Le « sourcing » et le « background check » face au droit de la fonction publique

Le 9 juillet 2021

Les stratégies d’embauche dans la fonction publique reposent de plus en plus sur des procédés d’e-recrutement qui renouvellent l’image quelque peu poussiéreuse et sclérosée habituellement véhiculée par les opérations de recrutement des agents publics. Initialement promues par les employeurs privés, ces nouvelles techniques sont censées apporter aux administrations les mêmes avantages : amélioration de la détection des profils, accroissement de la sensibilisation des candidats à l’univers professionnel qu’ils envisagent d’intégrer, réduction des délais d’embauche, diffusion élargie des offres d’emplois au moyen d’outils divers (partage d’informations relatives au recrutement via les réseaux sociaux, création d’espaces web spécifiquement dédiés au recrutement).

Le sourcing et le background check constituent deux illustrations privilégiées de l’influence du e-recrutement sur le processus statutaire de sélection des candidats aux emplois de la fonction publique. Dans son acception générale, le sourcing désigne un processus de recherche préalable qui « doit permettre à l’employeur d’identifier en amont les candidats correspondant au profil recherché (compétences, savoir-faire, expérience, langues maitrisées…) »[1]. Cette identification suppose de collecter et d’analyser toute information utile au recrutement des candidats potentiels en recourant au besoin à des investigations sur le web. Le background check a, quant à lui, une portée plus respective. Destiné à vérifier les antécédents professionnels des candidats pressentis pour être recrutés, ce procédé assure la fiabilisation des informations qu’ils ont communiquées et permet en particulier de détecter d’éventuels « arrangements avec la vérité ». L’opportunité pour les administrations de recourir à de telles techniques peut à bien des égards être mise en discussion. Les traces numériques laissées plus ou moins volontairement par les personnes susceptibles d’occuper les emplois à pourvoir peuvent certes parfois en dire long sur leur aptitude à exercer les fonctions postulées. Mais elles peuvent aussi servir habilement à la dissimulation de la réalité des compétences en véhiculant une image factice et trompeuse. En tout cas, la généralisation du sourcing par les employeurs publics conduit mécaniquement les candidats à soigner leur image numérique, voire à se fabriquer ce qu’il est convenu d’appeler une « e-réputation ». Le risque est donc grand que la sélection des personnes pressenties pour occuper un emploi public se fasse parfois moins sur la base de leurs compétences que sur la base de leurs capacités à rayonner sur les réseaux sociaux, à se raconter selon des procédés académiques parfois superficiels.

A ces interrogations relatives à l’opportunité du recours au sourcing et au background check pour recruter dans la fonction publique, s’ajoutent des questions proprement juridiques. L’utilisation de ces procédés n’est en effet pas explicitement prévue dans le cadre normatif applicable à la fonction publique. Compte tenu des risques importants d’atteinte aux droits fondamentaux que de telles pratiques peuvent véhiculer, leur encadrement juridique plus précis s’avère indispensable.

Le recours au sourcing et au background check

La jurisprudence administrative reconnaît depuis longtemps aux administrations la possibilité de s’opposer à l’embauche lorsque les informations portées à leur connaissance attestent que le candidat ne réunit pas les « garanties requises pour l'exercice des fonctions » concernées. Nul doute que l’obtention de ces informations peut fort bien provenir d’une recherche numérique menée spontanément par l’Administration[2]. Rien ne semble non plus s’opposer à ce que l’Administration vérifie les informations communiquées dans les candidatures et rejette celles dont les éléments viendraient à être démentis par une recherche numérique préalable au recrutement. L’identification après recrutement de discordances éventuelles entre ce qui est annoncé et ce qui a effectivement été réalisé pose il est vrai une question plus délicate. Quoiqu’il en soit, cette identification semble au minimum pouvoir donner lieu à l’application d’une sanction disciplinaire pour violation par l’agent du principe de loyauté. Le principe selon lequel les actes acquis par fraude sont insusceptibles de créer des droits pourrait même théoriquement fonder une éviction non disciplinaire[3]. Mais, dans le silence des textes, c’est surtout le recours à ces nouvelles techniques pour garantir la qualité des recrutements qui pose des difficultés juridiques.

Agents titulaires

S’agissant des opérations de concours dans la fonction publique, cette absence d’ancrage textuel rend assurément illégale toute décision d’inscription ou de refus d’inscription sur la liste des lauréats qui viendrait à être fondée sur le profil numérique du candidat. Le même constat prévaut pour les décisions d’autorisation à concourir. Dans un cas comme dans l’autre, la sélection des participants ne saurait en effet reposer sur autre chose que l’évaluation des seules productions mentionnées dans la réglementation et fournies par ces derniers à l’Administration.

