Revue
Anticipations publiquesL’équation difficile des élus à la transition écologique
L’Institut Paris Région a consacré la rencontre « Élus/élues en charge de la transition écologique, mission impossible ? », au croisement des points de vue entre décideurs et chercheurs sur la transition écologique et le rôle des élus locaux. Face à la complexité des enjeux et aux attentes grandissantes de la population, les élus doivent notamment concilier urgence et temps long, gérer la transversalité et embarquer les parties prenantes.
Beaucoup d’élus locaux se sentent esseulés face à l’impératif et à l’urgence de la transition écologique. Dans un contexte où leurs marges de manœuvre se réduisent, où la défiance des citoyens s’accentue et où croissent les attentes vis-à-vis du local, ils sont confrontés à la montée et à la complexification des enjeux et des risques climatique, énergétique, écologique, sanitaire, alimentaire, etc. Or, c’est le plus souvent à un seul élu, celui ou celle qui est en charge de la délégation à la transition écologique, qu’incombe la lourde tâche d’embarquer et de coordonner les différentes parties prenantes et de faire atterrir le projet local de transition écologique. Comment mener à bien ce chantier transversal dans la durée du mandat ? Comment concilier urgence et temps long ? Visibilité nécessaire et projets à long terme ? Comment gérer la transversalité et mobiliser des services qui croulent sous les urgences ? Comment construire des coalitions, au-dedans et au-dehors, avec les citoyens, les entreprises et les partenaires ? Face à ces défis, faut-il faire le choix d’une approche par « petits pas » ou d’une approche plus volontariste, au risque de clivages ? Pour répondre à ces questions, l’Institut Paris Région a organisé, le 15 décembre 2022, un déjeuner décideurs-chercheurs pour croiser les points de vue et ouvrir le débat en s’appuyant sur les principaux résultats et sur un retour d’expériences du programme (Dé)formations1.
Brigitte Guigou, responsable formation à l’Institut Paris Region, présente le retour d’expérience du programme (Dé)formations. Ce programme de recherche-action, porté par l’Institut Paris Région et La 27e Région et mené entre avril 2020 et avril 2022, visait à repenser la formation des élus. Il a mis en relief le difficile travail de l’élu consistant à mobiliser l’ensemble des parties prenantes (citoyens, société civile, autres élus, autres territoires) dans un environnement de plus en plus complexe et incertain. Le programme a réuni une chercheuse, Manon Loisel, ainsi que des acteurs engagés sur le terrain, un groupe de pairs afin de favoriser les échanges et d’inciter les élus à être acteurs de leur formation. (Dé)formation, une émanation du programme Construire au futur, habiter le futur2, et s’est déroulée en trois étapes : une enquête collaborative, la conduite d’une expérimentation et la création d’une documentation.
Formation ou mise en situation ?
Selon Anne-Claire Davy, sociologue et urbaniste, le premier étonnement provient d’un paradoxe : la complexité à laquelle doivent faire face les élus locaux alors même qu’ils ont très peu recours à l’offre de formation. Face à l’urgence des transitions écologique et démocratique, ainsi que l’imbrication croissante des enjeux et des échelles, l’élu affiche une certaine solitude. Face au recul des structures partisanes, la société civile s’organise et de véritables initiatives citoyennes naissent. Pour comprendre ce paradoxe, une trentaine d’élus de l’Essonne ont été interrogés. On leur a proposé une offre de formation fictive avec des promesses en termes d’objectifs et de formats, tout en prenant en compte leurs pratiques quotidiennes. L’enseignement principal : les élus ont moins besoin d’être formés que d’être mis en situation d’être « capables de ». Ils ressentent le besoin de faire équipe ; d’apprendre à fixer des orientations, à proposer des récits ; d’avoir accès à des formations sur mesure, adaptées au territoire ; de bénéficier de temps de partage entre pairs ; d’avoir plus de temps pour agir.
Face à ces innombrables situations d’une grande complexité, le sentiment d’impuissance a gagné certains élus dont chaque décision peut paraître dérisoire au regard de l’ampleur de la situation.
Le catalogue de formations destinées aux élus n’a que peu marché. L’Institut Paris Region en a donc tiré certains enseignements :
- il est important d’aider les élus à identifier leurs besoins de formation (auto-diagnostic) ;
- et transformer sa posture d’élu est une compétence stratégique, manquant d’outils. Le café inspirant sur l’urbanisme transitoire ou encore les binômes élus/agents pour mener une enquête sur des sujets tels que la méthanisation ou la mobilisation citoyenne constituent de bons exemples d’expérimentations en la matière ;
- les élus souhaitent mieux travailler avec leurs pairs.
Manon Loisel, consultante en politiques territoriales, enseignante à Sciences Po et responsable du cycle Territoires et mobilités de l’Institut de hautes études de développement et d’aménagement des territoires en Europe (IHEDATE), rappelle que lors des dernières élections municipales, dans les journaux, les tribunes sur l’absence de candidats se sont multipliées. Elle a alors mené une série d’ateliers sur les élus locaux dont les communes avaient besoin. Ces ateliers ont mis en relief une fiche de poste très – trop – chargée. En parallèle, la crise des Gilets jaunes a signalé un rejet des figures traditionnelles de représentation politique alors même que les intercommunalités montaient en puissance. Ont suivi des épisodes de canicules, des incendies, des phénomènes climatiques intenses ainsi qu’une crise énergétique et budgétaire. Face à ces innombrables situations d’une grande complexité, le sentiment d’impuissance a gagné certains élus dont chaque décision peut paraître dérisoire au regard de l’ampleur de la situation. Les élus en charge de la transition écologique sont souvent mis de côté, faute de budget. Ils se trouvent face à une injonction contradictoire : faire des choix de court terme tout en se projetant en 2040. La deuxième injonction réside dans les coalitions à construire : faut-il privilégier l’interne ou l’externe ? La politique du bras de fer versus celle de la main tendue ? Le troisième choix consiste à savoir quel rapport entretenir avec le consensus. La zone à faible émission (ZFE), la gestion de l’éclairage public et le zéro artificialisation nette (ZAN) sont autant de questions conflictuelles et locales. Faut-il assumer des choix clivants ou au contraire rechercher l’adhésion ? La dernière question concerne le rapport à l’administration. Convient-il d’adopter une approche transversale ou de monter son propre service et de le mener de façon indépendante ?
