Revue
Anticipations publiquesTerritoires au futur : une plateforme pour accélérer la résilience territoriale
Depuis 2020, l’association The Shift Project développe un kit de mobilisation pour interpeller les élus. L’objectif : donner un nouveau souffle à leur mandat en développant la résilience de leur territoire. Trois ans avant les prochaines élections municipales, le think tank vient compléter ses précédentes publications avec Territoires au futur1, une plateforme d’autodiagnostic de résilience territoriale.
Trois ans pour s’engager dans la voie de la résilience
Réduire la vulnérabilité des territoires face aux aléas climatiques, s’émanciper des énergies fossiles, anticiper les crises pour mieux les affronter, etc., pour The Shift Project, il y a urgence : les élus locaux doivent transformer leurs territoires pour les rendre plus résilients.
Deux objectifs nationaux fixés à l’horizon 2030
- La division par deux des émissions de GES, par rapport à 1990, soit une baisse des émissions de 4,7 % par an ;
- La division par deux du rythme d’artificialisation des sols entre 2021 et 2031 par rapport à la période de référence 2011-2020.
En 2020, ce think tank a donc créé le programme « Stratégies de résilience des territoires » 2, piloté par Laurent Delcayrou et Corentin Riet, destiné à interpeller et mobiliser les décideurs locaux. Plusieurs objectifs nationaux à l’horizon 2030 motivent cette campagne de The Shift Project. En effet, d’ici à sept ans, la France devra avoir diminué drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre (GES) et son rythme d’artificialisation des sols. La difficulté est qu’il ne reste plus que trois ans avant les prochaines élections municipales. Les mandats actuels seront donc les derniers complets avant l’échéance de 2030 : le compte à rebours est lancé…
« L’enjeu est que les élus se présentent aux prochaines élections en ayant déjà engagé des changements sur leur territoire et qu’ils proposent un projet responsable sur leur contribution aux objectifs nationaux », souligne Laurent Delcayrou.
Un kit de mobilisation pour interpeller les élus locaux
Pour provoquer une prise de conscience et accompagner les acteurs locaux dans leur passage à l’action, Laurent Delcayrou et Corentin Riet ont donc constitué un kit de mobilisation. La première publication, Vers la résilience des territoires3, est parue en 2021. Elle s’apparente à un guide méthodologique composé de trois mouvements : comprendre, agir et organiser. L’année suivante, l’équipe projet publie un nouveau rapport, Climat, crises : comment transformer nos territoires ? 4 : « C’est une publication qu’on a voulu plus accessible que la première, explique Corentin Riet. On voulait qu’elle puisse être facilement portée par les associations de collectivités et les shifters – les bénévoles de The Shift Project – et qu’elle les aide à construire un plaidoyer opérationnel. »
Pour être au plus proche de la réalité des élus, cette publication porte des recommandations sur les actions à mettre en œuvre en termes de résilience territoriale en tenant compte des spécificités de six catégories de territoires : les villes, les campagnes, les métropoles, les montagnes, les littoraux et l’Outre-mer.
Cahiers résilience des territoires
Des cahiers-posters suivant cette typologie proposent une version synthétique du rapport. Supports de présentation, illustrations, infographies : de nombreuses ressources sont mises à disposition de celui qui voudrait aller interpeller son élu. Soutenues par de nombreux partenaires institutionnels (l’agence de la transition écologique [ADEME], intercommunalités de France, l’Association nationale des élus des littoraux [ANEL], France ville durable, la Banque des territoires, etc.), ces publications ont déjà pu se diffuser largement.
Plusieurs initiatives sur la manière d’utiliser la plateforme sont en train de se développer. Une d’entre elles, lancée par les shifters, consiste à développer une Fresque de la résilience.
En mai 2023, un nouvel outil est venu compléter le kit de mobilisation : la plateforme Territoires au futurs. L’objectif : fournir des données quantitatives pour aider à construire un diagnostic territorial, identifier les vulnérabilités de son territoire et inviter à opérer les transformations préconisées par The Shift Project : « En fournissant de la donnée locale qui permet d’illustrer les enjeux de résilience, ce dernier outil permet d’aller au bout de la logique de territorialisation du kit », explique Laurent Delcayrou.
Comment fonctionne la plateforme ?
Après avoir indiqué le nom de son territoire dans la barre de recherche, on tombe sur deux infographies qui font écho aux objectifs nationaux. On comprend quels sont les secteurs les plus émetteurs de GES de notre territoire et l’usage qui est fait des terres artificialisées. On découvre ensuite une sélection d’indicateurs dans quatre domaines clés repris des précédentes publications : l’agriculture et l’alimentation, l’économie et l’emploi, la mobilité et le logement et l’habitat :
« L’intérêt de ces différentes entrées est de pouvoir sélectionner les sujets spécifiques qui vont parler à vos élus », explique Corentin Riet.
Ces données permettent d’alimenter un diagnostic à l’échelle communale, intercommunale, départementale et régionale : « C’est important de jongler avec ces différentes mailles pour aborder des enjeux qui sont partagés entre les territoires », conseille Corentin Riet. Après avoir pris connaissance des indicateurs, on découvre les risques climatiques majeurs pour son territoire : « Nous espérons que cela permettra aux élus locaux et à leurs équipes de disposer, gratuitement et rapidement, d’un constat de départ, et, “en face”, aux poils à gratter que sont les associations et les collectifs, et bien évidemment les shifteurs et shifteuses, de prendre conscience de ce même constat, et de s’en servir pour pousser à l’action », écrit Jean-Marc Jancovici, président de The Shift Project, pour présenter la plateforme dans un post.
