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La réduction du nombre de parlementaires, l’impossible réforme ?

Emmanuel Macron au Congrès de Versailles le 3 juillet 2017
Dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles le 3 juillet 2017, Emmanuel Macron a confirmé son intention de proposer une réduction du nombre de parlementaires.
©Laurent Blevennec
Le 16 septembre 2020

La réduction d’un tiers du nombre de membres des trois assemblées constitutionnelles (Assemblée nationale, Sénat et Conseil économique, social et environnemental), promise par le président Emmanuel Macron, lors de son discours du 3 juillet 2017 devant le Congrès à Versailles, comporte des risques en termes de représentation des territoires.

Résumé

À peine élu, le président Macron a proposé de diminuer d’un tiers le nombre de députés et de sénateurs. Le projet vise à redéployer les moyens du Parlement et à rationaliser son action. Il s’inscrit plus généralement dans un air du temps critique à l’égard des politiques, et particulièrement des parlementaires.

Cette contribution pointe les risques que cette réforme fait peser en termes de représentation des territoires. Un tiers à la moitié des départements ne serait plus représenté que par un seul parlementaire. Dans l’hypothèse, probable et souhaitable, où chaque département conserverait « son » parlementaire, la réforme entraînerait mécaniquement une plus grande distorsion de la représentation.

Enfin, la prime accordée au parti vainqueur, propre au scrutin majoritaire en vigueur pour l’Assemblée et une partie du Sénat, serait mécaniquement plus forte à l’échelle de la Nation avec des circonscriptions moins nombreuses. Ce texte fait valoir également les incertitudes de la mise en œuvre du projet d’ici la fin de l’actuel quinquennat.

On s’interroge dans une dernière partie sur le bienfondé de la réforme à l’aune de développements récents de la vie politique dont la réduction drastique mais momentanée du nombre de parlementaires durant la crise du covid-19.

Sans méconnaître ni le déficit d’efficacité du fonctionnement du Parlement, ni le manque de moyens individuels de ses membres, il me semble que le projet n’est pas sans risque. Inopportune, la réforme est également compromise à mesure qu’avance le quinquennat.

Dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès, le 3 juillet 2017, le président Macron a confirmé son intention de proposer une réduction du nombre de parlementaires. Il a déclaré : « Je n’ignore rien des contraintes qui pèsent sur vous. Le manque de moyens, le manque d’équipes, le manque d’espace contrarient en partie les impératifs d’efficacité que je vous soumets. Pour cela, il est une mesure depuis longtemps souhaitée par nos compatriotes qu’il me semble indispensable de mettre en œuvre : la réduction du nombre de parlementaires. Un Parlement moins nombreux, mais renforcé dans ses moyens, c’est un Parlement où le travail devient plus fluide, où les parlementaires peuvent s’entourer de collaborateurs mieux formés, plus nombreux. C’est un Parlement qui travaille mieux. C’est pourquoi je proposerai une réduction d’un tiers du nombre de membres des trois assemblées constitutionnelles. Je suis convaincu que cette mesure aura des effets favorables sur la qualité générale du travail parlementaire. Les Français, pour leur majeure partie, en sont également certains. Cette réforme indispensable, qui devra être conduite en veillant à la juste représentation de tous les territoires de la République – hexagonaux et ultramarins – n’a pas pour but de nourrir l’antiparlementarisme ambiant, bien au contraire. Elle vise à donner aux élus de la République plus de moyens et plus de poids. » 1

L’idée d’efficacité est au cœur de la justification apportée par Emmanuel Macron. Le travail parlementaire serait inefficace en raison du très grand nombre d’élus. L’argumentation repose à la fois sur la densité du lieu parlementaire – l’espace limité nuirait à la fluidité du travail – et sur les moyens des élus. Le nombre de parlementaires conduirait à un éparpillement de leurs moyens individuels, notamment en termes de collaborateurs parlementaires. Il ne s’agit sans doute pas d’économiser des deniers publics, ce que le président n’évoque pas, mais de les répartir différemment, en concentrant les ressources. De façon plus subliminale, on comprend à la lecture des propos d’Emmanuel Macron que l’efficacité associée à la baisse du nombre d’élus pourrait tenir à la diminution des coûts de coordination qu’elle engendrerait. Une assemblée plus restreinte aurait « plus de poids » par la vertu unitaire de la réduction des effectifs. Enfin, au cours d’un discours lu devant des élus nettement impopulaires, le président souligne que son projet est soutenu dans l’opinion. Le rappel vaut avertissement dans la mesure où la réforme suppose soit le vote conforme des deux assemblées, soit un référendum.

