Revue

Dossier

La gouvernance territoriale des mobilités : tournant local et coopérations ?

Le 17 mars 2023

Les politiques publiques de mobilités doivent aujourd’hui relever plusieurs défis : le tournant local à organiser en termes de gouvernance au sein des territoires, la prise en compte des mobilités dans leur globalité autour de l’équation services-usagers et l’articulation des politiques de mobilités avec les objectifs de décarbonation. Décryptage des enjeux de mobilités en matière de gouvernance.

Résumé

Avec la loi d’orientation des mobilités (LOM), promulguée fin 20191, s’est ouvert un cycle d’approfondissement des politiques publiques de mobilités pour relever plusieurs défis : le tournant local à organiser en termes de gouvernance au sein des territoires, la prise en compte des mobilités dans leur globalité autour de l’équation services-usagers et l’articulation des politiques de mobilités avec les objectifs de décarbonation.

La loi LOM complète ainsi les dispositions de la loi MAPTAM du 27 janvier 20142, qui crée la notion d’autorité organisatrice des mobilités (AOM), et celles de la loi NOTRe du 7 août 20153, qui fait notamment de la région une collectivité chef de file. Elle s’articule désormais également avec les objectifs qualité de l’air de la loi Climat et résilience du 24 août 20214, mais aussi avec divers effets d’accords ou contractualisations noués à d’autres échelles (Stratégie nationale bas carbone [SNBC] adoptée en 2020, la programmation pluriannuelle de l’énergie [PPE] 2028 adoptée en 2020, le Pacte vert de l’Europe, les Accords de Paris de décembre 2015, etc.).

Ce cadre législatif et contractuel est par ailleurs largement interrogé par des réalités territoriales très diverses, à la fois en termes de flux et d’usages, d’où l’interrogation de la prise en charge de cette équation par les AOM et particulièrement les scénarios de gouvernance à réinventer.

Dans les faits, le temps presse, pas mal de voix s’élèvent notamment autour des grands espaces métropolitains, pour mettre en évidence l’insuffisance des réponses et questionner la cohérence et l’efficience de l’action publique. Il est intéressant de noter, à ce titre, que l’expression des acteurs est en train de basculer du « pourquoi » vers le « comment faire » ; preuve que le diagnostic est partagé. « Il n’est plus temps de la énième solution technique, il s’agit bien d’un changement de modèle. » 5

Les flux et usages associés aux questions de mobilités caractérisent le fonctionnement des territoires, ce qui en fait un enjeu déterminant pour les politiques publiques des collectivités territoriales en France mais aussi en Europe.

Récemment, l’éclairage des analyses liées au covid, la relance du contexte législatif et les défis liés au réchauffement climatique ont relancé un débat politique qui couvait.

Ainsi, le débordement de l’action autour des simples questions de transports publics, abordées de manière trop fragmentée, est désormais une évidence, mais il reste un pas à franchir pour passer de la théorie à la pratique, infléchir, voire rompre avec les trajectoires préétablies, et coller aux différentes réalités territoriales.

Pourtant, plusieurs facteurs objectifs expliquent les évolutions à prendre en compte pour apporter des réponses et anticiper les besoins de mobilités :

  • tout d’abord, la diversité des domaines qui composent les mobilités que ce soit en matière d’infrastructures ou de services, de flux de personnes ou de matières ; désormais la multimodalité, l’intermodalité, les modes actifs, l’électromobilité, le stationnement sont des concepts clés pour définir des feuilles de route efficientes et plus intégrées ;
  • la place occupée par les transports dans la construction intercommunale depuis plus de vingt ans s’est également largement affirmée ; or, cette échelle intercommunale d’exercice de la « compétence transports » est aujourd’hui dépassée sauf exception, les enjeux se situant aussi en périphérie et au-delà ;
  • parallèlement, le niveau régional a vu ses compétences élargies, accédant ainsi à un rôle de collectivité chef de file, en sus de ses autres responsabilités ;
  • l’émergence de l’usager potentiellement « opérateur » de ses déplacements interpelle par ailleurs les AOM sur les enjeux de sécurisation d’une offre-parcours mais aussi sur l’exigence de transparence et la garantie de l’accessibilité aux services ;
  • le levier de la question numérique avec la possibilité de parcours « clients intégrés » autour d’une billettique « MaaS » (Mobility as a Service) interpelle également la puissance publique sur sa capacité d’assemblage des systèmes en partenariat avec la multitude d’opérateurs autodésignés ;
  • les modèles économiques hérités du financement des transports avec la fiscalité associée doivent être modernisés, mais ils sont aussi à compléter d’une analyse transversale avec des propositions qui intègrent toutes les dimensions de la mobilité et ses nombreux coûts externes6 ;
  • enfin, les enjeux et les défis du changement climatique imposent désormais d’inscrire les politiques de mobilité dans une trajectoire de transition bas carbone tout en évitant de creuser les inégalités sociales notamment dans les espaces plus éloignés des centres urbains.

