Revue
DossierJean-Luc Delpeuch : «L'objectif de 1000 doctorants dans les territoires semble tout à fait envisageable »
Jean-Luc Delpeuch, président d’HESAM Université et président élu de la communauté de communes du clunisois (sud de la Bourgogne) revient sur la première année du programme « 1 000 doctorants pour les territoires » qui facilite l’embauche de jeunes chercheurs dans des collectivités territoriales et associations en besoin d’innovation locale.
Comment est né le programme « 1 000 doctorants pour les territoires » ?
Le programme est né d’une expérience locale réussie et d’une envie de diffuser ce que je considère comme étant une expérience riche de bonnes pratiques. Dans la communauté de communes du Clunisois, nous avons accueilli un stagiaire en master de sociologie au moment où nous mettions en place un Relais de services publics (RSP). Rapidement nous avons discuté de son projet de poursuivre en thèse. De notre côté, nous avions envie de continuer notre projet de RSP et de le faire évoluer en une maison des services publics que nous voulions innovante, adaptée à un milieu rural très particulier, à faible densité. Très vite, nous avons donc vu des accointances entre nos deux projets : le sujet de l’étudiant s’est dessiné autour de l’innovation des services publics en milieu rural, et notre projet de maison l’accompagnerait dans l’application et l’expérimentation de son terrain de recherche. Nous l’avons donc embauché en tant que doctorant dans cette perspective, avec le soutien financier d’une Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre). L’expérience s’est renouvelée peu de temps après avec l’embauche d’une doctorante en géographie sur la participation citoyenne dans la mise en place d’un territoire à énergie positive.
Pourquoi une collectivité ou une association embaucherait un doctorant alors que les effectifs sont partout en train d’être réduits ?
L’acteur public a des besoins de terrain qui sont souvent liés à une nécessité d’aménager le service public et son exercice. Il a constamment besoin d’innover, de s’adapter à la transformation, dans un contexte difficile et limité en termes de finances locales. Il recherche des décideurs, des responsables susceptibles de l’aider dans son processus de changement. Ce sont ces besoins qui intéressent les chercheurs et sur lesquels ils peuvent intervenir en tant que professionnels de la recherche. Ils savent comment comprendre une problématique et faire en sorte d’y adapter une réflexion productive. Les doctorants sont des jeunes chercheurs. Ils apportent une fraîcheur de regard, de la nouveauté, une motivation supplémentaire et aussi une forte capacité d’adaptation. L’intérêt est donc double : l’acteur public va pouvoir, au contact du chercheur, améliorer la compréhension du milieu dans lequel il agit et le jeune chercheur intègre une équipe, un terrain d’étude, et acquiert de l’expérience professionnelle. Finalement, c’est une rencontre entre un territoire, qui a des besoins d’innovation, et une personne, un chercheur, un futur doctorant, qui dispose de compétences qui pourraient répondre à ces besoins.
Existe-t-il des aides financières pour embaucher un jeune chercheur ?
Les collectivités territoriales et les associations peuvent se saisir d’un outil qui est très utilisé par les entreprises privées et peu par les acteurs publics : la Cifre. Moins de 7 % des Cifre remises chaque année vont à des acteurs publics et sociétaux (source Association nationale de la recherche et de la technologie). Or pour l’embauche d’un doctorant qui passe la moitié de son temps dans la structure et l’autre dans son laboratoire de recherche, la structure reçoit une subvention de 14 000 € par an pendant les trois années de la thèse.
Aujourd’hui, comment vit et progresse le programme ?
La mission de sensibilisation est essentielle, le message a besoin d’être diffusé. Il faut expliquer et montrer que d’autres modèles existent, d’autres possibilités de faire et de financer la recherche. Mais il faut l’expliquer dans la langue de chacun des acteurs. La langue des chercheurs n’est pas la même que la langue des élus, qui n’est parfois pas la même que celle des administratifs. Donc il faut prendre les mots que chacun utilise pour dire « voilà un outil qui va répondre à vos préoccupations ». Engager cette conversation suscite des questions. Il faut prendre du temps pour répondre à chacun, pour mettre en place des exemples-pilotes, pour forger de nouveaux outils et nous permettre de monter en régime. La première année a permis de recueillir des témoignages d’élus, de doctorants, de chercheurs, que nous diffusons largement en ligne. Les récits d’expériences vécues devraient permettre aux uns et aux autres de s’identifier, de se dire que c’est peut-être aussi possible chez eux, avec eux. En parallèle, nous développons une plateforme web de mise en relation sur laquelle une collectivité, une association pourra venir présenter les grands défis auxquels elle est confrontée et échanger avec des chercheurs sur la manière dont un futur doctorant pourrait venir apporter son expertise sur place pendant trois ans.
1 000 doctorants, est-ce un objectif atteignable ?
La communauté de communes du Clunisois compte 15 000 habitants et a déjà accueilli deux doctorants en contrats Cifre. De plus grosses structures pourraient donc aisément en avoir plus. Si on fait un rapide calcul, avec 36 000 communes en France (sans parler des intercommunalités, des régions et autres collectivités), l’objectif de 1 000 doctorants déployés dans les territoires semble tout à fait envisageable.