Difficile équation du rapport au temps : la transition écologique nécessite des projets longs et coûteux (allant au-delà du mandat électoral de six ans) faisant appel à l’ensemble des services.
Face à tous ces défis, Manon Loisel formule deux propositions pour l’élu à la transition désormais envisagé comme un élu aux ressources. La première consiste à le mettre au même niveau que l’élu aux finances, la seconde lui confier la responsabilité de travailler sur la question de la finitude des ressources. En quelque sorte, il s’agirait d’avoir un élu organisant les renoncements, de façon anticipée et réflexive, sur un temps long. Cela permettrait de troquer le mythe des éco-gestes individuels au profit de renoncements plus collectifs, de sortir d’une logique d’urgence.
Le rapport au temps, un défi pour les élus
Delphine Person, deuxième adjointe au maire de Palaiseau, coordinatrice de la transition écologique de cette ville de 38 000 habitants, a participé au travail mené dans un groupe de pairs. Élue pour la première fois, elle souligne la difficile équation du rapport au temps. La transition écologique nécessite des projets longs et coûteux (allant au-delà du mandat électoral de six ans) faisant appel à l’ensemble des services. Le travail en mode projet s’avère complexe à mettre en place dans des services habitués à travailler de façon autonome. Elle donne l’exemple du développement d’un projet dans le parc Gustave-Flaubert, avec une association locale, dont la gestion est en partie assurée par les habitants. Réunir les acteurs de la vie locale, les élus et les services techniques a constitué un véritable tour de force. Parfois les services techniques se trouvent éloignés géographiquement du centre de décision, ce qui complexifie les prises de décision. Les services ont besoin de ressources, raison pour laquelle elle leur a transmis seize indicateurs de résilience. Selon elle, le budget vert est un indicateur dont on parle beaucoup, mais qui est finalement assez peu utilisé dans les communes. Pourtant c’est une manière de quantifier, d’objectiver le travail quotidien réalisé. Pour embarquer la population, l’élue insiste sur l’importance de l’écoute. Il convient selon elle de multiplier les formats afin de toucher le maximum d’habitants et éviter l’entre-soi. Elle donne l’exemple d’une question clivante : le besoin de construire des logements tout en veillant à ne pas bétonner une ville. En regroupant différentes populations, on leur permet de se rencontrer, d’échanger. In fine, c’est l’élu qui prend les décisions, d’ailleurs cela fait partie du contrat de départ.
Selon Delphine Person, avec des renoncements, il est difficile de rendre l’action publique désirable, excepté si l’on parle d’amélioration du cadre de vie. Elle insiste sur l’importance de rester pragmatique ainsi que sur l’usage de certains mots. Le terme de « transition écologique » ne lui paraît pas suffisamment lisible pour la population, un constat partagé par Brigitte Guigou. Manon Loisel estime que les « bons mots » sont ceux du vécu, ainsi le terme « canicule » évoque une réalité dans les quartiers. Dans le baromètre sur les comportements de la population francilienne, le changement climatique arrive en deuxième position après le pouvoir d’achat.
Marion Loisel insiste sur l’enjeu de justice climatique qui passe par des mesures à court terme (à coordonner avec le bailleur social pour le chauffage par exemple) et des mesures à plus long terme (la rénovation du bâti).
Pourtant cela ne semble pas suffisant pour le passage à l’action. Selon Delphine Person cela pointe la difficulté d’articuler les différentes contraintes, par exemple celle du logement versus celle du ZAN. Face à cette problématique, deux solutions existent en grande couronne : grignoter les terres agricoles ou trouver des « dents creuses ». La création d’espaces verts nécessite d’impliquer les habitants. De plus, le décret tertiaire impose une rénovation énergétique massive du patrimoine communal et une baisse des émissions des gaz à effet de serre à moins de 40 %. Cela nécessite des travaux, des investissements de masse et donc des renoncements, des choix qui incombent au politique.
Manon Loisel rappelle que les habitants des quartiers populaires émettent moins de CO2, il n’est donc pas essentiel qu’ils soient pionniers dans la transition écologique. Pour conclure, elle insiste sur l’enjeu de justice climatique qui passe par des mesures à court terme (à coordonner avec le bailleur social pour le chauffage, par exemple) et des mesures à plus long terme (la rénovation du bâti).
- (Dé)formations, Élus/élues en transition. Quelques enseignements du programme (Dé)formations à l’usage des acteurs de l’offre de formation, 2022, La 27e Région (https://deformations.la27eregion.fr/un-cahier-quelques-enseignements-a-lusage-des-acteurs-de-loffre-de-formation/).
- https://www.iledefrance.fr/construire-au-futur-habiter-le-futur-une-association-aux-commandes