Revue
DossierÊtre femme élue et maire en 2019
Élue à 34 ans à la mairie de Nantes, Johanna Rolland est une des plus jeunes femmes maires d’une grande ville de France. Convaincue que les métropoles sont le bon échelon pour expérimenter de nouvelles solutions face aux mutations sociétales en cours, elle s’implique depuis 2014 au sein de différentes instances pour promouvoir la voix des métropoles : le pôle métropolitain Nantes-Saint-Nazaire (présidence), de France urbaine (co-présidence du collège des métropoles), du réseau Eurocities (présidence 2014/2016). Elle est aussi convaincue qu’une part de l’avenir de la France s’invente dans les territoires notamment au travers d’une nouvelle alliance entre les métropoles, les territoires péri-urbains et ruraux pour répondre au défi du XXIe siècle. Elle s’est confiée à Horizons publics en tentant de répondre à la question suivante : qu’est-ce qu’être maire et femme en 2019 ?
Quand on m’a sollicitée pour témoigner de ce qu’être une femme élue, maire d’une grande ville et présidente de métropole en 2019, je me suis interrogée. Y a-t-il une spécificité féminine dans la façon d’exercer un mandat d’élu local ? Je n’en suis pas sûre. J’ai toujours refusé l’idée qu’on serait défini soit par son genre, soit par le quartier ou la famille dans lesquels on a grandi. Je l’ai refusé parce que je suis fondamentalement attachée à l’émancipation, à l’égalité et que je crois que cela passe d’abord par le fait de n’assigner personne à un rôle, à une place, quels qu’ils soient.
Cela fait écho à une deuxième interrogation. Pourquoi avons-nous besoin de témoignages de femmes exerçant des responsabilités ? Pendant la campagne électorale en 2014 et au début de mon mandat, je refusais de répondre à la sempiternelle question « qu’est-ce que ça fait d’être une jeune femme candidate/élue dans une grande ville ? » J’estimais que cette question empêchait de parler des vrais sujets : Nantes, les projets que j’ai pour cette ville, avec mon équipe, les convictions que je porte, etc.
Et puis, et c’est, je crois, intimement lié à la fonction de maire, j’ai évolué sur cette question. Pourquoi je dis que c’est intimement lié à la fonction de maire ? Parce que nous sommes le premier interlocuteur de beaucoup de nos concitoyens. Quand on est maire, qu’on soit un homme ou une femme, dans une petite ou dans une grande commune, on va constamment à la rencontre de l’autre, on est à son service. On arpente les allées du marché un samedi matin pour discuter avec les commerçants et les habitants. On échange avec des parents d’élèves à la sortie d’une école, on partage un café avec les bénévoles de l’association qui a organisé et animé le tournoi de foot. On réfléchit avec des chefs d’entreprise à la façon dont on peut faire avancer leurs projets sur notre territoire. On trouve des solutions pour une famille en grande précarité ou une personne âgée qui ne peut plus vivre seule chez elle.
Être présidente de métropole à une table où il n’y a quasiment que des hommes, cela interroge et conduit aussi à affirmer les valeurs auxquelles on croit, que l’on veut défendre.
Et, depuis que je suis maire et présidente de métropole, j’ai rencontré beaucoup de femmes, jeunes ou moins jeunes, qui m’ont fait part de leurs ambitions mais aussi de leurs doutes. J’ai, par exemple, discuté avec des femmes entrepreneures dans le numérique, sur la façon de concilier ambition professionnelle et vie familiale. J’ai aussi échangé avec des lycéennes, qui souvent s’autocensurent dans leurs orientations professionnelles, en écoutant un peu trop celles et ceux qui leur disent qu’elles n’y arriveront pas, que ce n’est pas un choix facile pour une fille de devenir médecin ou ingénieure ou pâtissière.
C’est mon quotidien de maire, et de mère, qui m’a convaincue que justement, il fallait témoigner, pour dire que c’est possible et que c’est réjouissant, enrichissant d’être élue locale, au service des habitantes et des habitants d’une ville, des projets qu’ils portent, que nous portons. De gérer le quotidien, le sien, celui de sa ville et en même temps d’inventer l’avenir avec toutes celles et ceux qui ont envie d’agir.
