La sécurité augmentée : pierre angulaire du futur des forces de l’ordre ?

Le 11 juillet 2021

Les nouvelles technologies sont aujourd’hui au cœur des enjeux mondiaux. Encouragées par les défis des grands évènements sportifs de 2023 et 2024 à venir, ainsi que par la récente crise du covid-19, les entreprises françaises comme les administrations publiques cherchent à se transformer et connaissent une explosion des usages du numérique : blockchain, intelligence artificielle (IA), IoT (« internet of things », l’internet des objets), 5G, drones ou encore robotique sont devenus des opportunités pour répondre de manière plus efficace aux nouvelles attentes des citoyens. Les acteurs de la sécurité se sont mis en quête de nouveaux outils leurs permettant d’innover et d’exploiter le potentiel des évolutions technologiques afin de construire une nouvelle « sécurité augmentée » à la hauteur des menaces qui s’érigent devant eux. Des grandes tendances prospectives appliquées aux politiques publiques de sécurité se dessinent. Sans viser l’exhaustivité, trois axes semblent particulièrement concernés par ces innovations.

Une généralisation des nouvelles technologies pour améliorer les processus métiers existants et la relation avec les usagers

La gestion de l’usager, notamment à l’aune de la crise sanitaire que nous traversons, questionne et exige une adaptation face aux nouvelles attentes de la population. Les actions lancées par le Gouvernement dans le cadre du Beauvau de la sécurité1 en font d’ailleurs un axe d’amélioration majeur. Renforcer la confiance des citoyens et propulser les agents dans une nouvelle ère permise avec les outils en mobilité et aux dispositifs numériques sont au cœur des enjeux.

Faciliter l’accès des usagers aux services publics

Il est possible de répondre à cet enjeu grâce à la mise en place d’outils numériques innovants et d’un accueil mixant physique et digital repensé en offrant, par exemple, à l’usager de nouvelles capacités d’alerter sur une situation dangereuse, d’effectuer des démarches à distance grâce à la dématérialisation, de correspondre en visio-conférence avec un policier ou un gendarme, ou encore de disposer de parcours d’accueil personnalisés en commissariat ou en brigade. Des services complémentaires permettraient aux usagers d’obtenir entre autres des informations sur le temps d’attente en temps réel ou encore sur les points de contact les plus proches.

Réinterroger le contact aux usagers et renforcer la proximité

La mise à disposition d’outils mobiles œuvre à l’amélioration des relations et des services de proximité proposés aux citoyens par les forces de l’ordre pour, là encore, faciliter les démarches des usagers tout en évitant de surcharger l’accueil physique. Ainsi, il convient d’offrir la possibilité aux agents d’effectuer les mêmes activités en mobilité qu’au commissariat ou en brigade grâce à des tablettes NEO (nouvel équipement opérationnel) « augmentées » (enregistrement de plaintes, procuration, prise d’empreintes, etc.). Des « commissariats itinérants » facilitant la rencontre avec les citoyens dans certaines zones reculées peuvent être imaginés.

Améliorer les conditions de travail et étendre le continuum de sécurité

Les nouvelles technologies optimisent le temps des agents dans leurs organisations de travail au sein des commissariats notamment (à l’instar des réflexions en cours sur un pilote de « commissariat du futur »). L’objectif est, entre autres, de renforcer le continuum de sécurité avec les acteurs locaux, d’améliorer la qualité de vie et la sécurité des agents (automatisation des armureries, sas d’accueil intelligents, systèmes de désinfection par rayons ultraviolets, etc.), de permettre une expérience usager rénovée (robots d’accueil, etc.) et d’être exemplaire en matière de transition énergétique à travers des solutions d’intelligence bâtimentaire.

L’objectif est donc de simplifier le quotidien des acteurs de la sécurité pour améliorer la qualité de leurs services auprès des citoyens. En corolaire, il s’agit d’inscrire l’usager dans le continuum de sécurité, dans une logique de coproduction de sécurité2.

Des outils intelligents plus performants pour augmenter les capacités de travail des agents

La délinquance évolue et est de plus en plus violente, mais elle se diversifie aussi, à l’instar de la cybercriminalité qui connaît une progression exponentielle. La société évolue tout autant en termes d’usages numériques, ce qui impacte nécessairement l’approche opérationnelle des forces, en central comme sur le terrain.