Ces évolutions majeures font de la mobilité une valeur inscrite désormais dans une logique de bien commun qu’il faut dès lors accompagner de modalités de gouvernance adaptée avec les dispositifs de régulation associés7.

Les éléments porteurs d’évolution

Le contexte décrit précédemment s’appuie sur des éléments concrets tel que le diagnostic de la situation territoriale, mais aussi l’impulsion donnée via le cadre réglementaire avec la boîte à outils associée ou encore les effets de la prise en compte des enjeux liés à la qualité de l’air et aux engagements climatiques.

Des territoires en mouvement

La question de la géographie et du fonctionnement des territoires est cruciale pour l’analyse. À ce titre, le nouveau zonage dit « aire d’attraction des villes » de l’Insee, qui mesure l’intensité des liens domicile-travail, permet de mettre en évidence une France métropolitaine qui regroupe au 1er janvier 2021 soixante aires de plus de 200 000 habitants (dont une douzaine de plus de 700 000 hab.). Si l’on ajoute l’Île-de-France, ces ensembles regroupent en gros les deux tiers de la population française.

C’est particulièrement à ces différentes échelles que se joue la question du devenir de l’organisation des politiques de mobilité. Sur le fond, les flux et les pratiques des usagers fabriquent des territoires qui dépassent déjà les limites institutionnelles, ceci est d’autant plus significatif à mesure que l’on progresse dans les strates démographiques avec des espaces de vie et d’urbanisation continus, qui constituent de grands ensembles urbains ou périurbains, jusqu’aux « grandes plaques métropolitaines ».

Ce zonage d’aire d’attraction des villes permet ainsi une première analyse sur le fonctionnement des territoires en retenant des situations caractéristiques par région, avec et autour des métropoles et des principales intercommunalités urbaines notamment. C’est en effet autour de ces dernières que se dessinera la nouvelle ambition publique, mais c’est aussi là que les situations et la fragmentation sont les plus complexes.

À titre d’exemple, avec le cas de la région Nouvelle-Aquitaine, on observe une réalité territoriale qui repose sur trois niveaux :

  • la « plaque métropolitaine » bordelaise ;
  • cinq entités territoriales de type bassins de mobilités qui dépassent les 200 000 habitants ;
  • une douzaine d’entités territoriales qui dépassent 50 000 habitants et qui pour certaines sont reliées aux précédentes (Niort et Rochefort avec La Rochelle, par exemple).

Chacune de ces situations induit ou peut conduire à une réflexion sur le mode d’organisation, les complémentarités et les coopérations à nouer pour piloter de manière optimisée des politiques de mobilités plurielles reliées les unes avec les autres.

Pour la plaque métropolitaine bordelaise, qui a engagé des réflexions de coopération avec les territoires environnants, on constate que le périmètre des 28 communes de Bordeaux Métropole est très éloigné du périmètre d’aires d’attraction des villes (275 communes), à l’instar de la plupart des métropoles. Dans ce cas, la nouvelle organisation et la trajectoire de la feuille de route sont à trouver entre des attentes « centre » réévaluées et la projection d’une vision, d’un programme d’action et d’une concertation continue à grande échelle, dans une construction forcément partenariale.

C’est cette deuxième option qui se noue en Nouvelle-Aquitaine avec le syndicat Nouvelle-Aquitaine Mobilités (NAM), crée en 2018, et l’articulation d’un partenariat avec le niveau régional, l’intercommunalité et le département de la Gironde. Le défi est d’ampleur, il faut à l’amont que chacun ait précisé son niveau d’implication et l’articulation avec ses compétences propres, assurer le développement des chantiers pour tous (corridors périurbains et report modal, MaaS, etc.), faire vivre les feuilles de route de chacun aux différentes échelles et si possible assurer une fonction d’ingénierie auprès des territoires… Sans oublier l’adaptation nécessaire du cadre statutaire et financier… C’est pourtant bien cette ambition vers un dispositif plus intégré qui est à l’ordre du jour en Nouvelle-Aquitaine avec la validation d’une commission locale « Bordeaux-Gironde » dès le début 2023 au sein de NAM. Le scénario retenu sera passionnant à observer, puisqu’il conduit à dépasser le cadre strictement technique des syndicats régionaux plus classiques.