On parle beaucoup aujourd’hui de l’épuisement des maires. Plus de la moitié songerait à ne pas se représenter aux prochaines élections municipales. Cet épuisement, je le comprends car beaucoup de maires de petites communes ne s’en sortent pas face à la densité des sujets à traiter et au manque de soutien de l’État. Parce qu’ils se sentent seuls face à la complexité des enjeux et aux difficultés d’une partie de leurs concitoyens.
Oui, être maire c’est dense, intense, exigeant mais c’est aussi passionnant. J’ai la chance, même le privilège d’exercer cette fonction dans une grande ville, avec une équipe municipale engagée, 7 500 agents du service public local qui s’engagent au quotidien pour mettre en œuvre les décisions que nous prenons, des initiatives innombrables d’associations, d’entreprises pour faire avancer la métropole nantaise. Il faut bien cela pour répondre aux défis colossaux auxquels nous faisons face. Nous devons nous en saisir pour en faire des opportunités de servir l’intérêt général, de renforcer les solidarités, de garder nos singularités. Et d’éviter que ces défis viennent renforcer la fragmentation à l’œuvre, les fractures, les fragilités.
On parle beaucoup aujourd’hui de l’épuisement des maires. Plus de la moitié songerait à ne pas se représenter aux prochaines élections municipales. Cet épuisement, je le comprends car beaucoup de maires de petites communes ne s’en sortent pas face à la densité des sujets à traiter et au manque de soutien de l’État. Parce qu’ils se sentent seuls face à la complexité des enjeux et aux difficultés d’une partie de leurs concitoyens.
Ces défis, tous liés les uns aux autres, sont pour moi au nombre de quatre. Le défi écologique et environnemental d’abord, qui conditionne tous les autres puisque c’est tout simplement la question de la vie qui est posée. Mais ce défi n’est pas isolé, il est à la fois le produit et la cause d’autres mutations à l’œuvre. Le défi économique, par exemple, avec tout à la fois la mondialisation et la financiarisation de l’économie, l’irruption du numérique qui a profondément modifié l’industrie ou le secteur des services, et même plus globalement l’organisation du travail. Mais nous sommes aussi confrontés à un défi démographique de taille, dont nous n’avons, je crois, pas encore bien pris la mesure dans nos sociétés : celui du vieillissement de notre population. En 2050, les plus de 65 ans représenteront près d’un tiers de la population de la métropole nantaise, comme de la population française. Nous devons penser une société de la longévité car, je crois, qu’il y a là une richesse incroyable si nous savons collectivement nous adapter à cette nouvelle donne. Il y a là un vrai défi social, pour assurer l’égalité réelle, garantir la justice sociale, face aux inégalités, à la précarité que peuvent vivre certains de nos concitoyens et auxquelles nous devons apporter des solutions. Et puis, le dernier défi, c’est le défi démocratique. Nous vivons aujourd’hui dans une société où la défiance est forte, à tous points de vue. Et le défi démocratique, c’est, dans ce monde traversé par tous les autres défis, de retrouver de la confiance, en inventant des façons nouvelles de faire et de vivre ensemble. Ce sont ces défis, l’énergie que j’ai vu à l’œuvre dans mes fonctions professionnelles précédentes qui m’ont donné envie d’agir, en tant qu’élue pour un territoire. Ce n’est pas un rêve ou un objectif que j’avais depuis mon plus jeune âge ! Mon envie profonde, que je tiens de ma famille, de mon éducation, c’était de m’engager pour les autres, d’être utile aux autres, de faire bouger les choses concrètement dans la vie des gens. Et je viens d’une famille où l’on m’a toujours dit d’être libre de choisir. Donc quand, à la fin de mes études à Sciences Po Lille, s’est posée la question des choix professionnels, j’ai souhaité aller sur le terrain. Je respecte profondément ceux qui ont fait un choix différent mais moi je me sentais plus utile en allant faire de la démocratie participative dans les quartiers populaires du Creusot qu’en rejoignant la haute fonction publique. J’avais déjà eu des engagements forts durant mes études, auprès des sans-papiers à Lille, dans des ONG à l’étranger, cela m’avait enrichie et j’avais le sentiment d’avoir participé à quelque chose de plus grand que moi, qui aidait les autres. C’est cela le cœur de mon engagement, depuis le début et encore aujourd’hui, dans mes fonctions de maire et de présidente de métropole, c’est une vraie boussole. Dès le début de ma vie professionnelle donc, j’ai fait le choix des territoires, de la République dans les territoires. Car je suis convaincue que la République s’incarne d’abord dans les territoires, qui sont le lieu de vie quotidien de chacune et chacun. Sur un territoire, on est au plus près des réalités quotidiennes. Et quand on travaille sur un territoire, on voit vraiment que l’avenir de la France s’invente dans les territoires, dans le monde associatif, dans des collectifs citoyens, dans le service public local, dans le monde de l’entreprise. Parce qu’on est au plus près des habitants, de leurs attentes, de leurs envies, de leurs besoins.
