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Laissez-moi rêver : La relation parents/enseignants

Le 6 juillet 2020

La communication. Quel concept lourd de sens et si peu valorisé dans le monde de l’éducation ! Elle devrait pourtant se trouver au centre de notre système éducatif français. En tant qu’enseignants, nous devrions être des pros ! Pourquoi n’est-ce pas le cas dans la réalité ? Pourquoi avons-nous peur des parents autant que ce qu’ils peuvent juger notre profession ? Pourquoi estimons-nous devoir « nous protéger » des acteurs primaires de l’éducation de nos élèves ? Jeune entrante au sein du système français en tant que professeur des écoles en classe de CM2, j’ai enseigné cette année à mi-temps dans une école primaire privée marseillaise de 350 élèves. Bientôt diplômée d’un master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Education et de la Formation), une licence d’économie en poche et un bagage en animation, la question de la relation parents / enseignants me questionne de plus en plus.

 

Un triste constat

« Oh mais les parents... ». Combien de fois ai-je entendu cette phrase sortir de la bouche d’un enseignant malgré ma très courte expérience en salle des profs ? Que signifient ces sous-entendus ? Les parents d’élèves pourraient proposer la meilleure idée de ce siècle sans que le corps enseignant n’y apporte d’attention (« Forcément, ce ne sont que des parents, ils n’y connaissent rien, ils ne savent pas ce que l’on vit et ne connaissent pas nos besoins... »).

Il y a quelques années, en observant le fonctionnement de notre système éducatif, un groupe de directeurs de commissions scolaires québécoises a constaté un défaut de communication particulièrement important entre les parents et les enseignants français[1].

Avec notre grande organisation bureaucratique et centralisée, il semble que nous ayons oublié de prêter attention aux premiers acteurs de la socialisation de nos élèves : « Chez vous, les parents restent sur le paillasson ! » affirment-ils. La période de Confinement de laquelle nous sortons à peine nous a imposé de nous adapter : une plateforme numérique pour échanger des documents, un outil de visioconférence, un téléphone portable et hop ! C’était parti ! Une question s’est alors largement posée dans le monde éducatif : comment savoir ce que les élèves font ou ne font pas ? Comment et à quel point pouvons-nous faire confiance  aux parents et réciproquement ? Il a bien fallut s’adapter. Ayant choisi d’appeler personnellement chaque élève, j’ai le souvenir d’une maman avec laquelle j’ai passé plus d’une heure seulement pour la rassurer. Elle ne savait comment réagir et quoi faire pour aider son fils, récemment diagnostiqué dyslexique. Un échange. Un simple échange verbal. J’ai reçu bon nombre de remerciements. Au-delà de la confrontation ancestrale entre les deux acteurs primaires de l’éducation, une collaboration serait-elle envisageable ? Laissez-moi rêver.

Quelles possibilités ?

Alors, quelles pourraient être les clefs de cette collaboration ?

Notre ministre de l’Education, Monsieur Blanquer, parle de « l’Ecole de la Confiance »[2]. Où est passée cette confiance mutuelle entre les enseignants et les parents d’élèves ?

Il me paraît essentiel de miser sur la communication (vous savez, celle par laquelle j’ai initié mon propos). Pour communiquer, il faut faire confiance. Et pour faire confiance, il faudrait ouvrir les portes des classes aux parents de nos jeunes élèves. Cela se pratique déjà dans certaines écoles en Italie, au Canada, en Allemagne[3] et même dans certaines écoles en France. Dans le troisième arrondissement de Marseille (un quartier populaire), une école primaire propose des « cafés parents » régulièrement : un temps d’accueil et d’échange avec les enseignants et la direction. De plus, les enseignants invitent même les parents qui le souhaitent à venir passer 1 heure avec eux pendant les cours ! Cette formule permettrait aux parents de mieux accompagner leurs enfants dans les apprentissages. Les parents ne sont pas des ennemis qui cherchent à tout prix à juger négativement le travail des enseignants. Ils ne sont en contact avec l’école que pour une seule chose : l’avenir de leur enfant.