Il est intéressant de relever par ailleurs, à partir de l’illustration du cas bordelais, les prises de position récentes de divers acteurs en faveur d’un dispositif de gouvernance apte à prendre en charge les mobilités plurielles pour éviter le « séparatisme territorial » 8.

Le contexte législatif et partenarial

Dans ce nouveau panorama, l’État reste un acteur déterminant, du fait de sa position d’arbitrage en matière de grands projets d’infrastructures et d’équipements, de son rôle dans les démarches de contractualisation, mais également pour accompagner les scénarios d’évolution locale où la complexité des enjeux est exacerbée, notamment autour des grands espaces métropolitains et urbains.

De même, la responsabilité de l’État dans l’adaptation possible du cadre réglementaire et financier sera mise à l’épreuve dans la réorganisation à opérer, y compris pour atteindre l’ambition contractualisée en matière d’engagements climatiques. Il n’est pas certain que tout puisse se réaliser à législation constante, certains supports de fiscalité devant également être révisés (le versement mobilité additionnel, par exemple). Enfin, la question des modèles économiques et du financement est posée avec des solutions souvent déjà étudiées9.

Par ailleurs, l’objectif de décarbonation pour les déplacements du quotidien s’inscrit dans un contexte d’inégalités sociales et territoriales préexistantes du point de vue des émissions de CO2 et de la dépendance à la voiture ; l’implication stratégique de l’État au côté des collectivités sera donc décisive pour faire converger politiques de transition et mesures d’accompagnement effectives afin de ne pas renforcer ces inégalités.

L’évolution du contexte législatif récent a, par ailleurs, une double conséquence avec l’affirmation d’un rôle renforcé du niveau régional en tant qu’autorité dite chef de file et, plus récemment, la possibilité offerte aux communautés de communes de se doter de la compétence. À ce jour, on constate une France en partie coupée en deux avec au nord une relative généralisation des communautés de communes qui ont pris la compétence et au sud des régions qui occupent plutôt ce champ d’AOM locale ; les deux situations sont établies mais elles vont déboucher sur des scénarios d’organisation différents, en particulier du point de vue du rôle et de la gouvernance des bassins de mobilité et donc des partenariats à organiser. À mesure des avancées, on peut imaginer que l’État et ses outils accompagneront les prochaines étapes en matière d’ingénierie et de contractualisation notamment.

Le rôle de la région est par ailleurs conforté avec simultanément la compétence ferroviaire, la fonction de chef de file mobilités en tant qu’autorité organisatrice régionale, la position d’AOM locale en lieu et place des communautés de communes selon le cas, et en complément de ses compétences préexistantes en matière de planification et d’aménagement. De ce fait, les régions ont les cartes en main pour jouer un rôle déterminant d’animateur et d’organisateur des politiques de mobilités dans un tandem partenarial avec les AOM locales et en lien avec les départements volontaires. Le rôle de la région sera, par exemple, déterminant sur les questions de coopération interterritoriales et le suivi des dispositions pour les territoires peu denses (interurbain et mobilités partagées), tout autant que dans les convergences à trouver avec les espaces métropolitains.

L’un des premiers chantiers pour les régions en tant « qu’animatrices territoriales » a consisté à préciser le contenu des bassins de mobilité, mais aussi à prévoir leur articulation avec des contrats opérationnels de mobilités qui assurent convergence des projets et moyens à contractualiser. Dans les premières analyses, comme en région PACA ou en Occitanie, les périmètres des bassins de mobilités ont été l’occasion d’un travail sur les modalités, a priori par regroupement des niveaux intercommunaux et autres critères, simultanément à la mise en place des dispositifs de type comité des partenaires et instances de concertation.

Ces nouveaux dispositifs devront nourrir efficacement une orientation stratégique à la mesure des enjeux et la construction d’une connaissance partagée des sujets, tout en prenant en compte les différentes situations territoriales auxquelles le niveau régional est confronté.