Les acteurs de la sécurité se doivent ainsi de réinventer et de transformer en profondeur les outils et les modes opératoires.

Utiliser la donnée et la « data-science » pour renforcer les capacités

L’IA se révèle être un véritable allié des policiers et des gendarmes dans le cadre d’enquêtes et, plus globalement, dans la prévention et la lutte contre la délinquance. Elle peut dans certains cas être utilisée pour le traitement d’un volume massif de données afin d’identifier plus rapidement un visage lors de recherche d’individus (dans un contexte d’alerte enlèvement, par exemple), de détecter une situation dangereuse ou, dans une foule, de repérer un individu au comportement anormal. L’IA peut aussi être intégrée aux centres de commandement dit « intelligents » : on peut penser à des IA permettant d’anticiper les évènements à l’échelle d’un territoire afin d’aider à la décision et de mieux allouer les ressources.

Plus particulièrement, l’IA peut aussi venir renforcer les capacités humaines dans le cadre du renseignement judiciaire pour détecter des signaux faibles ou des phénomènes sériels. Elle se révèle également efficace en la couplant à la réalité virtuelle. Dans le cadre d’une reconstitution de scène de crime numérique : il est possible de recréer comme si on s’y trouvait, une scène de crime3 à partir des photos prises et de l’ensemble des informations liées à la procédure. Ceci serait notamment utile aux enquêteurs pour construire des scénarios et travailler leurs hypothèses. Dans la sécurité publique et le maintien de l’ordre de demain : des agents équipés de lunettes intelligentes identifiant de potentiels fauteurs de troubles lors de manifestations (individus déjà condamnés pour ce type de violence, par exemple) ou scannant les plaques d’immatriculation de véhicules passant sur une route peuvent être alertés lorsqu’un véhicule figurant dans les bases des objets et véhicules signalés (FOVeS) est identifié.

Exploiter de nouveaux outils technologiques pour améliorer les méthodes d’investigation

Les objets connectés continuent de se multiplier exponentiellement, offrant de nouvelles sources d’informations et de renseignements utiles aux enquêteurs. De même, les drones permettent d’envisager de nouveaux usages facilitant la recherche de preuves dans le cadre d’enquêtes. Enfin, on peut imaginer pour les années à venir l’émergence de nouveaux outils comme les robots de détection de drogues, ou de nouvelles procédures d’expertises visant, par exemple, à l’identification des caractères morphologiques apparents d’un suspect à partir des traces d’ADN retrouvés sur une scène de crime.

Combattre une cybercriminalité polymorphe et en pleine expansion

La généralisation de l’utilisation des nouvelles technologies à des fins criminelles impose la mise en place d’outils innovants pour lutter contre les nouvelles formes de délinquance et anticiper leurs évolutions. La maîtrise des usages et le recours aux technologies de pointes (comme la blockchain et l’IA) sont des prérequis pour mener ou coordonner les investigations contre la cybercriminalité, réaliser une surveillance permanente du réseau Internet, s’infiltrer dans les réseaux criminels et terroristes mais également détecter et collecter les preuves des infractions qui peuvent y être commises. À titre d’exemple, la blockchain est utilisée pour mieux lutter contre ces nouvelles formes de criminalités connectées : en remontant à l’origine des nœuds de transaction dans le cadre de la lutte contre la délinquance en col blanc, ou encore pour sécuriser et tracer de bout en bout des échanges ou de matériel dans le cadre de certifications de documents ou de suivis de scellés.

L’automatisation de certaines tâches pour permettre aux agents de se recentrer sur leurs cœurs de métier

Que ce soit pour garantir la sécurité des citoyens, exercer des missions de maintien de l’ordre ou renforcer la sécurité aux frontières, les nouvelles technologies annoncent une nouvelle ère de la sécurité intérieure, grâce à l’automatisation de certaines activités. Le couplage des nouvelles technologies, de la captation massive de données jusqu’à leurs traitements va ainsi permettre aux agents de dégager du temps pour être au plus près des usagers et se focaliser sur leur cœur de métier.