Sans méconnaître ni le déficit d’efficacité du fonctionnement du Parlement, ni le manque de moyens individuels de ses membres, il me semble que le projet n’est pas sans risque. Inopportune, la réforme est également compromise à mesure qu’avance le quinquennat. Enfin, différents développements de la vie parlementaire tendent à relativiser sa pertinence quand ils ne pointent pas ses dangers.

Une réforme inopportune

Comme développé dans une note publiée par le laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques2, la réforme n’est pas sans risque du point de vue de la capacité des parlementaires à représenter la population et ses territoires de façon fidèle, équitable et pluraliste. Revenons sur les trois adjectifs.

Problème de fidélité d’abord compte tenu de l’éloignement entre électeurs et élus. Avec un tiers de députés en moins, il y aura en moyenne un député pour 166 000 habitants – un niveau qui n’a pas d’équivalent dans l’Europe démocratique. La France serait, en effet, loin devant l’Espagne (un élu pour 133 000 hab.) et l’Allemagne (117 000 hab.). La capacité d’un élu à connaître son territoire, comme celle des électeurs à alerter leurs représentants – deux dimensions essentielles du parlementarisme – s’en trouverait mécaniquement affectée. Ni les réseaux sociaux, ni les sondages ne sauraient remplacer véritablement les rares occasions de rencontres physiques entre représentants et représentés.

À cet égard, on ne peut être que dubitatif devant l’idée que, puisque la Constitution française proscrit le mandat impératif, l’éloignement entre députés et électeurs ne serait pas un problème. Les parlementaires, représentants de la Nation tout entière, gagneraient même, selon certains, à prendre du recul par rapport aux intérêts locaux donc particuliers. Véritable coup de force juridique, l’argument consiste à s’appuyer sur une disposition constitutionnelle (du reste sans grande portée) pour imposer une conception particulière du parlementarisme quand la modernité se caractérise au contraire par le pluralisme des interprétations de ce dont la démocratie représentative est le nom. Surtout, la contradiction est patente entre ce raisonnement et le recours bien installé au scrutin majoritaire pour sélectionner nos députés. Si le territoire est découpé en 577 circonscriptions depuis 1988, ce n’est pas seulement pour générer des majorités stables mais aussi pour permettre à la diversité des territoires de voir leurs intérêts, coutumes et aspirations être représentés à Paris.

En deuxième lieu, la réforme soulève un problème d’équité entre électeurs du fait de l’accentuation de la prime majoritaire. On le sait, le scrutin majoritaire à deux tours favorise les deux partis arrivés en tête et ceux capables de passer des alliances. Or, cette prime majoritaire tend à augmenter à mesure que la taille des circonscriptions augmente. La dernière version du projet gouvernemental prévoit de réduire d’un quart les effectifs des assemblées et d’introduire une dose d’un cinquième de proportionnelle pour les députés. Dans cette hypothèse, ce ne sont plus que 346 députés qui seraient élus au scrutin majoritaire. Les chances du Rassemblement national (RN), de la France insoumise (LFI), du Parti socialiste (PS) et du Parti communiste (PC) de l’emporter dans une circonscription s’en trouveraient réduites. Le scrutin proportionnel permettra bien à ces formations d’obtenir quelques élus à la marge, cependant, la contradiction est patente entre les deux projets.

Enfin, la réforme envisagée soulève plus généralement le problème du pluralisme de composition des assemblées. Selon les choix du Gouvernement, entre un tiers et la moitié des départements n’auront qu’un seul député et un seul sénateur – sans doute de la même couleur. Il n’y aura donc, dans ces territoires, qu’un parti unique pour défendre les intérêts et exprimer les diverses sensibilités des citoyens. Plus prosaïquement mais de façon cruciale, on note aussi que l’autorité en charge du redécoupage aura entre ses mains une bonne part de l’avenir politique des oppositions partisanes3. Celui qui, selon l’expression consacrée, tiendra les ciseaux aura l’immense responsabilité de décider si les sortants RN, PS ou LFI auront une honnête chance de réélection. Le pouvoir n’est-il pas assez concentré sous la VRépublique pour avoir, par surcroît, à décider de l’avenir des contre-pouvoirs ?

Finalement, l’idée de réduire le nombre de députés et de sénateurs n’apparaît pas sans danger du point de vue de la qualité représentative des assemblées. Penser qu’il y aurait trop de parlementaires comme on faisait reproche à Mozart de mettre trop de notes dans ses partitions semble faire abstraction de la subtile fragilité de la mécanique représentative. L’aspiration au monopole des deux assemblées s’agissant de certaines compétences clés, à commencer par la législation ou la révocation du Gouvernement, puise dans l’idée qu’elles parlent, d’une façon ou d’un autre, au nom du peuple. C’est précisément cette idée que l’élargissement des circonscriptions, la fin du pluralisme de la représentation départementale dans la moitié du pays et l’accentuation de la prime majoritaire menacent.

