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Le statut de l’élu local, un assemblage complexe

Le 4 avril 2019

Dispositif juridique complexe, le statut de l’élu local est aussi un ensemble de représentations symboliques. Ce statut s’est construit progressivement au fil des grandes étapes de la décentralisation. Décryptage de l’évolution du statut.

Résumé

Le statut de l’élu local a tout d’un assemblage complexe. Il n’est pas simplement le produit de lois qui visent à reconnaître des droits subjectifs aux acteurs locaux (indemnités, droit à la formation, etc.). Il est composé d’un ensemble de textes qui permettent à l’élu d’agir administrativement et se tenir debout politiquement.

Le statut de l’élu local a tout d’un assemblage complexe : il réunit des éléments juridiques hétéroclites, politiques et sociaux qui concernent un groupe hétérogène dans lequel on retrouve aussi bien un président de région qu’un adjoint au maire d’une commune de 200 habitants.

C’est d’abord un ensemble de lois qui se sont sédimentées, afin de fixer les droits et obligations d’un groupe d’élus. Ces textes concernent aussi bien les déclarations de patrimoine et d’intérêts que l’affiliation des élus au régime de la sécurité sociale, différents régimes d’indemnités, les conditions d’éligibilité, la formation des représentants locaux, la prise en charge des accidents, la protection des élus d’opposition, le régime de retraite, les attributs de fonction, la protection en matière de responsabilité administrative ou pénale. Depuis les lois de 1982-1983, nous avons assisté à une extension continue du dispositif juridique, afin de mieux protéger les droits et responsabiliser les élus locaux.

Toutefois, le statut de l’élu local ne se réduit pas seulement à ce dispositif juridique complexe. C’est aussi un état qui, selon l’étymologie, permet à l’élu local de se « tenir debout » devant ses électeurs. Le statut est donc une position dans l’espace politique qui résulte de la fonction de représentant. Désigné par un vote, l’élu agit et décide et doit répondre de son action. À la fois cadre juridique et ensemble de représentations symboliques, le statut de l’élu s’est construit progressivement, suivant les grandes étapes de la décentralisation.

Au début de la troisième République, c’est à partir d’un modèle de l’État républicain libéral que se façonne un premier statut de l’élu, comme agent administratif, dans le cadre de la grande loi du 5 avril 1884. Dénonçant la centralisation autoritaire, le législateur veut créer les conditions d’une République durable par l’apparition d’un nouveau modèle d’administrateurs locaux : l’élu, représentant de l’intérêt général.

Le statut de l’élu a donc été profondément modifié depuis ces vingt-cinq dernières années. L’enjeu est sans aucun doute une meilleure reconnaissance de celui qui agit administrativement au quotidien. Cette approche fonctionnaliste et administrative a néanmoins une limite essentielle : elle ne tient pas compte de la dimension politique de l’activité de l’élu.

En 1982, le législateur prend conscience du fait que ce modèle républicain ne peut permettre la relance d’une décentralisation effective qui conduit aux renforcements des compétences et des responsabilités des élus. Dix ans plus tard, la loi du 3 février 1992, relative aux conditions d’exercice des mandats, crée un statut juridique de l’élu local, tout en restant dans la logique du modèle administratif. Depuis, de nombreux textes se sont succédés et constituent un corpus juridique important. Mais pour les élus locaux comme pour les parlementaires, il manque quelque chose à la reconnaissance de leur office.

Tout d’abord, sachant que l’on compte près de 600 000 élus locaux, et que l’on dénombre un peu plus de 430 000 conseillers municipaux dans des communes de moins de 3 500 habitants, on peut douter de l’existence d’un statut efficace de l’élu local, car le législateur a voulu construire un corpus de règles uniformes plutôt que de développer un statut particulier pour les présidents d’exécutifs locaux. Ce choix est aujourd’hui discutable car se constate une hétérogénéité des postes : le vocable d’élu local désigne de multiples réalités.

Par ailleurs, au-delà de la diversité des situations, les analyses juridiques et politiques dressent un état des lieux mitigé. S’il est incontestable que tous les problèmes mis en exergue par les différents rapports parlementaires (indemnités, protection sociale, droit d’absence) ont reçu des réponses législatives sérieuses, le malaise profond des élus persiste. Comme l’avouent certains parlementaires1, un changement de référentiel dans la manière d’aborder la problématique du statut de l’élu est nécessaire.

Probablement le modèle du statut d’un élu-agent administratif est-il arrivé à son terme ? Certes, des aménagements sont encore possibles, mais c’est plus fondamentalement la question de l’élu en tant que remplissant une fonction politique dans un État de droit, qui doit être posée et retravaillée. Alors que la lassitude des élus locaux est de plus en plus importante (voir le rapport annuel du CEVIPOF, 2018), imaginer un nouveau cadre pour le statut de l’élu devient indispensable à l’exercice de leurs mandats locaux dans les meilleures conditions.

Nous essaierons de montrer que le statut de l’élu local peut s’articuler autour de deux postures complémentaires : celle de pouvoir agir administrativement, celle de pouvoir tenir debout politiquement.