Cette relation à construire peut apparaître comme un idéal utopique. Il est en réalité atteignable dans n’importe quelle école et dans n’importe quel milieu social. Un climat de confiance mutuelle et de compréhension peut être, partout, la clef d’une coopération et d’un suivi adapté à chaque élève. Dans les quartiers moins favorisés, l’école revêt un aspect social important. En effet, pour enseigner, il faut intéresser les élèves. Avec le confinement, toutes les interrogations sont aujourd’hui tournées vers la manière dont il est possible d’intéresser de nouveau les élèves « décrocheurs » (désormais célèbres bien qu’invisibles).

Manifestement, l’enseignement à distance ne suffit pas. Afin d’assurer le suivi scolaire de tous et l’accompagnement de chacun, je crois réellement à l’instauration d’une collaboration parents/enseignants dès la rentrée prochaine.

M’inspirant de ce rêve, je ne cesse de me demander ce qu’attendent les parents. Quels sont leurs besoins ? Comment pouvons-nous nous entraider ? Il serait temps de mettre la coéducation au goût du jour dans l’enseignement. Une relation bienveillante entre les acteurs en est la clé principale. Une école dans laquelle la confiance, la bienveillance et la communication seraient les 3 piliers principaux ? Laissez-moi rêver.

Une « école à la carte » et sa suite ?

La période de confinement que nous venons de vivre a permis à de nombreux enseignants d’innover et de trouver des solutions pour stimuler leurs élèves. A la sortie de cette crise, les écoles se sont organisées. Dans la mienne, les élèves ayant choisi de réintégrer les locaux ont été répartis en 2 groupes : les verts viennent les lundis et jeudis pendant que les bleus viennent les mardis et vendredis. En parallèle, l’enseignement à distance est toujours assuré : un programme par jour proposé aux élèves et des retours individualisés pour chaque tâche accomplie. Ajoutez à cela un soupçon de règles d’hygiène incontournables (distanciation physique permanente, sens de circulation dans la classe et l’établissement, lavage de mains à chaque déplacement, désinfection des tables et chaises aux récréations...) et le tour est joué ! Manifestement, cela convient à beaucoup de familles pour le moment. La communication établie entre les parents et les enseignants perdure, de même que la confiance qui s’est également installée. Cela permet aux parents d’assurer les apprentissages de leur enfant en fonction de la forme scolaire qu’ils ont eux-mêmes décidé d’adopter. Cette période aura-t-elle initié une esquisse de collaboration vouée à devenir une communication durable ? Laissez-moi rêver.

L’expérimentation que chaque établissement mène jusqu’à la fin de l’année scolaire est incertaine. Cela va-t-il fonctionner ? Comment vont réagir les enseignants si ce format est reconduit pour la rentrée de septembre 2020 ? Chacun va-t-il continuer à assurer une formation en présentiel mais également en distanciel ? Chacun va-t-il continuer à utiliser les outils numériques autant que ce qu’il l’a fait pendant le confinement ? Et pour ceux qui n’en étaient pas dotés, comme cela va-t-il évoluer ? Quel rôle allons-nous tenir ? Quels rôles vont adopter les parents ? Quels sont les bénéfices et les limites de l’enseignement à distance ? Autant d’interrogations qui restent sans réponse et qui angoissent de nombreux professeurs. Nul ne sait ce qui sera préconisé dans les prochaines semaines. La transformation sociétale que nous vivons aura sûrement une grande influence sur le système éducatif à venir.

D’un naturel optimiste, je pense à une école qui proposera des rendez-vous aux parents en dehors du 16h30 habituel (impossible à tenir pour les parents qui travaillent), pourquoi pas en visioconférence, une école dans laquelle les parents et les enseignants font corps pour se focaliser sur les apprentissages des enfants, une école dans laquelle chacun porte un regard bienveillant envers l’autre. Une école dans laquelle chacun a sa place et apporte sa pierre à l’édifice. Une école où la communication est au centre des préoccupations. Laissez-moi rêver.

 

[1] BOUVIER, Alain. Propos iconoclastes sur le système éducatif français. Paris : Berger-Levrault, 2019.

[2] LOI n° 2019-791 du 26 juillet 2019

[3] Opus cit

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