Thomas Cazenave : « Une réforme ne peut plus aujourd’hui se faire sans associer les usagers »

Thomas Cazenave
Le 22 mai 2019

Délégué interministériel à la transformation publique, Thomas Cazenave a reçu la revue Horizons publics pour évoquer les priorités de la DITP dans le contexte de l’après Grand débat national et dresser un premier bilan de son action à la tête de son administration.

Quels enseignements tirez-vous de la crise des Gilets jaunes et des conclusions du Grand débat national ?

Le premier enseignement que je tire, c’est qu’il faut laisser plus de place aux citoyens dans la construction des politiques publiques. Ce n’est pas un sujet nouveau pour nous : l’usager doit être remis au centre des préoccupations des décideurs publics. C’est une conviction partagée par l’ensemble de mes équipes.

Nous avons initié de nombreux chantiers dans ce sens. Quand nous demandons aux services accueillant du public un engagement de transparence en affichant leurs résultats sur la qualité de service perçue par l’usager et rendue par l’administration ou quand nous proposons aux usagers de raconter leur expérience avec les administrations via la plateforme « Voxusagers.gouv.fr » actuellement expérimentée dans la CAF du Gard, notre objectif est de mettre les usagers et les citoyens au cœur des politiques publiques. Mais aujourd’hui, je pense qu’il faut aller encore plus loin dans cette démarche : une réforme ne peut plus aujourd’hui se faire sans associer directement les usagers à son élaboration.

Deuxième enseignement : la question de la proximité. Il faut rapprocher les services publics des Français, voilà ce qui est clairement ressorti du Grand débat national.

J’accompagnais le 3 mai dernier à Montmoreau en Charente le premier ministre Edouard Philippe pour échanger sur la mise en œuvre des maisons « France Service », un chantier ambitieux pour renforcer l'accès aux services publics.

Nous ne partons pas de rien : il existe déjà un maillage territorial fort, avec les Maisons de services aux publics et depuis l’an dernier, nous expérimentons également un nouveau modèle de services publics intitulé « les services publics + » sur trois territoires (Communautés de communes du Perche, ville de Béthune, quartier politique de la ville du 8ème arrondissement de Lyon). L’objectif est de tester des solutions pour simplifier et améliorer le service public de proximité en proposant sur un même lieu des points de contact dotés d’agents polyvalents, capables d’accompagner et de prendre en charge les demandes des usagers. C’est à terme une transformation profonde de notre organisation qui pourrait être engagée, avec la création d’un « front office » commun, mais qui ne réussira que si elle est accompagnée d’un effort de formation des agents publics.

Enfin, je pense que les réformes ne produisent pas suffisamment vite leurs effets.

La transformation doit aussi se faire à l’intérieur des administrations pour gagner en rapidité, en impact et en résultat. C’est l’enjeu de la transformation des administrations centrales mais aussi déconcentrées. Pour avoir un service public plus efficace, il faut que nos agents et nos cadres aient plus de marges de manœuvre pour agir, à Paris et en régions, pour redonner de l’air, de la capacité d’initiative.

Bref, sortir d’un modèle monolithique, très homogène, avec une organisation trop verticale. Nous avons engagé des réformes profondes pour cela, certaines prennent du temps parce qu’elles engagent un changement de culture : il s’agit d’installer plus souvent des logiques de fonctionnement en « mode projet », d’avoir le réflexe de suivre l’impact de nos réformes, c’est-à-dire leurs effets concrets sur nos citoyens, et plus seulement leur avancement au sens de la prise des textes réglementaires. D’autres ont trouvé des points de débouché plus immédiats, avec l’allégement des règles applicables en matière de gestion budgétaire et comptable, ou encore le mouvement de déconcentration qui a été demandé par le Premier ministre à toutes les administrations pour rapprocher la prise de décision du terrain.

Votre plan d’action a-t-il été modifié avec la crise des Gilets jaunes ?

Nous avions ouvert certains sujets (la place de l’usager, la question de la complexité administrative, la déconcentration…). Je dirais qu’aujourd’hui le niveau d’ambition est encore plus fort et le portage politique se fait au plus haut niveau. Nous changeons d’échelle et de rythme pour exercer notre mission. Nous allons poursuivre notre mission de transformation publique, avec des moyens supplémentaires pour accompagner les administrations.