Pour les AOM métropolitaines et urbaines, la question principale réside dans la capacité à dépasser la feuille de route liée à leur « périmètre », qui en général mobilise déjà des moyens considérables, pour ouvrir sur des coopérations externes, en premier lieu avec le niveau régional et les intercommunalités parties prenantes du même espace. À la lecture d’un mi-mandat où les feuilles de route sont engagées, le risque est grand d’un repli « autocentré », voire d’un discours autour de la légitimité ou la complexité. Le difficile cheminement vers une coopération et une structuration adaptée passe forcément par une prise de conscience collective en lien avec les usagers et autour d’une démarche de projet de « nouvelle génération ».

Les objectifs de transition, un scénario 2030 très ambitieux…

L’urgence climatique surplombe désormais les réflexions sur le futur de la mobilité, avec pour orientation principale la participation du secteur des mobilités-transports (voyageurs et marchandises) à l’objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % par rapport à 1990…

Cet objectif est particulièrement ambitieux et difficile à atteindre à l’horizon 2030, les diverses sources d’analyse s’accordant autour de l’idée que le levier de l’efficacité des systèmes et l’approche par l’offre ne seront pas suffisants ; ce qui implique de revoir ces objectifs en intégrant la demande de mobilités et d’ouvrir ainsi vers la question de la sobriété10.

La neutralité carbone ne pourra donc être atteinte qu’en associant a priori une plus grande sobriété d’usage aux progrès technologiques et à une meilleure efficience des offres. C’est donc bien la question des comportements et des usages qui est interrogée simultanément, avec pour corollaire la question de la diversité des situations territoriales et celle des inégalités sociales. Les différents travaux et études menés dans ce domaine montrent que l’adhésion des habitants et usagers est et sera conditionnée à une répartition jugée équitable des efforts collectifs, ainsi que par la mise en place de mesures d’accompagnement préalables très poussées.

Le constat est clair, les défis et engagements climatiques doivent conduire à optimiser et articuler les objectifs de qualité de l’air, la mobilité dans sa globalité et l’aménagement ou le management des territoires.

« L’espace des flux n’est pas un espace technique surimposé à l’épaisseur sociale des territoires. » 11

Des clés pour l’organisation du système des mobilités entre collectivités

En complément des quelques éléments d’appui pour caractériser le contexte des mobilités à l’heure des engagements climatiques et de la métropolisation des territoires, les AOM disposent de plusieurs atouts et retours d’expérience pour engager la prochaine étape : la nécessaire approche globale des questions de mobilités, la planification territoriale, et les outils et dispositifs aptes à la structuration du partenariat institutionnel avec son volet concertation.

Aborder l’ensemble des mobilités

La transformation des questions de transports collectifs classiques en une palette de services multiples, de même que l’intégration des questions liées aux engagements climatique impliquent une obligation d’actualisation ou de fabrication d’un tableau de bord des mobilités élargi.

Les composantes de ce dispositif illustrent la diversité des thèmes à aborder, l’obligation de l’organisation de la permanence de l’outil et les besoins de compétences à intégrer. Il ne s’agit pas de ce fait de simplement d’élargir les compétences des actuelles AOM, mais bien de transformer profondément leur prise en charge politique, et la gouvernance associée.

« Il est clair qu’une gouvernance de la mobilité plurielle reste à inventer. » 12

Finalement, l’aboutissement de la prise en compte de la mobilité dans sa globalité consistera à relier efficacement tous les supports d’offres, pour certains encore émergents, avec le système de transport préexistant et ses infrastructures, y compris gares, stations et arrêts. Le ferroviaire (RER), les cars express et les transports interurbains, les transports scolaires et urbains, et le transport à la demande constituent ainsi le réseau primaire des mobilités.

La question de la place de la voiture, en tant que composante du réseau à l’échelle d’une aire d’attraction des villes ou d’un bassin de mobilités, fait également partie intégrante des éléments du schéma stratégique : il s’agit dès lors de faire évoluer l’intermodalité, le ou les dispositifs de covoiturage, le stationnement (+ infrastructure de recharge de véhicule électrique – IRVE), la voirie, etc. Dans les faits, ce scénario ouvre potentiellement le partenariat aux autres collectivités compétentes, dont les départements qui sont souvent très actifs sur ces sujets.

Cette stratégie d’une approche globalisée des réseaux est enfin complétée du déploiement des mobilités actives vélos, mobilités hybrides et piétons, aux différentes échelles, y compris, là aussi, en organisant simultanément l’offre de services et l’aménagement de l’espace public.