S’agissant de la nomination des agents titulaires, les dispositions statutaires applicables aux trois fonctions publiques ne contiennent strictement rien sur l’utilisation éventuelle par l’employeur public de méthodes d’évaluation des compétences pour procéder à l’affectation.

Dans la fonction publique d’Etat, l’organisation du processus de nomination des lauréats des concours semble même condamner le recours à de tels procédés. Selon l’article 20 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, les nominations sont en effet « prononcées dans l'ordre d'inscription sur la liste principale, puis dans l'ordre d'inscription sur la liste complémentaire ». C’est donc l’appréciation portée par le jury du concours sur les mérites des lauréats (classement résultant du concours) qui doit en principe servir de référence à l’Administration pour nommer. Il est vrai qu’en plus du motif tiré de l’absence des garanties requises pour l'exercice des fonctions, cette dernière se fonde parfois sur d’autres motifs légaux pour refuser de nommer (l’inaptitude physique, la disparition de l’emploi budgétaire, l’illégalité de la délibération du jury ou, plus largement, toute considération d’intérêt général). Mais, à ce stade, une autorité de nomination ne semble pas pouvoir légalement refuser une nomination d’un lauréat d’un concours au motif que des investigations numériques font douter de ses compétences professionnelles.

Dans la fonction publique territoriale, les articles 40 et suivants de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 n’indiquent rien sur les techniques de recrutement susceptibles d’être mises en œuvre par les employeurs publics pour nommer les agents titulaires. Faut-il considérer ce silence comme une autorisation ou, au contraire, comme une interdiction implicite de recours aux techniques de sourcing ou de background check ? L’étude de la jurisprudence administrative ne permet pas de forger une réponse claire à la question, faute d’espèces spécifiquement consacrées à cette question.

Agents contractuels

S’agissant des agents publics contractuels, le contexte statutaire est quelque peu différent dans la mesure où leur recrutement repose désormais sur des prescriptions formalisées issues d’un décret n° 2019-1414 du 19 décembre 2019 applicable aux trois versants[4].

Les dispositions statutaires indiquent en effet clairement qu’après réception des candidatures, l'autorité de recrutement peut « écarter toute candidature qui, de manière manifeste, ne correspond pas au profil recherché pour l'emploi permanent à pourvoir, au regard notamment de la formation suivie et de l'expérience professionnelle acquise »[5]. La sélection finale devra quant à elle reposer sur « un ou plusieurs entretiens de recrutement (…) conduits par une ou plusieurs personnes relevant de l'autorité hiérarchique auprès de laquelle est placé l'emploi permanent à pourvoir (…) et organisés dans des conditions adaptées à la nature de cet emploi et aux responsabilités qu'il implique »[6]. Si l’entretien d’embauche constitue la pierre angulaire de la sélection finale des agents contractuels, l’article 1-2 du décret du 19 décembre 2019 consacre par ailleurs la possibilité pour l’autorité compétente de recourir à des « modalités complémentaires à la procédure de recrutement qu'elle organise », notamment pour éclairer l'appréciation portée sur chaque candidature. Assurément, un recrutement ne saurait légalement s’opérer sans qu’aient eu lieu une publication préalable des offres d’emplois, une réception des candidatures et l’organisation d’un ou plusieurs entretiens. Mais le libellé des nouvelles dispositions réglementaires est clair : rien n’empêcherait de recourir à titre supplémentaire à d’autres techniques de sélection. Implicitement, une possibilité statutaire est donc désormais offerte aux employeurs publics de se procurer les informations utiles au recrutement des agents contractuels au moyen d’investigations numériques. Cette avancée textuelle est remarquable. Elle vient en effet donner une base statutaire décisive pour sécuriser au plan juridique le recours au sourcing et au background check en matière de recrutement des agents contractuels. Il est à bien des égards regrettable qu’une habilitation textuelle analogue n’existe pour l’heure toujours pas en matière de recrutement par les collectivités territoriales et leurs établissements des lauréats inscrits sur liste d’aptitude, par exemple.