« 1000 doctorants pour les territoires », un programme pour promouvoir le dispositif Cifre auprès des acteurs publics
Géré par HESAM Université, une communauté interdisciplinaire de 15 établissements français d’enseignement supérieur, de formation, de recherche, le programme « 1 000 doctorants » propose de mettre la recherche au service des territoires.
Pour que recherche et territoires se rencontrent durablement
Le besoin de recherche des territoires est parti d’un constat : nombreux sont les acteurs locaux, y compris en milieu rural, à rencontrer des problématiques territoriales – réalités quotidiennes – qui peuvent faire l’objet d’un sujet de recherche. Cette opportunité de recherche intéresse bien souvent de jeunes chercheurs, issus des sciences humaines et sociales, et pouvant bénéficier d’une convention de recherche particulière : une Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre).
Le principe : 1 chercheur, 1 territoire, 3 années de recherche-action
« 1 000 doctorants » s’appuie sur les Cifre, permettant de subventionner la structure d’accueil à hauteur de 14 000 € par an, pendant trois ans, selon des conditions particulières. Ainsi, les jeunes chercheurs peuvent réaliser leurs thèses dans des collectivités territoriales, des établissements publics ou des associations, tout en étant financés et en bénéficiant d’un pied solidement ancré sur le terrain de recherche.
Une coopération université-territoire mutuellement bénéfique
Une thèse Cifre présente un avantage financier favorable puisque la structure d’accueil (collectivité, association, etc.) est subventionnée pendant trois ans pour embaucher un professionnel de haut niveau. Le doctorant bénéficie ainsi d’un cadre méthodologique, d’une expertise utile, voire même qui outille, tant l’organisme que le territoire.
Un programme exclusivement pour les acteurs publics et associations
Les structures d’accueil éligibles à une thèse Cifre sont :
- les collectivités territoriales (communes, départements, régions) ;
- les structures intercommunales (EPCI, syndicats mixtes, etc. ;
- les associations, les parcs naturels régionaux, etc.
Les conditions d’éligibilité sont celles de la Cifre (les conditions d’octroi sont précisées sur le site de l’ANRT pour les structures d’accueil comme pour les futurs doctorants.
Des projets qui doivent démontrer leur valeur publique et sociétale
Aménagement du territoire, urbanisme, numérique, finances locales, valorisation du patrimoine naturel ou culturel, sciences politiques ou de gestion, droit, design, etc. Les projets doivent porter sur le champ de sciences humaines et sociales, au sens large. C’est la dimension publique et sociétale qui doit être démontrée.
Les objectifs du programme : informer les acteurs concernés et les mettre en relation
« 1 000 doctorants » vise à informer les futur.e.s doctorant.e.s, d’une part, les collectivités, établissements publics et associations, d’autre part, de l’éligibilité de ces dernières à la Cifre. Des séances d’information et de sensibilisation sont organisées régulièrement. Le programme vise également à faciliter les connexions entre les acteurs territoriaux et les chercheurs, et à mettre en relation le triangle d’acteurs nécessaire au dépôt d’une demande de subvention Cifre.
Les partenaires du programme « 1 000 doctorants pour les territoires »
Le programme est reconnu nationalement, lauréat d’un appel à manifestation d’intérêt du ministère en charge de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
Quatre partenaires-fondateurs accompagnent HESAM Université depuis le lancement du programme :
• l’Association nationale recherche et technologie (ANRT) qui est missionnée par le ministère pour instruire les dossiers Cifre ;
• le Centre national de la fonction publique territoriale parce que le CNFPT recrute et forme les agents dans les structures publiques qui vont accueillir les doctorants d’une part et gère un Observatoire destiné à suivre et à anticiper les évolutions de la fonction publique territoriale d’autre part ;
• l’AD Cifre SHS, l’association des doctorants Cifre en sciences humaines et sociales parce qu’ils sont au cœur du projet et que leur expérience est une vraie force ;
• l’Association Bernard-Grégory (ABG), qui travaille depuis 40 ans à accompagner les doctorants, pré-doctorants et post-doctorants dans leur évolution professionnelle.
Et le réseau continue à s’agrandir avec :
• l’Association des maires ruraux de France qui réunit les élus des communes de moins de 3 500 habitants ;
• l’Association des pays et pôles territoriaux (ANPP),
• l’Assemblée des communautés de France qui fédère près de 1 000 intercommunalités ;
• l’Association des villes universitaires de France (AVUF) ;
• le PUCA (Plan urbanisme construction aménagement) organisme national de recherche et d’expérimentation rattaché au ministère de la Transition écologique et solidaire et au ministère de la Cohésion des territoires ;
• le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) qui conçoit, prépare et met en œuvre la politique nationale d’égalité des territoires, dont il assure le suivi et la coordination interministérielle ;
• le Labo ESS, association qui fait connaître et reconnaître l’économie sociale et solidaire à travers ses publications, événements grand public et anime la démarche nationale des Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE).