précis du territoire et de sa vulnérabilité, établi en lien avec des données de projection climatiques, puis permet de structurer un plan d’action sur son territoire. Un troisième temps permet d’évaluer les actions mises en place grâce à des fiches méthodes accessibles en ligne. Adaptée aux communes et intercommunalités, la démarche TACCT est également adaptée pour d’autres organes de gouvernance, comme les parcs naturels régionaux, et permet de prendre en main concrètement les enjeux de demain.

CYCLE SIMPLIFIÉ D'UNE POLITIQUE D'ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Source : Évaluer les politiques d'adaptation au changement climatique. Guide méthodologique, 2019, ADEME.

  1. Plas S. et Virilli M., Demain, la montagne ! 101 initiatives de transition, 2022, Glénat.
  2. https://www.climsnow.com/
  3. Kespern B. et Mollon M., « Design fiction : du design des politiques publiques au design des polémiques publiques », Horizons publics mars-avr. 2018, no 2, p. 82-87.
  4. https://tacct.ademe.fr/
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