Nous allons débloquer 50 millions € de plus cette année, soit 250 millions € contre 200 millions € l’an dernier, pour financer la transformation de nos administrations dans le cadre du Fonds pour la transformation de l’action publique (FTAP).

Quelles sont aujourd’hui les priorités de la DITP ?

La DITP a quatre missions principales :

Premièrement, la DITP pilote le programme de transformation de l’action publique, c’est à-dire que nous assurons le suivi des réformes pour garantir leur mise en œuvre dans la durée. Pour mener à bien cette mission un dispositif de suivi de l’exécution a été mis en place : des réunions mensuelles sont organisées au niveau du Secrétaire général de l’Elysée et du Directeur de cabinet du Premier ministre, afin de passer en revue les plans de transformation de deux ministères et en particulier les réformes impactant particulièrement le quotidien des Français. En complément, un cycle de revue complète de l’ensemble des plans de transformation ministériels se tient chaque trimestre.

Ensuite, la DITP accompagne les ministères dans la mise en œuvre de leurs plans de transformation. Nous avons des équipes spécialisées dans l’accompagnement du changement et la conduite de projets pour cela.

La DITP porte par ailleurs en propre certains chantiers transversaux : nous sommes responsables du chantier relatif à la simplification administrative et à la qualité de service ; nous pilotons le programme de transparence des résultats  ; nous veillons à la bonne mise en œuvre de la loi ESSOC sur les territoires, car les questions de la confiance dans les services publics et de la bienveillance de l’administration sont primordiales ; nous portons aussi le chantier majeur de la transformation managériale.

La simplification administrative est un enjeu fondamental. Le dispositif « France expérimentation »[1] que nous pilotons permet de lever les barrières réglementaires ou législatives pour favoriser les projets économiques innovants. Les freins à l’innovation sont souvent d’ordre réglementaire ou législatif, c’est pourquoi il est nécessaire d’offrir davantage de dérogations. Nous nous sommes aperçus que, bien souvent, il suffit de nouer un échange nourri entre l’administration et l’entreprise pour lever les barrières. Autre priorité : nous accompagnons au quotidien les plans de simplification de tous les ministères. Au niveau interministériel nous avons par exemple déjà investi le sujet du handicap (mission Handicap pour simplifier le parcours handicap).

Enfin, la DITP innove et diffuse de nouvelles approches au sein des administrations, comme le nudge, pour favoriser l’apport des sciences comportementales à l’action publique, l’usage de l’intelligence artificielle, ou les approches permettant d’associer l’usager aux politiques publiques. Sur ce thème, nous avons lancé « les défis Cartes blanches », dont l’objectif est de concevoir et prototyper, avec les agents publics, de nouvelles solutions plus pertinentes pour améliorer les services rendus aux publics.

Les réformes doivent être bâties différemment, il faut s’appuyer sur celles et ceux qui veulent s’engager dans la transformation publique et partir des problèmes concrets.

Quel bilan tirez-vous de votre action à la DITP ?

On aimerait toujours que ça avance plus vite et aller plus loin dans les réformes. L’essentiel, selon moi, c’est de poser des bases et des briques propices à la transformation en profondeur. C’est le sens des orientations que nous avons données dès le 1er février 2018 lors du premier comité interministériel à la transformation publique. Les premiers résultats sont là, et même s’il est normal qu’il faille un peu de temps pour que leurs effets soient tangibles tout ce que nous avons déjà entrepris trouve aujourd’hui une nouvelle résonance sur la place des usagers, le rythme des réformes, la simplification administrative… Les conclusions du Grand débat national nous ont conforté dans nos orientations.

[1] Le programme France Expérimentation s’adresse aux porteurs (personnes morales ou physiques) d’un projet innovant dont le développement est freiné ou entravé par certaines dispositions réglementaires mais aussi parfois législatives. France Expérimentation est un guichet numérique offrant la possibilité aux acteurs économiques d’exprimer leurs besoins d’adaptation des normes réglementaires ou législatives auprès d’un interlocuteur unique et dans le cadre d’un dispositif clair, transparent et réactif.

 

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