Un outil avant tout au service du dialogue, de la connaissance des enjeux de son territoire et du plaidoyer
« Un outil formidable de projection, réflexion, discussion ! », « Facile d’utilisation et très didactique » : voici le genre de commentaires qu’on peut retrouver sous le post. Toutefois, on peut aussi lire certaines réticences, notamment par rapport à la lecture des indicateurs. En effet, les données sont assez brutes : c’est à l’utilisateur de les analyser, d’interpréter ce qu’elles racontent et d’en tirer des conclusions. Certains utilisateurs auraient aimé pouvoir se référer à des éléments de comparaison, d’autres demandent des informations sur l’état des lieux des actions déjà menées sur leur territoire.
En réaction, Corentin Riet et Laurent Delcayrou rappellent que la plateforme n’est pas un outil de diagnostic fin, mais bien un outil pour lancer le débat sur son territoire : « Cette batterie d’indicateurs est au service d’un message de mobilisation et de changement de trajectoire », insiste Laurent Delcayrou.
« On a essayé autant que possible que les données soient autoporteuses, complète Corentin Riet. On s’est demandé s’il était judicieux d’afficher des données comparatives, mais on ne voulait pas que, si un territoire se situait au-dessus d’une moyenne, cela soit un motif d’inaction », poursuit-il. Une partie cartographique permet en outre de comparer globalement les territoires sur certaines thématiques et d’identifier leurs disparités : « La plateforme ne suffit pas à embrasser la totalité d’un diagnostic territorial qui doit absolument être complété et concerté. Le message principal, c’est que si un sujet vous concerne, il faut l’investir collectivement », explique Laurent Delcayrou. La plateforme est en effet une vraie invitation à approfondir les enjeux de son territoire : chaque donnée est sourcée avec la possibilité d’être redirigé sur d’autres plateformes spécifiques (Géodip, Crater, Alto et Climadiag).
Territoires au futur permet avant tout de construire et d’appuyer son plaidoyer : « Plusieurs shifters nous ont témoigné comment l’intégration des données de la plateforme à leur présentation avait contribué à renforcer l’impact de leur interpellation », raconte Laurent Delcayrou. Sans imposer de solutions préconçues, la plateforme permet d’illustrer de manière percutante les vulnérabilités des territoires pour initier le dialogue sur les transformations à opérer et leur mise en œuvre : « On voulait absolument éviter le piège de la prescription parce c’est localement que les réponses pourront être coconstruites », explique Laurent Delcayrou.
En venant compléter le kit de mobilisation, la plateforme fournit un nouvel outil aux shifters pour renforcer leurs actions : « La plateforme est très appréciée des shifters. Ils sont plus de 20 000 bénévoles organisés en groupes locaux très actifs sur le territoire. C’est un formidable relai pour interpeller les élus », explique Corentin Riet.
Un besoin d’accessibilité des données locales des territoires
Depuis sa diffusion, Corentin Riet et Laurent Delcayrou ont pu présenter la plateforme à l’occasion de colloques organisés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Les associations de collectivités partenaires ont également participé à faire connaître l’outil à travers leur communication institutionnelle : « La plateforme a reçu un très bon accueil auprès des agents. Cet intérêt met en évidence le besoin d’accessibilité des données locales », explique Laurent Delcayrou.
The Shift Project
The Shift Project est une association loi 1901 d’intérêt général qui œuvre à la décarbonation de l’économie. Sa mission : éclairer et influencer le débat sur la transition énergétique. Présidé par Jean-Marc Jancovici, le think tank bénéficie du soutien de bénévoles qui ont constitué une association autonome, Les shifters.
Territoires au futur est d’ailleurs né d’une collaboration entre l’équipe chargée de la résilience des territoires à The Shift Project, Corentin Riet et Laurent Delcayrou, et un développeur bénévole, Jean-Élie Barjonet.
« On a reçu des demandes pour enrichir la plateforme avec un plus grand nombre de données, notamment socio-économiques », raconte Laurent Delcayrou. En effet, la plateforme n’est pas exhaustive. Elle propose une sélection d’indicateurs locaux inspirés des recommandations de The Shift Project : « La plateforme a été pensée pour porter nos principaux messages en cohérence avec les précédentes publications du kit, explique Corentin Riet. On pourrait réfléchir à de nouvelles fonctionnalités, essayer de mieux intégrer les questions d’adaptation au changement climatique et aboutir à un diagnostic plus élaboré, poursuit-il. » « Oui, on pourrait approfondir la plateforme avec de nouvelles données, explique Laurent Delcayrou, si on décidait de la faire évoluer comme un outil d’autodiagnostic. Mais ce n’est pas notre objectif aujourd’hui. Il existe une demande forte des territoires pour rassembler et organiser la donnée publique locale existante, mais est-ce à The Shift Project d’y répondre ? », s’interroge Laurent Delcayrou. « Aujourd’hui, la plateforme est formatée dans une version suffisante pour faire le travail qu’on lui a assigné initialement, conclut Corentin Riet. On verra d’ici la fin de l’année si on va plus loin qu’une actualisation. »
Plusieurs initiatives sur la manière d’utiliser la plateforme sont en train de se développer. Une d’entre elles, lancée par les shifters, consiste à développer une Fresque de la résilience, dans le sillon de la célèbre Fresque du climat, en se basant sur les publications du kit de mobilisation. Des cabinets de conseil, qui accompagnent des collectivités, pourraient également s’appuyer sur la plateforme pour construire des ateliers sur la résilience des territoires : « On laisse se multiplier les initiatives et on observe. Il y aura un travail à faire pour organiser les retours d’expérience et partager les formats qui fonctionnent le mieux », explique Laurent Delcayrou.