Si l’on articule cette approche réseau intégrée avec la question territoriale, il est plus facile de mettre en évidence des projets leviers forts qui assemblent mieux les enjeux de l’urbain et du périurbain ; par exemple, un travail de fond sur les potentiels de reports modaux de corridors périurbains (voir la démarche engagée en Nouvelle-Aquitaine) est plus facilement conciliable avec la réglementation de zone à faibles émissions (ZFE) d’une zone urbaine (avec les dispositifs d’accompagnement véhicules).

Une planification stratégique simplifiée et clarifiée

La planification des mobilités n’a pas échappé à la fragmentation sectorielle constatée, avec en complément la question des temporalités et celle du statut des documents, par ailleurs calées souvent sur des échelles géographiques également différentes.

Le plan de mobilité (PDM), qui constitue le référentiel de base, s’inscrit bien dans la hiérarchie des documents de planification, mais on peut observer son caractère transversal, intégré et multi-échelle. Si l’on ajoute à ce constat l’impératif de disposer d’un outil apte à assurer la cohérence du développement spatial avec celle de la mobilité territoriale, le cahier des charges devient très ambitieux.

Plusieurs hypothèses sont envisageables à relier à la notion de bassin de mobilité d’un côté, à l’articulation du niveau régional et des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) de l’autre, sans oublier l’échelon de la planification intercommunale. Parallèlement, la question du rôle des syndicats de SCoT pourrait être posée lorsqu’ils mobilisent l’interterritorial dans le cadre de leur projet stratégique mais aussi en tant que plateforme d’échanges.

Quel que soit le scénario retenu pour organiser la gouvernance des mobilités à une nouvelle échelle, la planification stratégique sera déterminante, de manière à concilier action concrète et vision moyen terme, dans la durée.

Il faudrait proposer, à l’instar de ce qui s’esquisse dans certains territoires, la création d’un document de référence simplifié qui articule les différents niveaux et pose les enjeux de flux comme constitutifs de la fabrication territoriale. Cet outil pourrait déboucher sur un volet de programmation garant de la coopération avec, pourquoi pas, une révision régulière. Le document pourrait ensuite être repris et complété pour faire le lien avec les différents supports de planification, tout en conservant une capacité d’articulation avec les leviers de l’opérationnel.

Le choix d’un outillage à la carte, à faire évoluer

Même si des points d’adaptation s’avéreront nécessaires et si l’on excepte quelques situations spécifiques, le syndicat mixte SRU13 constitue une solution intéressante pour organiser un partenariat institutionnel et territorial. C’est un outil apte à sécuriser les différentes parties prenantes dans leur engagement, et à construire et assembler le projet et les réseaux préexistants.

La question de la place de la région et de l’articulation aux démarches de bassins de mobilités et contrats opérationnels de mobilité sera bien entendu cruciale.

Les scénarios d’évolution pour les AOM

Au niveau de l’organisation des AOM dans les territoires, quatre grandes familles de solutions peuvent être imaginées pour construire une nouvelle étape d’organisation, avec une possibilité de passer de l’une à l’autre :

  • le choix de l’élargissement d’entités préexistantes, à l’instar du Sytral Mobilités à Lyon (établissement spécifique) ou du Syndicat des mobilités Pays basque-Adour (SMPBA) à Bayonne, constitue une première hypothèse dans la continuité des réflexions autour de ce qui constitue le bassin de mobilité. Plutôt un scénario où l’une des collectivités a un rôle déterminant et où les périmètres sont déjà très vastes ;
  • le choix de l’outil syndicat SRU constitue une seconde voie pour organiser une coopération entre intercommunalités, faire évoluer un syndicat mixte fermé ou ouvert à l’occasion, ou pour toute autre raison qui conjugue l’ambition du dépassement du niveau intercommunal avec un objectif d’offre de service territoriale combinée et renforcée. Ce scénario peut être retenu pour tout ou partie des compétences mobilités. Le Syndicat des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG) à Grenoble illustre ce choix, par transformation d’un outil métropole en un syndicat mixte SRU, résultat d’une collaboration assemblant d’autres intercommunalités et le département de l’Isère. La démarche est plutôt « bottom up ». L’outil syndicat SRU peut aussi se concevoir via un déploiement régional et une hypothèse du type de NAM ; la structuration à partir de l’échelle régionale avec la possibilité d’articuler les différents niveaux via la création de commissions locales de mobilités constitue alors une autre modalité. Dans certains cas, la question de cette évolution a pu se poser à l’initiative de la région ou de l’État, notamment pour les grands espaces métropolitains, mais sans débouchés concrets à ce jour ;
  • enfin, dans l’urgence et la simplicité une première étape peut s’organiser via la signature de conventions entre AOM pour organiser des projets « prêts », ça peut être le cas autour du « débordement » des métropoles ou de situations spécifiques.