D’autres effets pervers à la réduction du nombre de parlementaires ne sont pas évoqués ici faute de place. Mentionnons cependant la capacité des commissions parlementaires à contrôler véritablement et précisément le Gouvernement et l’administration. Des travaux comparés estiment qu’en deçà d’un certain nombre de membres, les commissions ne peuvent plus mener ce travail de façon à la fois pluraliste et soutenue4. De plus, le regroupement de certaines commissions qui pourrait résulter de la baisse des effectifs globaux d’une assemblée amoindrit la portée de l’action du parlement, chaque département ministériel n’ayant plus une formation parlementaire correspondante pour la contrôler.

Penser qu’il y aurait trop de parlementaires comme on faisait reproche à Mozart de mettre trop de notes dans ses partitions semble faire abstraction de la subtile fragilité de la mécanique représentative.

Une réforme compromise

La mise en œuvre de la promesse présidentielle souffre des aléas de l’actualité, qu’il s’agisse de l’affaire Benalla à l’été 2018, des manifestations des Gilets jaunes à l’hiver 2018/19, de la mobilisation contre la réforme des retraites un an plus tard et de la lutte contre le covid-19 au printemps 2020. Ces différents épisodes ont non seulement accaparé l’énergie du pouvoir exécutif mais également rendu plus difficile le passage de la réforme, tant du point de vue des relations avec le Sénat que du discrédit de la majorité dans l’opinion.

En soi, le projet ne nécessite pas de modifier la Constitution. À dessein, il a été établi en 2008 à l’article 24 de la Constitution que l’Assemblée comprenait au maximum 577 membres et le Sénat au maximum 348. Une loi organique suffit donc pour diminuer ces effectifs. Elle fut présentée le 23 mai 2018 en Conseil des ministres, accompagnée d’un projet de loi ordinaire autorisant le Gouvernement à procéder au redécoupage du territoire par ordonnance. Le projet de loi organique entendait appliquer aux effectifs parlementaires une réduction de 30 %, en fixant à 404 le nouvel effectif pour les députés et à 244 pour les sénateurs. Un projet de loi constitutionnel, déposé peu de temps auparavant, anticipait la baisse des effectifs en ramenant de 60 à 40 le nombre de députés ou de sénateurs nécessaires pour saisir le Conseil constitutionnel. L’ensemble de l’agenda institutionnel fut suspendu en juillet 2018 face à l’obstruction pratiquée en séance à l’Assemblée par l’opposition sur le projet de loi constitutionnel en pleine affaire Benalla.

L’exécutif ne renonça pas à ses projets pour autant. La crise des Gilets jaunes fut en effet analysée comme révélatrice d’un défaut de fonctionnement de la démocratie représentative, justifiant ainsi un retour à la question institutionnelle. Un nouveau projet de loi fut déposé le 29 août 2019. La baisse envisagée est passée de 30 à 25 % fixant les nouveaux effectifs à 433 pour l’Assemblée et 261 pour le Sénat. En outre, le projet prévoit l’introduction d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée pour 20 % des élus (contre 15 % dans la version de 2018). Le projet est en sommeil depuis. Il pâtit de la mobilisation de l’exécutif sur la réforme des retraites puis la lutte contre le covid-19. Surtout, l’accord du Sénat sur le projet de loi organique, qui serait juridiquement nécessaire, apparaît comme improbable. En toute logique, certains sénateurs envisagent défavorablement d’écourter leur propre mandat. Or, le projet prévoit le renouvellement intégral de la haute assemblée en 2021, à titre exceptionnel, afin que la réduction des effectifs s’applique concomitamment aux deux séries, préservant ainsi l’égalité entre ces dernières. En outre, l’interdiction du cumul de plus de trois mandats consécutifs identiques, pour les parlementaires comme pour les fonctions exécutives locales, prévue dans le projet, est de nature à rebuter de nombreux sénateurs ainsi que leurs grands électeurs.

Plus généralement, la majorité sénatoriale, dominée par la droite, est dans une stratégie d’opposition vis-à-vis du pouvoir qui va logiquement s’accentuer à mesure que s’approche la présidentielle de 2022. Il faudrait une concession de taille, probablement sur le sujet de la décentralisation, pour que les sénateurs fassent le cadeau de cette réforme au président.