Quand je suis rentrée à Nantes, pour des raisons familiales, j’ai été recrutée comme collaboratrice de Jean-Marc Ayrault, qui m’a proposé en 2008 de rejoindre son équipe municipale. J’ai accepté parce que je crois à l’action, je crois au collectif et je crois que les villes sont le meilleur échelon pour répondre aux défis que nous vivons. Elles sont aujourd’hui le milieu de vie de plus de la moitié des habitants de la planète, de plus de 70 % de la population en France et en Europe. Elles concentrent toujours plus de population et d’activités économiques. Elles sont responsables de 80 % des émissions de gaz à effet de serre. Elles sont donc une part du problème mais aussi, et peut-être même d’abord, de la solution ! C’est cette conviction qui guide mon engagement politique dans tous mes mandats depuis 2008, en tant qu’adjointe, que conseillère départementale puis en tant que maire et présidente de la métropole depuis 2014.
Je veux faire de Nantes un territoire de solutions, une métropole qui sait conjuguer transition écologique, dynamisme économique, justice sociale et renouveau démocratique. En jouant gagnant-gagnant avec les territoires voisins, car les défis sont de taille et rendent poreuses les frontières administratives.
Être une femme élue maire et présidente d’une grande métropole en 2019, avec cette ambition pour son territoire. C’est passionnant, dense, intense, exigeant mais aussi très réjouissant.
Dans une même journée, je peux passer d’un entretien téléphonique avec le ministre de l’Éducation pour parler de la façon dont on met en œuvre le dédoublement des CP en zone d’éducation prioritaire puis rencontrer des parents d’élèves qui participent à un café organisé par le centre socioculturel et ensuite visiter une entreprise pour finir la journée par un spectacle auquel j’ai été invitée.
Dans ces journées denses, je garde toujours la conscience de deux choses fondamentales pour moi et qui mettent en acte la refondation démocratique dont je parlais tout à l’heure. La première, c’est qu’être maire, ce n’est pas gouverner seule. Bien entendu, il y a besoin de verticalité, il y a une vraie demande d’autorité d’ailleurs chez nos concitoyens. Mais cela doit s’articuler avec plus d’horizontalité. Avec son équipe d’abord. Être maire, c’est savoir animer un collectif, savoir déléguer et s’appuyer sur ses adjoints, sur ses vice-présidents pour faire avancer les projets nantais. C’est travailler avec les vingt-quatre maires de la métropole dans l’intérêt des habitants. Mais c’est aussi reconnaître l’expertise d’usage des citoyens, de tous ceux qui agissent en leur donnant la parole. J’ai fait du dialogue citoyen un des piliers de mon mandat pour construire des réponses plus efficaces, plus adaptées. Et cela va des grands enjeux stratégiques, comme ce grand débat transition énergétique que nous avons menée, avec plus de 53 000 participants à des projets de quartiers, pour aménager une rue ou développer des initiatives citoyennes avec les bureaux des projets.
La seconde, c’est qu’être maire, ce n’est pas un métier, c’est un mandat pour lequel on a été élu. J’ai toujours défendu le non-cumul des mandats, car je crois que c’est aussi ce qui a fait beaucoup de mal à la démocratie représentative, vécue par beaucoup comme une démocratie privative. Le non-cumul, c’est un progrès démocratique qui nous impose d’inventer collectivement de nouvelles façons de faire et je veux y prendre ma part. On ne doit pas avoir le sentiment que les élus s’approprient des fonctions et pour cela, l’exemplarité est fondamentale. Quand je suis devenue maire et présidente de Nantes métropole, j’ai aussitôt démissionné de mon mandat de conseillère départementale, comme je m’y étais engagée. Faire ce que l’on dit, c’est la première chose que les gens attendent d’un élu et nous leur devons cela puisque ce sont nos administrés, c’est l’honneur de la fonction.