Exploiter des données en temps-réel avec une variété de capteurs

Les fonctionnalités avancées offertes par les nouvelles technologies permettent dès aujourd’hui aux services de sécurité d’accéder automatiquement à des informations et données en temps réel, telles que des vidéos issues de capteurs externes (fixes ou mobiles) directement sur leurs terminaux. L’usage des caméras de vidéoprotection fixes dans différents lieux offre aux forces d’acquérir une intelligence opérationnelle permettant une meilleure répartition des forces et une efficience accrue. L’actualité a par ailleurs montré l’importance des caméras aéroportées mobiles dans les stratégies de maintien de l’ordre permettant de focaliser les forces sur les opérations. Le développement de la 5G induit aussi l’émergence de nouveaux capteurs IoT et donc de nouvelles perspectives.

Renforcer la sécurité et la fluidité des frontières

Les frontières telles que nous les connaissons aujourd’hui seront demain les instigatrices de nouvelles technologies de contrôles automatisés. En effet, du fait des mobilités croissantes et des nouvelles formes de risques, les polices aux frontières doivent réussir à concilier sécurité renforcée et fluidité pour les usagers. Ainsi, les technologies blockchain avec l’accès à l’ensemble des données d’un passager permet une gestion des flux intelligente (personnalisation et automatisation des itinéraires usagers). L’IA combinée à des drones autonomes dotés de capteurs adaptés permet également d’automatiser une partie du contrôle des mouvements aux différents types de frontières afin d’aider à l’identification de menaces telles que les trafics illicites, le terrorisme ou encore l’immigration illégale.

En synthèse, les technologies de pointes utilisées dans un ensemble cohérent et sécurisé permettront de nouveaux usages, augmentant et améliorant l’action et les interventions des forces de sécurité vers une « sécurité augmentée » en réponse aux nombreux défis qui leurs sont lancés : prévenir et lutter contre le terrorisme, faciliter le travail d’enquête, combattre la cybercriminalité, agir contre la massification de la « délinquance du quotidien », garantir la sécurité et l’intégrité des agents, etc. Elles impliquent en conséquence des avancées réglementaires, voire idéologiques, ainsi qu’une ré-interrogation des doctrines d’emploi, voire des organisations (unification du continuum de sécurité, renforcement de la chaîne pénale, coordination et coopération territoriale, nationale et internationale, etc.).

En effet, le cadre réglementaire actuel (notamment le Code de la sécurité intérieure) ne permet pas en l’état de bénéficier pleinement des nouveaux usages permis par les nouvelles technologies. Son évolution juridique apparaît donc comme nécessaire pour créer aux forces de sécurité un cadre d’utilisation en adéquation avec le potentiel offert par les nouvelles technologies tout en respectant les libertés individuelles.

Ces technologies nécessitent également la mise en œuvre de nouvelles méthodologies de projets plus agiles ainsi que de nouvelles compétences souvent rares qu’il s’agit de renforcer au sein des institutions.

Enfin la conduite du changement, notamment la formation, et la nécessité d’un appui managérial fort pour permettre aux agents d’appréhender les nouveaux outils et les nouvelles doctrines induites par l’innovation est un facteur clé pour pérenniser les nouveaux usages et permettre d’utiliser au mieux les nouvelles technologies.

  1. Le président de la République a annoncé le 8 décembre 2020 la tenue du Beauvau de la sécurité. Dans la continuité du livre blanc de la sécurité intérieure, cet événement est l’occasion de moderniser la politique publique de sécurité au bénéfice des policiers, des gendarmes et de l’ensemble des Français. Au total, ce seront huit tables rondes thématiques qui seront organisées et diffusées en direct sur les réseaux sociaux du ministère en 2021. Elles réuniront l’ensemble des organisations représentatives de la police nationale, de la gendarmerie nationale ; quatre élus nationaux et quatre élus locaux ; une vingtaine de personnalités qualifiés et huit experts internationaux.
  2. Rapport Fauvergue-Thourot, Faire du citoyen le premier maillon de la chaîne de sécurité, 2018.
  3. Ce jumeau numérique vient compléter les capacités des agents de police technique et scientifique (PTS) qui peuvent prendre des photos avec les tablettes NEO, reconstituer une scène de crime de façon virtuelle et modéliser chaque indice grâce à l’application Crim’in.
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