L’encadrement du recours au sourcing et au background check

Quoiqu’il en soit, la mise en œuvre de ces techniques de recrutement par les administrations suppose de respecter certaines exigences juridiques minimales qui gagneraient à être formalisées dans les textes applicables aux embauches. Les articles L. 1221-8 et L. 1221-9 du code du travail ont à cet égard forgé un corpus juridique applicable à toute méthode de recrutement et qui pourrait, selon toute vraisemblance être étendu aux employeurs publics. Parmi ces règles transversales, l’obligation d’information préalable des candidats sur les méthodes de recrutement qui seront utilisées est assurément capitale. Une telle obligation s’inscrit au passage dans le droit fil du principe de transparence qui gouverne les opérations de recrutement dans la fonction publique et tout particulièrement les opérations de concours s’agissant desquelles les candidats connaissent par avance le programme des épreuves et peuvent donc s’y préparer. La nécessité de recourir aux seules techniques de recrutement indispensables à l’identification des qualités professionnelles et l’obligation de garantir la confidentialité auprès des tiers des résultats ainsi obtenus constituent aussi d’autres règles importantes. On pourrait également citer la nécessité de protéger la vie privée des candidats. Cette exigence pose bien sûr la question du sort à réserver à la conservation des données personnelles qui seront ainsi recueillies et éventuellement compilées par les administrations. Et il appartient donc à celles-ci de se conformer sur ce point aux prescriptions du règlement général sur la protection des données. La protection de la vie privée pose aussi la question de la nature des informations que les employeurs publics sont juridiquement fondées à rechercher. La visibilité numérique des informations relatives à un candidat ne les empêche en effet pas nécessairement de relever de l’intimité de la vie privée. Et il va de soi que les employeurs publics comme les employeurs privés ne sont pas fondés à recueillir à propos des candidats tout type d’informations utiles à la sélection professionnelle. La jurisprudence administrative relative au contentieux disciplinaire dans la fonction publique a tracé en matière d’informations obtenues après consultation des réseaux sociaux une ligne de conduite fondée sur une distinction entre les informations diffusées dans les espaces privés et celles diffusées dans les espaces publics. Cette ligne de conduite jurisprudentielle - certes délicate à mettre en œuvre - pourrait être transposée sur le terrain du recrutement. Enfin, la mise en œuvre de ces techniques de recrutement exige de respecter à une règle propre à la fonction publique : le principe d’égale admissibilité aux emplois publics. Cette règle cardinale commande aux employeurs d’appliquer de manière identique à tous les candidats les techniques d’e-recrutement qui seront mises en pratiques.

Sans même évoquer les conditions de légalité qui doivent présider à toute opération de sélection professionnelle dans la fonction publique, faut-il laisser « carte blanche » aux employeurs publics pour déterminer la pertinence de la méthode de sélection mise en œuvre ? Dans l’éventail des techniques de sélection professionnelle hors concours, le sourcing et le background check ne représentent que des procédés parmi d’autres. Aux côtés de l’entretien individuel d’embauche, on pourrait citer toute une série d’autres méthodes allant des tests graphologiques ou psychotechniques jusqu’à la réalisation d’exercices individuels ou collectifs « ludifiés » en passant par l’observation du candidat durant une journée complète d’immersion dans l’organisme d’accueil. Toutes ces méthodes ne se valent pas. Et on peut craindre que dans ce domaine les effets de mode amènent parfois les employeurs publics à se fourvoyer. Il serait à cet égard souhaitable qu’une intervention normative nationale vienne fixer quelques limites. Si la modernisation des modes de recrutement peut s’avérer utile à un management efficace de la fonction publique, leur harmonisation n’en reste pas moins nécessaire. C’est dire au fond que les évolutions managériales de la fonction publique ne sauraient se faire au détriment de l’exigence d’unité qui lui est traditionnellement attachée.

[1] V. La Lettre de l’Ecole de la GRH, n° spécial 2013, DGAFP, p. 6, https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/carrieres_et_parcours_professionnel/formation/ecole_de_la_grh/pdf/egrh-ressources/EGRH-Ressources-Prospectives_Numero-Special-Mai2013.pdf.

[2] Limitée à la recherche d’une incompatibilité manifeste avec l’occupation de l’emploi concerné, cette jurisprudence ne saurait cependant servir de fondement général pour refuser légalement le recrutement d’une personne dont les compétences n’auraient pas convaincu l’Administration.

[3] La jurisprudence judicaire a déjà eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur ce type de difficultés, v. Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 22 novembre 2017, n° 14/05062, v. Cour de cassation, chambre sociale, 25 nov. 2015, n° 14-21521.

[4] V. le décret n° 2019-1414 du 19 décembre 2019 relatif à la procédure de recrutement pour pourvoir les emplois permanents de la fonction publique ouverts aux agents contractuels.

[5] V. l’article 3-5 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat pris pour l'application des articles 7 et 7 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat.

[6] V. par exemple, l’article 2-6 du décret n° 88-145 du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale.

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