Dans la façon dont je conçois le mandat de maire et de présidente de métropole, il y a donc une ambition forte pour ma ville, ses habitants et une exigence aussi vis-à-vis de la fonction.
Être une femme élue locale dans la sixième métropole de France, ce n’est donc pas un long fleuve tranquille. C’est aussi un combat quotidien, pour tenir cette ambition et cette exigence. Et je crois que ce qui me permet justement de mener ce combat sur le long terme, avec détermination, c’est de n’être pas seulement le maire de Nantes mais aussi la mère de mes enfants.
Je crois profondément aussi que pour rester dans le concret mais aussi pour rester libre, il faut savoir conserver un équilibre entre la vie publique et la vie privée. J’ai fait des vrais choix de ce point de vue-là. J’ai un agenda évidemment extrêmement intense mais j’ai fait le choix de continuer à emmener moi-même mes deux enfants à l’école tous les matins, parce que le quotidien compte avec des enfants, dans la vie de famille. Ma journée au bureau commence donc à 9 heures, même si j’ai souvent commencé à passer des coups de fil dès le début de ma journée. De la même façon, j’ai libéré du temps dans mon agenda pour pouvoir travailler depuis chez moi le mercredi après-midi et accompagner mes enfants à leurs activités. Et puis je conserve aussi du temps pour mon mari, pour aller nager et voir mes sœurs, des amis, etc. Mais bien entendu c’est un défi de tous les jours, c’est une organisation qui se réinvente en permanence. Mais je crois que cela me donne une forme de liberté, de bon sens qui m’aide à mieux assurer mon mandat.
Devenir maire et présidente de Nantes métropole à 34 ans, en étant mère de deux jeunes enfants, c’était aussi un défi en tant que femme. Non pas tant parce que femmes et hommes seraient foncièrement différents dans leur conception du rôle d’élu ou dans leur façon d’agir. Je ne crois pas qu’il y ait des vertus spécifiquement féminines ou masculines qui se refléteraient dans la façon d’exercer un mandat, les hommes n’ont pas l’apanage de la puissance et de l’action et les femmes celui de la douceur et de l’écoute. Cette image stéréotypée, caricaturale même, a pourtant longtemps prévalu dans le monde politique. Être présidente de métropole à une table où il n’y a quasiment que des hommes, cela interroge et conduit aussi à affirmer les valeurs auxquelles on croit, que l’on veut défendre.
Je fais partie d’une génération de femmes qui a plutôt cultivé l’entraide, l’échange pour inventer de nouvelles façons de faire. Avec Carole Delga, Nathalie Appéré, Najat Vallaud-Belkacem, par exemple, nous sommes toutes arrivées aux responsabilités peu ou prou en même temps et nous avons discuté de ces questions. Mais sur ces sujets, cela passe aussi par l’action, avec là encore la question de l’exemplarité. Quand je suis arrivée à la tête de la métropole en 2014, il y avait une femme seulement à la direction générale. Aujourd’hui, cette direction est paritaire. À l’inverse, on encourage le recrutement de personnels masculins dans les métiers de la petite enfance. Mais je ne crois pas que les femmes aient seulement besoin de modèles féminins pour avancer. Moi, une de mes inspirations a été la figure de Robert Badinter. En 2013, alors que j’étais candidate, j’avais eu le privilège de pouvoir échanger avec lui en tête à tête. Il m’avait dit : « N’écoutez jamais trop les autres, faites confiance à votre intuition. » C’est une phrase que j’ai gardée en tête, pour se rappeler qu’il y a, en tant qu’élu, une part irréductible d’intuition, qui est très liée aux rencontres quotidiennes que nous faisons, qui est très liée à la capacité d’entendre à la fois avec la tête et le cœur. Et qu’il faut savoir écouter cette part d’intuition, lui laisser sa place.