Emmanuel Macron au Congrès de Versailles le 3 juillet 2017
Dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles le 3 juillet 2017, Emmanuel Macron a confirmé son intention de proposer une réduction du nombre de parlementaires.
©Laurent Blevennec

L’autre voie possible est celle du référendum. Elle est valide juridiquement puisque l’article 11 autorise le président à soumettre un projet sur « l’organisation des pouvoirs publics » qui ne modifierait pas la Constitution. Elle est périlleuse politiquement : la popularité du projet pourrait-elle l’emporter sur l’impopularité du pouvoir dans un pays où le référendum est le plus souvent perçu comme un plébiscite présidentiel ? L’expérience de l’échec du référendum italien de 2016 sur le sujet pourtant populaire de la réforme du Sénat invite, pour le moins, à la prudence. En outre, un « oui » au référendum conduirait à augmenter, de facto, le seuil de parlementaires nécessaires pour saisir le Conseil constitutionnel, ce qui constituerait un recul de l’État de droit.

Tout indique donc que la baisse du nombre de parlementaires n’aura pas lieu, du moins pas avant 2022. Les réformes institutionnelles doivent probablement être conduites en priorité dans les premiers temps du quinquennat pour vaincre les oppositions qu’elles ne manquent pas de susciter, particulièrement auprès des parlementaires, amenés en quelque sorte à être juges et parties en la matière. Or, la priorité des nouveaux présidents, comme celle de leurs électeurs, est souvent économique et sociale plutôt qu’institutionnelle. Dans le cas plus spécifique de l’actuelle majorité, on observe en outre que le corps de doctrine du macronisme est économique plus qu’institutionnel. À contre-courant de la plupart des candidats, Emmanuel Macron a fait valoir durant la campagne électorale de 2017 qu’il s’accommodait des institutions de la VRépublique en louant leur efficacité5. Son projet institutionnel se limitait à la baisse du nombre d’élus et l’encadrement des mandats successifs ; deux mesures ponctuelles soutenues par l’opinion. Il ne s’accompagnait pas d’une stratégie précise de mise en œuvre, particulièrement pour gérer le droit de veto du Sénat.

L’évolution de la vie parlementaire durant l’actuelle législature rend moins nécessaire la baisse du nombre de parlementaires ou, plus précisément, fait apparaître son inutilité, voire ses dangers.

Une réforme caduque

L’évolution de la vie parlementaire durant l’actuelle législature rend moins nécessaire la baisse du nombre de parlementaires ou, plus précisément, fait apparaître son inutilité, voire ses dangers. Quatre éléments peuvent être distingués.

D’abord, la prime majoritaire a été particulièrement nette lors des législatives de 2017, en partie en raison de l’abstention. Emmanuel Macron a obtenu 24 % des voix au premier tour de la présidentielle, son parti 28 % au premier tour des législatives (32 % avec le Modem) et a finalement obtenu 52 % des sièges à l’Assemblée (60 % avec le Modem). La prime au vainqueur des élections a donc joué à plein, accentuant ainsi les distorsions entre l’opinion et la représentation nationale. Dans ce contexte, il semble hasardeux de mettre en place une baisse du nombre de parlementaires dont l’effet mécanique serait, comme souligné plus haut, d’accroître ces distorsions. L’Assemblée peut-elle se payer le luxe de se passer de LFI, du RN voire du PS comme elle se passe aujourd’hui des écologistes ? Le Gouvernement semble entendre la critique puisqu’il propose concomitamment d’introduire une dose de proportionnelle à l’Assemblée. Cependant, outre que la mesure ne résout pas le problème au Sénat, elle contribuerait à accroître encore la prime majoritaire pour les 80 % d’élus au scrutin uninominal. En effet, la dose de proportionnelle se traduirait mécaniquement par une augmentation de la taille des circonscriptions pour le vote au scrutin majoritaire. La proportionnelle ne saurait ainsi compenser pleinement les effets d’un problème qu’elle accentue.

l’expérience du covid-19 a forcé les assemblées à expérimenter une forme drastique de baisse de leurs effectifs présents au sein des bâtiments parisiens.