Pouvoir agir administrativement

Depuis la troisième République, la décentralisation a été pensée « comme une manière d’être de l’État »2. Selon cette conception, l’élu local se présente comme l’acteur clé de l’administration locale. Disponible, toujours présent, l’élu local s’est vu reconnaître progressivement différents régimes d’indemnités.

La plupart de ceux que nous appelons « maire, président de conseil général, président de conseil régional » consacrent toute leur énergie et toute leur vie à la bonne marche administrative de leur collectivité. Très vite, la compatibilité avec l’activité professionnelle se pose. Si pendant longtemps les élus se recrutaient dans les cercles des notables, des retraités ou encore des fonctionnaires, la montée en puissance des responsabilités locales a conduit à une professionnalisation de l’élu. À la figure de l’instituteur républicain élu local, s’est superposée celle du manageur, en permanence en action, capable de fédérer les énergies de son équipe. Avec cette mutation de la fonction d’élu, se sont posées les questions du temps et du savoir-faire des acteurs locaux.

L’augmentation de la charge de travail a nécessité la mise en place de garanties qui visent à permettre à l’élu de pouvoir consacrer un minimum de temps aux affaires locales. De nombreuses dispositions du Code général des collectivités territoriales (CGCT) ont organisé des mécanismes permettant aux membres des conseils de bénéficier d’autorisations d’absences et de crédits d’heures (CGCT, art. L. 2123-1 et s., R. 2131-1 et s. pour les conseillers municipaux ; CGCT, art. L. 3123-1 et s., R. 3123-1 et s. pour les conseillers généraux ; CGCT, art. L. 4135-1 et s., R. 4135-1 et s. pour les conseillers régionaux ; CGCT, art. L. 5211-3 pour les EPCI). Ce deuxième dispositif confère un véritable droit à l’élu de disposer d’un temps nécessaire à l’administration de sa collectivité ou de l’organisme dont il est en charge, car le crédit d’heures peut représenter la moitié de la durée légale du travail pour une année.

Parallèlement, le législateur est intervenu pour reconnaître aux membres des conseils, un « droit à une formation adaptée à leur fonction » (CGCT, art. L. 2123-12 et art. L. 3123-10 pour les départements et art. L. 4135-10 pour les régions). La complexification des compétences locales et le développement d’une fonction publique territoriale, conduisent à s’interroger sur la compétence même de l’élu. Alors que l’élection lui conférait traditionnellement une légitimité, le développement des responsabilités locales et des risques contentieux modifie les équilibres administratifs. Pour faire face aux experts administratifs dans des domaines aussi complexes que ceux de l’urbanisme, de l’environnement ou encore de l’action économique, l’élu local doit pouvoir se former afin d’être toujours en capacité d’initier des projets. S’il a le droit de ne pas tout savoir, il doit pouvoir acquérir un socle de connaissances qui lui permettront d’évaluer des situations et décider. Ce droit à la formation s’est transformé en obligation avec la loi du 31 mars 2016. L’article 17 dispose qu’une formation est obligatoirement organisée au cours de la première année de mandat pour les élus ayant reçu une délégation, sauf pour les communes de moins de 3 500 habitants. Le législateur a tiré les conséquences du caractère facultatif du droit individuel à la formation afin de forcer une plus grande partie des responsables locaux à acquérir les savoirs nécessaires pour piloter des politiques publiques de plus en plus complexes.

Si pendant longtemps les élus se recrutaient dans les cercles des notables, des retraités ou encore des fonctionnaires, la montée en puissance des responsabilités locales a conduit à une professionnalisation de l’élu. À la figure de l’instituteur républicain élu local, s’est superposée celle du manageur, en permanence en action, capable de fédérer les énergies de son équipe.

Cette évolution s’est accompagnée de mécanismes d’indemnités de fonction, et de remboursements de frais qui sont des éléments centraux du statut « moderne » de l’élu. Il est certain que l’augmentation de la charge de travail des élus devait être accompagnée d’une prise en compte financière. Bien que le principe du bénévolat soit maintenu afin que l’élu local échappe à une professionnalisation complète (CGCT, art. L. 2123-17), des dispositifs lui permettent d’obtenir des indemnités de fonctions qui varient selon l’importance de la mission mais aussi la taille de la collectivité locale. C’est l’organe délibérant, seul compétent, qui fixe discrétionnairement les montants dans le cadre de plafonds fixés par les textes3. En plus de ces indemnités de fonction, le législateur a prévu le remboursement aux élus de frais nécessités par l’exécution de mission ou de représentation. Enfin, la mise en place de régimes de retraite consolide la conception selon laquelle l’élu exerce aujourd’hui moins une occupation qu’un véritable métier, même si ce dernier mot est généralement récusé par les représentants des collectivités.

Le statut de l’élu a donc été profondément modifié depuis ces vingt-cinq dernières années. L’enjeu est sans aucun doute une meilleure reconnaissance de celui qui agit administrativement au quotidien. Cette approche fonctionnaliste et administrative a néanmoins une limite essentielle : elle ne tient pas compte de la dimension politique de l’activité de l’élu.