Conditions de réussite et comment faire ?

La conjonction des effets de la métropolisation, de la multipolarisation des zones urbaines et de la mise en évidence de l’importance des flux émanant des zones de moyenne ou de faible densité construit à des espaces interdépendants de grande ampleur. Cela conduit progressivement les AOM dites « centrales » à un basculement vers une prise en compte des enjeux en termes de mobilité et à une action concertée à d’autres échelles, en lien avec le niveau régional, les départements, d’autres intercommunalités et, pour certaines situations, avec l’État. Et ainsi de renouveler les pratiques de coopération.

L’objectif de ce propos sur la gouvernance des mobilités n’est pas de déboucher pour autant vers une course au périmètre ou à la création de structures nouvelles ; bien au contraire, il s’agit de partir d’un diagnostic stratégique afin d’ouvrir vers une feuille de route partagée, articulant les différents horizons (le quoi !). L’expérience a montré l’importance du dialogue, du partage de la connaissance, pour basculer vers une construction collective (le comment). C’est à cette condition que le travail sur l’outil, les capacités, le statutaire et les mécanismes financiers prend du sens.

Nous avons ainsi essayé de mettre en avant, à partir de l’expérience de terrain, certains des éléments qui expliquent ou conditionnent la mise en mouvement des acteurs publics vers une nouvelle étape des mobilités, et les raisons pour lesquelles cela ne se serait pas possible sans une réinterrogation complète du fond et de la forme dans la plupart des situations mises en évidence, et ce, à partir de l’aire d’attraction des villes (un outil parmi d’autres) à l’échelle de la France métropolitaine.

L’analyse territoriale, le lien avec les usagers, la dynamique de l’offre, la place et le rôle des acteurs publics, et les engagements climatiques sont autant d’éléments d’appui pour le diagnostic initial. S’engager dans une approche globale des questions de mobilités sur un espace de vie à déterminer, articuler la planification territoriale sur le temps long avec la formulation d’un projet stratégique programmatique, repérer et maîtriser les leviers opérationnels sont autant de facteurs qui conditionnent la mise en mouvement. De même, la possibilité de disposer d’outils juridiques aptes à la construction politique et financière a été démontrée, et elle est plutôt un paramètre sécurisant pour ne pas rester au stade conventionnel.

Dans les cas mis en avant, dans la région grenobloise autour d’une métropole ou au sein de la NAM, la puissance d’un lieu d’échange et de décision unifié, dans la continuité, s’avère déterminante. Ce scénario se retrouve d’ores et déjà en fonctionnement ou en préparation dans d’autres dynamiques territoriales évoquées indirectement dans l’analyse (Sytral Mobilités à Lyon, SMPBA à Bayonne, Grand Chambéry, etc.)

  1. L. no 2019-1428, 24 déc. 2019, d’orientation des mobilités, dite « LOM ».
  2. L. no 2014-58, 27 janv. 2014, de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM ».
  3. L. no 2015-991, 7 août 2015, portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe ».
  4. L. no 2021-1104, 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi Climat et résilience ».
  5. Orfeuil J.-P., « Mobilités : de l’âge des possibles à un nouveau monde de la mobilité », in Landau B. et Diab Y. (dir.), Le nouveau monde de la mobilité, 2018, Presses des Ponts.
  6. Conseil scientifique TDIE, Engagements climatiques et mobilités : à la recherche du bien commun, note de travail, 16 janv. 2023, et Rapport sur le modèle économique des transports collectifs, dit « Rapport Duron », 2021.
  7. Conseil scientifique TDIE, Engagements climatiques et mobilités : à la recherche du bien commun, op. cit.
  8. Savary G., La ville inaccessible, 2023, Le Bord de L’eau.
  9. Voir Conseil scientifique TDIE, Engagements climatiques et mobilités : à la recherche du bien commun, op. cit., et le « Rapport Duron », op. cit.
  10. France Stratégie-CGEDD, Prospective 2040-2060 des transports et des mobilités 2022. 20 ans pour réussir collectivement les déplacements de demain, rapport de synthèse, févr. 2022.
  11. Vanier M., Demain les territoires. Capitalisme réticulaire et espace politique, 2015, Hermann.
  12. Offner J.-M., Anachronismes urbains, 2020, Les Presses Sciences Po.
  13. Syndicat issu de la loi no 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU ».
×

A lire aussi