Ensuite, on note que les oppositions sont numériquement faibles, morcelées et situées à la droite et à la gauche de la majorité. Dans ce contexte inédit sous la VRépublique, une baisse significative du nombre de parlementaires menacerait la survie de certains partis à l’Assemblée. Avec près d’une dizaine de partis d’opposition représentés à l’Assemblée, dont le premier, LREM, ne concentre que 19 % des sièges, il est probable que les formations plus petites ou hors alliance de second tour disparaissent. La situation serait différente si l’espace politique était bipartisan ou même bipolaire. Dans ce cas, le grand parti d’opposition pourrait « sauver les meubles » avec des circonscriptions plus grandes voire même profiter de l’extinction parlementaire des partis moins bien placés. Rien de tel dans notre vie politique. En outre, il ne semble pas opportun de réduire davantage le seuil de députés nécessaires à l’existence d’un groupe. D’une part parce que la multiplication des groupes crée une sorte d’embolie dans le fonctionnement de l’Assemblée. D’autre part parce que des groupes trop petits ont du mal à suivre l’ensemble des activités législatives et de contrôle. En deçà d’un seuil que j’évalue subjectivement à vingt-cinq députés, un groupe doit renoncer à traiter l’ensemble de l’agenda.

En troisième lieu, l’évolution récente de la vie parlementaire témoigne de différents dysfonctionnements auxquels la baisse du nombre de parlementaires ne viendrait pas véritablement répondre. L’espace manque ici pour détailler ce qu’on a pu appeler une certaine « dérationalisation du parlementarisme » 6 français dont les aspects sont multiples : des groupes parlementaires plus nombreux, une désarticulation entre la vie électorale, partisane et parlementaire, un activisme débridé des élus de base en partie dans le souci de leur visibilité virtuelle, la montée en puissance de l’obstruction (y compris, à un niveau inédit en 2020, en commission), une procédure législative chaotique et enfin une montée en puissance de l’indiscipline partisane dont le quinquennat Hollande a constitué un sommet. La baisse du nombre d’élus pourrait améliorer ponctuellement certaines de ces évolutions mais n’y répondrait pas véritablement puisqu’elles ne trouvent pas leurs causes dans la taille des assemblées. Pour ne prendre qu’un exemple, le nombre record de groupes parlementaires, dix à l’Assemblée à l’été 2020, qui alourdit considérablement les procédures et accapare des moyens de fonctionnement, ne tient pas au nombre total d’élus mais à une disposition bien plus facile à modifier : le nombre de députés nécessaire pour la constitution d’un groupe.

Enfin, l’expérience du covid-19 a forcé les assemblées à expérimenter une forme drastique de baisse de leurs effectifs présents au sein des bâtiments parisiens. Le 17 mars 2020, la conférence des présidents a décidé de limiter la présence dans l’hémicycle à trois personnes par groupe, soit vingt-quatre députés. Le fait que l’Assemblée ait été un foyer d’infection de la pandémie explique pour partie cette mesure draconienne. Le 21 avril 2020, le nombre de personnes pouvant être présentes est passé à soixante-quinze. Il est douteux d’assimiler ces mesures temporaires à la baisse proposée du nombre de parlementaires, ne serait-ce que parce que les députés confinés chez eux continuaient à exercer une partie de leurs activités, notamment l’écoute de la circonscription et la transmission des doléances. Cependant les débats législatifs en séance ont mis en lumière les problèmes liés au manque de diversité des participants. Ce ne fut pas vraiment le cas des lois de finances rectificatives, qui rassemblaient les habitués des questions budgétaires, mais plutôt de celles établissant ou prolongeant l’état d’urgence. Ces textes soulevaient en effet une multitude de dimensions (éthique, économique, sanitaire, sociale, etc.) justifiant la multiplication des points de vue. C’est là que la réduction draconienne des effectifs constitua un obstacle. Rien n’assure tant l’expression du pluralisme épistémique, au-delà même de la différenciation partisane, que la diversité des expériences humaines7.

  1. « Débats parlementaires, compte rendu intégral », JORF 3 juill. 2017, p. 6.
  2. Ehrhard T. et Rozenberg O., « La réduction du nombre de parlementaires est-elle justifiée ? Une évaluation ex-ante », LIEPP Working Paper 2018, n75.
  3. Ehrhard T., Le découpage électoral, intérêts parlementaires, logiques partisanes, 2017, Classiques Garnier.
  4. Murphy J., “Size and representativeness of legislatures in historical evolution ; observations from the anglo american context”, Working Paper Series 2020.
  5. Les analogies entre macronisme, bonapartisme et gaullisme ont fleuri chez les analystes, par exemple : Jeanneney J.-N., Le moment Macron, 2017, Seuil.
  6. Rozenberg O., « De la difficulté d’être un Parlement normal », in Duhamel O., Foucault M., Fulla M. et Lazar M. (dir.), La VRépublique démystifiée, 2019, Presses de Sciences Po, p. 47-65.
  7. Page S. E., The Difference : How the Power of Diversity Creates Better Groups, Firms, Schools, and Societies, 2007, Princeton University Press.
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