Tenir debout politiquement

L’élu local a besoin pour fonctionner d’un ensemble de conditions générales qui rendent possible l’édification d’un statut qui implique l’adhésion à des valeurs permettant la construction du lien représentatif, il suppose aussi un certain état du tissu local. Le statut de l’élu local prend appui sur le lien politique qui constitue sa substance. Or cette dimension politique est problématique pour de multiples raisons.

Historiquement, l’élection locale a été pensée comme une élection administrative dont la fonction principale était de permettre de désigner d’une manière objective, des personnes en capacité de mettre en œuvre les grandes réformes de l’État républicain.

Mais aujourd’hui, le lien représentatif semble grippé. La perte de confiance dans les élus nationaux a gagné les acteurs locaux et on conteste de plus en plus le mode de recrutement, leur compétence et même leur honnêteté. Alors que l’élection est un moment crucial dans le fonctionnement du système représentatif, le recul de la participation aux dernières votations locales, témoigne de cette dépréciation.

De surcroît, les transformations en cours du système de communication politique, notamment du fait de la médiatisation et de l’utilisation des réseaux internet, bouleversent le jeu entre le représentant et le représenté. Sans revenir sur la crise des gilets jaunes, on constate que même l’élu local éprouve de plus en plus de mal à agir dans la durée car la priorité est à l’immédiat.

Cette crise du lien politique ne signifie pas pour autant un effacement inéluctable de la figure de l’élu local. Le statut pourrait se redéfinir à partir de l’évolution d’un certain nombre d’éléments qui permettent à l’élu de se tenir debout politiquement.

Les assemblées locales sont, depuis quelques années, la cible de réformes remarquables. Qu’il s’agisse des communautés d’agglomération ou encore de la composition des assemblées régionales ou départementales, le législateur a essayé de faire évoluer les modes de scrutin et de représentation. Ainsi par exemple, le législateur a fait preuve d’innovation avec la loi no 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, en obligeant les candidats à constituer des binômes composés d’une femme et d’un homme. Cette disposition rompt avec la conception traditionnelle d’une démocratie locale cantonnant les femmes à un rôle d’appui, et leur permet d’accéder à des rôles à part entière.

Cette première étape devrait être poursuivie pour permettre que les assemblées locales deviennent les lieux privilégiés du débat et de l’échange politique. La primauté des exécutifs locaux a montré ses limites et beaucoup réclament un rééquilibrage institutionnel. Sur un plan normatif, il s’agit de permettre aux conseillers des assemblées locales de trouver une prise sur la décision locale et de n’être plus de simples enregistreurs. L’évolution de ce droit des assemblées locales et l’identification d’un statut d’élu d’opposition restent encore trop limitées4.

Derrière la question du statut de l’élu, c’est en fait toutes les questions du lien politique et des identités locales qui sont en jeu.

L’essentiel est d’améliorer les conditions de contrôle en amont, mais aussi en aval des décisions locales. S’il n’existe pas de mécanisme permettant d’engager la responsabilité politique des exécutifs locaux, le renforcement du cadre juridique de l’action locale a conduit à l’encadrement du pouvoir des acteurs locaux, d’autant plus que le préfet ou le juge n’est jamais loin. Ce dernier est devenu un véritable arbitre du jeu local et les conseillers des assemblées peuvent en s’appuyant sur les ressorts multiples de la légalité et avec la complicité des tribunaux administratifs, peser de plus en plus dans la délibération locale.

Le statut de l’élu local suppose enfin une clarification des dispositifs assurant les conditions de responsabilité juridique des élus. La montée en puissance de la responsabilité pénale ne peut, à elle seule, être une bonne réponse. Une réflexion sur le statut pénal de l’élu local passera par une interrogation sur la finalité précise de ce mouvement de responsabilisation. Si la préoccupation récurrente depuis une vingtaine d’années est de trouver de nouveaux coupables, le développement d’un cadre déontologique avec la loi du 31 mars 2016 contribue à donner à ce mouvement une dimension morale nouvelle. En précisant les normes de comportement que les élus locaux doivent adopter dans l’exercice de leurs fonctions, la charte de l’élu local redessine en profondeur son statut autour des mots « d’intérêt général, d’impartialité, de diligence, de dignité, de probité, d’intégrité et de responsabilité ». Derrière la question du statut de l’élu, c’est en fait toutes les questions du lien politique et des identités locales qui sont en jeu.

  1. Dallier P. et Peyronne J.-C., Rapport du Sénat sur le statut de l’élu local, 31 janv. 2012.
  2. Hauriou M., Décentralisation, in Béquet L. et Dupont P., Répertoire du droit administratif, t. 9, 1881, p. 472 et s.
  3. Lefevre A., « Rapport d’information fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur la formation des responsables locaux : un enjeu pour nos territoires », 31 déc. 2012, Sénat, session ordinaire de 2012-2013, no 94.
  4. Manson S., L’opposition dans les assemblées locales, 2012, LGDJ, Systèmes collectivités locales.
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